Le bilan des 100 000 morts du Covid-19 en France est dépassé : les dernières informations et les réponses à vos questions – Le Monde

Toute la journée, nous publions des témoignes de personnes qui ont côtoyé au quotidien les morts du Covid-19. Voici celui de Vincent Rébeillé-Borgella, médecin généraliste à Lyon.

La pandémie a surgi brutalement à la fois dans le paysage des Français et dans mon activité professionnelle. Paradoxalement, la première vague de Covid-19 a commencé par des cabinets vides, puisque le message du gouvernement était de dissuader les gens d’aller chez le médecin, surtout quand ils étaient malades.

Mes premiers contacts avec la mort de patients atteints du Covid-19 furent chaque coup de téléphone des différentes familles qui m’annonçaient la mort d’un de leurs proches. Avec toutes les difficultés pour rester à leur chevet, ce qui fut même quasi impossible. Avec cette situation terrible de l’enterrement en tout petit comité, où il fallait parfois choisir les membres de la famille qui pouvaient accompagner le défunt jusqu’au cimetière. C’est cette image de patients mourant isolés de leur famille désemparée que je garde encore au fond de moi.

La deuxième image que j’ai est beaucoup plus récente. C’est celle d’une dame de 88 ans, que je soigne depuis plus de trente ans. Je vais la voir à domicile pour renouveler son traitement. Je découvre une saturation en oxygène nettement au-dessous de la normale. Elle ne m’avait pas appelé plus tôt. Je contacte le 115. Elle est emmenée aux urgences de l’hôpital. Comme pour chacun des patients que j’ai fait hospitaliser, je l’accompagne jusqu’à l’ambulance. Je lui dis au revoir à bientôt. Il était 11 heures du matin. Elle était souriante.

Deux heures après, je reçois un appel téléphonique du médecin des urgences qui me dit que la patiente est positive au Covid-19. Deux heures plus tard, nouvel appel de ce médecin qui m’informe que la patiente va bientôt mourir. Une heure passe, ce médecin m’appelle pour me dire que la patiente est morte. En montant dans l’ambulance, elle m’avait demandé : “C’est grave, docteur ?” Je lui avais répondu : “Je ne crois pas, on va vous dire ça à l’hôpital.” Cette image de la complication fulgurante de la maladie est la deuxième image que je garde des personnes mortes du Covid-19.

Si j’avais su que cette dame n’avait que quelques heures à vivre, je lui aurais probablement parlé autrement, peut-être même parlé du questionnement métaphysique ou spirituel qui touche ceux qui s’approchent de la mort. En quelques heures, cette dame en bonne santé, qui ne sortait pas de chez elle, a été emportée par une maladie, que son frère ou son aide-ménagère lui avait peut-être transmis sans le savoir.

La troisième image que j’aurai des morts du Covid-19 est celle d’un patient en Ehpad. La famille avait refusé le vaccin. Dix jours après, ce vieux monsieur de 93 ans est diagnostiqué positif au Covid-19. La famille ne veut pas le faire hospitaliser. Le patient ne le souhaite pas non plus. L’état s’est rapidement dégradé. Ce vieux monsieur est entré dans le coma et ne réagissait plus. J’ai encore en mémoire cette respiration si fréquente, ce visage dont il était difficile de savoir s’il ressentait une douleur, une crainte ou une angoisse. J’ai trouvé les mots pour lui dire qu’il allait bientôt mourir. J’ai essayé de lui dire que l’on faisait tout pour lui. Et sa vie sur terre s’est arrêtée.

Trois images de la mort. La mort en réanimation de patients isolés et leur enterrement en catimini, sans le soutien des proches ni de la société. La mort en quelques heures, qui survient comme un coup de tonnerre, chez une vieille dame qui allait si bien, qui était si heureuse de vivre. La mort en Ehpad, sans beaucoup de moyens autres que la générosité de l’équipe soignante, des quelques médicaments dont nous pouvions nous servir, avec les mots d’humanité et de fraternité que l’on peut partager.

Ces morts ne sont pas forcément des morts différentes de celles que je côtoie depuis plus de quarante ans dans mon exercice professionnel. C’est le contexte particulier de cette maladie, de cette épidémie, de cette pandémie, qui donne une autre dimension à tous ces moments. Parce que la mort n’est pas réservée à quelques-uns et qu’elle peut toucher n’importe qui. Parce que la mort fait surgir la tragédie dans une famille en emportant une personne, deux personnes, et parfois plus encore. Parce que nous avons réappris que chacun est mortel. Certains peuvent vivre longtemps et mourir avec le maximum d’environnement médical. D’autres n’ont pas cette possibilité, en fonction du lieu où ils habitent, du pays où ils vivent.

J’ai en mémoire tous les visages des patients qui sont morts, et les larmes de leur famille. Comme si le virus nous avait fait côtoyer de plus près cette mort à laquelle nul n’échappera. Comme si le virus vous avait fait redécouvrir que l’un des défis du vivant est peut-être aussi d’apprendre à mourir.
 

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p dir=”ltr”>Vincent Rébeillé-Borgella, 64 ans, médecin généraliste dans un quartier populaire de Lyon.

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