L’autorisation à magouiller – Le Club de Mediapart

Richard Ferrand, impliqué dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne, a dû abandonner son poste de ministre au bout d’un mois en juin 2017 mais a pu accéder au perchoir de l’Assemblée Nationale il y a tout juste un an (12 septembre 2018), sous le prétexte alambiqué de « séparation des pouvoirs », proclame LREM qui jure que ce macroniste de la première heure aurait le soutien du Chef de l’État. C’est-à-dire qu’un responsable qui monte une magouille consistant à gagner de l’argent (là avec l’aide de sa compagne) sur le dos de son entreprise ou de son association est d’avance blanchi, alors même qu’il vient d’être mis en examen.

Effet totalement délétère et dégâts incommensurables dans l’opinion publique : pour les uns écœurement sans borne, pour les autres autorisation à magouiller puisqu’en haut lieu tout est permis. Et de façon générale, discrédit renforcé à l’encontre des élus, ce qui est contraire aux intérêts de la République. Comportement irresponsable de cet nomenklatura, la même qui vole aujourd’hui au secours de de Rugy prétendant qu’il est « blanchi, blanchi, blanchi », comme il le proclame avec outrance et outrecuidance, au point d’indisposer ses hôtes sur les plateaux de télé (récemment sur C à vous).

Ce qui est condamnable dans l’affaire Ferrand, c’est certes le fait que les Mutuelles de Bretagne qu’il dirigeait aient passé contrat avec la SCI de Madame pour acheter des locaux commerciaux mais aussi et surtout le fait que celle-ci, avocate, ait créé sa SCI après qu’elle ait été sûre du projet d’achat, et que son propre prêt serait intégralement payé par les loyers perçus, et alors même qu’elle n’était pas encore propriétaire du bien. On apprend aujourd’hui, car cela avait été dissimulé jusqu’alors me semble-t-il, que certains administrateurs des Mutuelles ignoraient le lien entre le Directeur et la SCI. Présenter cela comme moral et légal c’est valider toutes ces petites magouilles qui prolifèrent ici ou là.

Il faut donc agir pour que ces petits arrangements avec la morale cessent. Et pas seulement de la part des élus : les faux salaires, les faux frais de déplacement, les utilisations abusives de voitures dites de fonction, les intérêts privés mêlés aux fonctions de dirigeants, les marchés publics bricolés, les salaires exorbitants de hauts cadres et de conseillers dans la fonction publique, en particulier dans la Territoriale (conseillers dont certains ont des fonctions quasi-bidon et alignent des salaires à 7000 euros au vu et au su des Préfectures censées contrôler mais fermant les yeux), les indemnités délirantes de ruptures conventionnelles, les magouilles sur les indemnités de représentation et de frais de mandats (combien de parlementaires ont acheté avec l’IRFM des locaux de permanence qu’ils ont revendu ensuite à leur profit), etc…

Le problème est que certains de ceux qui font la morale, certains journalistes multi-cartes, gagnent (sans mérite), en courant d’un plateau de télé à l’autre, 3 ou 4 fois plus que les politiques qu’ils vilipendent. Et ne parlons pas des patrons du CAC 40 qui se marrent dans la coulisse face à tout ce menu fretin de la triche, quand eux se servent des salaires mensuels à plusieurs centaines de milliers d’euros sinon de millions (comme c’était le cas de Carlos Ghosn, contesté officiellement sur ce point qu’après qu’il ait chuté). Et ces sommes n’ont aucune justification, même pas la réussite puisqu’elles sont exorbitantes même quand ils échouent. Il faudrait bien un jour traiter de cet autre scandale. Mais commençons par exiger une loi drastique sur la moralisation de la vie publique, y compris dans le secteur des mutuelles ou des associations.

Il y a quelques années, je siégeais dans une commission en sous-préfecture qui donnait avis sur l’attribution de subventions en vue de la rénovation de logements destinés à la location de personnes démunies. Un dossier fut présenté : un directeur d’un établissement pour handicapés avait acheté personnellement un immeuble, prévoyant de le rénover avec des subventions publiques et de louer les appartements aux personnes handicapées du centre. J’ai souhaité que la présidente de l’association se prononce sur l’opération que prévoyait ainsi de réaliser ce directeur, son employé. Elle fit connaître son accord. La plupart des membres de la commission ne trouvaient rien à redire, l’un d’eux me confia même qu’il trouvait ça très bien. C’était un peu comme si moi-même, qui dirigeais un service social, qui voyais passer la misère du monde, j’avais acheté spécialement un immeuble pour y loger, moyennant toutes les aides possibles, les usagers au RMI dont nous suivions la situation, afin d’en percevoir les loyers. Le fait que ce directeur fut inquiété plus tard pour plusieurs graves malversations ne m’est apparu que la suite logique de ce qui avait été toléré auparavant.

Après les affaires Fillon, de Rugy, Ferrand, Goulard (députée européenne percevait 12.000 euros d’un think tank américain et elle vient d’être nommée commissaire européenne), ce qui serait souhaitable c’est de connaître l’ampleur de magouilles comparables qui permettent ainsi à des individus en situation de responsabilité de faire des plus-values considérables sans avoir à débourser un kopeck. Au risque d’être accusé de « moralisme » par ceux qui composent ainsi avec la morale, il me semble que certains principes éthiques de base devraient être rappelés haut et fort. Et pas seulement à destination des élus.

Billet n° 492

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