L’Assemblée nationale maintient l’huile de palme parmi les biocarburants, Matignon demande un second vote – Le Monde

Des militants de Greenpeace ont déployé une banderole portant la mention « déforestation en cours » sur la bioraffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône), en signe de protestation contre l’importation d’huile de palme par Total, le 29 octobre.

La décision suscite un tollé chez les associations écologistes et parmi les députés. Jeudi 14 novembre, l’Assemblée nationale a voté, sans débat, un report à 2026 de l’effacement de l’huile de palme de la liste des biocarburants, qui bénéficient d’un avantage fiscal. Cette mesure est favorable au groupe pétrolier Total pour sa nouvelle bioraffinerie de La Mède, près de Marseille.

Des députés de l’opposition et de la majorité – dont le rapporteur général, Joël Giraud, (La République en marche, LRM) – ont aussitôt réclamé un nouveau scrutin. Vendredi après midi, Edouard Philippe fait savoir qu’il demanderait un second vote, « constatant l’absence d’un débat suffisant sur un sujet aussi important ».

Recours de Total

L’an dernier, l’Assemblée nationale avait adopté de justesse l’exclusion de l’huile de palme des biocarburants dès le 1er janvier 2020, actant ainsi la fin d’un avantage fiscal estimé entre 70 et 80 millions d’euros par an pour Total. Après ce premier vote, le groupe pétrolier avait tenté un recours, mais le Conseil constitutionnel avait entériné la décision le 11 octobre dernier, reconnaissant alors les effets directs de la culture de l’huile de palme sur la déforestation, mais également des effets indirects liés à la conversion de cultures agricoles pour la production d’agrocarburants.

Mais jeudi, « l’amendement est passé en deux secondes » avec « avis défavorable du rapporteur général, favorable du gouvernement, sans aucun débat ! C’est une erreur à rattraper en deuxième lecture », estime Bénédicte Peyrol (LRM) sur Twitter. « Beaucoup ne savaient même pas de quoi il était question », assure une autre députée LRM. « On s’est fait niquer ! (…) Si le groupe me le demande, je réclamerai une deuxième délibération », a réagi M. Giraud dans la nuit de jeudi à vendredi.

Le député LRM et candidat à la mairie de Paris Cédric Villani a déploré que la majorité envoie ainsi des « signaux contradictoires » sur le thème environnemental. Or, « c’est un devoir d’avoir une attitude claire et ferme face à ces enjeux écologiques majeurs », a-t-il exhorté sur LCI.

Lire la chronique : « Ce qui est reproché à Bruxelles dans le dossier de l’huile de palme »

« Cadeau fiscal »

L’amendement voté en plein examen du budget 2020 est cosigné par des élus du Mouvement démocrate (MoDem), de la République en marche (LRM) et des républicains (LR) des Bouches-du-Rhône où est installée la raffinerie. Il n’a fait l’objet d’aucun débat en séance.

Au MoDem, Bruno Millienne, qui avait porté la sortie de l’huile de palme des biocarburants l’année dernière, se dit « dégoûté », d’autant que l’amendement est cosigné par son collègue Mohamed Laqhila. Le groupe centriste souligne que le vote de jeudi « n’est pas un amendement de groupe mais un amendement individuel ».

Chez Libertés et Territoires, Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot, « demande une nouvelle délibération, un recul serait inacceptable ». Un propos appuyé par le député de la majorité Anthony Cellier, qui se dit « farouchement contre l’amendement revenant sur une avancée majeure de l’Assemblée nationale en 2018 ». Pour le président (ex-LR) des Hauts-de-France Xavier Bertrand, « c’est un coup de poignard fait au développement local des biocarburants ! D’autres solutions [que l’huile de palme] existent et ne sont pas responsables de désastres écologiques » !

Ce vote a également suscité l’ire des Amis de la Terre. Selon cette association écologiste, « les députés de la majorité, avec la complicité du gouvernement, viennent de céder au lobbying éhonté de Total », et de faire un « cadeau fiscal évalué entre 70 et 80 millions d’euros ».

Concurrence européenne

De son côté, Total renvoie aux déclarations de son PDG, Patrick Pouyanné, dans Le JDD fin octobre. Ce dernier avait affirmé vouloir « juste être au même niveau de compétition que nos concurrents européens qui, contrairement à nous, bénéficient d’un avantage fiscal jusqu’en 2030 » :

« Une solution gagnant-gagnant serait que la France arrive à convaincre ses partenaires européens de sortir plus tôt de l’huile de palme, par exemple dans cinq ans, en 2026, et non en 2030. […] L’enjeu de Total, ce n’est pas l’huile de palme, puisque l’usine de La Mède peut fonctionner avec des huiles de colza ou de tournesol. »

La raffinerie d’agrocarburants de La Mède, une des plus grandes d’Europe, a démarré début juillet, employant directement 250 personnes. Selon le groupe pétrolier, la raffinerie doit traiter 650 000 tonnes d’huiles et graisses par an et s’approvisionner en huile de palme « durable et certifiée » à hauteur de 300 000 tonnes au maximum.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’huile de palme importée par Total n’est pas 100 % durable, selon Greenpeace

Son activité est régulièrement dénoncée par les militants écologistes, dont Greenpeace, qui a bloqué son accès fin octobre en l’accusant de « déforestation massive » pour produire de l’huile de palme. Sur un plan judiciaire, Greenpeace France conteste devant le tribunal administratif de Marseille l’autorisation préfectorale délivrée à Total pour ouvrir cette raffinerie.

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