
L’arnaqueur de Tinder

L’arnaqueur de Tinder décrit une arnaque sentimentale, basée sur une pyramide de Ponzi. Dans cet article, on utilisera le nom connu de l’arnaqueur, à savoir Simon Leviev, également connu sous le nom de Shimon Heyada Hayut.
Complexe de supériorité
Que ce soit les articles de presse ou les commentaires sur Twitter, la première chose qui frappe concernant ce documentaire, sont les commentaires. « Les femmes sont vénales », « les femmes sont stupides », « elles ont été bêtes », « comment elles ont pu filer autant d’argent », etc. On ne blâme pas les victimes. Jamais. À aucun moment.
Les trois femmes qui s’expriment dans le reportage – et il y a fort à parier qu’il y en ait beaucoup plus – ont accepté de raconter leur histoire, face caméra, pour un film diffusé sur l’une des plateformes les plus visitées au monde. Non seulement il faut beaucoup de courage pour le faire, mais elles — ainsi que les auteurs du documentaire — font œuvre de salubrité publique. En effet, on apprend dans la presse que Simon Leviev était toujours inscrit et a priori actif sur Tinder jusqu’en février 2022. Sa fiche Wikipédia indique qu’il était encore présent sur Match, Plenty of Fish et OkCupid.
Les arnaques sentimentales existent et ont été facilitées grâce à Internet. Si celle de l’arnaqueur de Tinder est assez spectaculaire par son volume, on ne compte plus le nombre de personnes — hommes et femmes — qui ont envoyé de l’argent à de parfaits inconnus, après quelques échanges sur Internet. En 2020, les arnaques sentimentales ont généré 304 millions de dollars d’après Catalin Cimpanu.
Avec l’épidémie, les arnaques de ce type ont même pu être amplifiées. Il suffit de dire qu’on est bloqué dans un pays, sans possibilité de retour immédiat, en raison de la politique sanitaire. Fondamentalement, n’importe quel internaute peut tomber dans une arnaque sentimentale, que ce soit sur Twitter, sur Tinder, sur Meetic, Facebook ou même LinkedIn. On peut acheter de faux profils sur Tinder pour quelques euros. Il ne faut donc pas croire qu’on est plus intelligent que les autres.
On espère que les moqueurs n’ont pas investi dans les crypto-monnaies farfelues, ni dans les NTF, ni dans les arnaques pyramidales du type « gagner de l’argent en voyageant », sans parler des fameux systèmes « d’enrichissement » juste en envoyant des emails, ni le drop-shipping, etc. On ne parlera pas non plus des gens qui ont cru de bonne foi qu’un recours juridique coûtait 2 €. On est tous vulnérables sur le Web.
Quant à la pseudo-vénalité des trois victimes, il y a matière à discuter. Est-ce un crime de vouloir sortir avec quelqu’un qui a un niveau de vie équivalent ou supérieur au sien ? Une trop grande différence de revenus dans un couple est une source de conflits permanents. Ces femmes n’avaient pas besoin d’argent, elles étaient parfaitement autonomes financièrement, avaient un bon emploi et n’avaient pas besoin d’un homme pour payer leurs factures. C’est même pour cela que Simon Leviev les a choisis. Si elles avaient été moins à l’aise, il ne les aurait pas hameçonnés.
Éléments objectifs et distanciation
Objectivement, les victimes avaient des raisons de croire que Simon Leviev avait de l’argent. Il les sortait dans des endroits chers, s’affichait dans des destinations luxueuses et portait des vêtements haute-couture. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les escrocs n’ont pas un panneau lumineux au-dessus de leur tête, disant « coucou, je suis venu pour te piquer tous tes sous ».
On admettra que ça faciliterait la vie de tout le monde. On voit bien dans le documentaire la mécanique du piège. Simon Leviev laisse passer quelques semaines avant de demander de l’argent et il commence par des sommes « modestes ». Il ne leur demande rien dès les premiers rendez-vous, bien au contraire. Il fait des cadeaux, invite, etc.
Par ailleurs, il donne des éléments personnels, tels que son identité ou sa profession, qui sont plausibles quand on fait une recherche superficielle sur un moteur de recherche. Or, d’après différentes études, 80 % — pourcentage optimiste — des internautes ne vont pas au-delà de la première page de résultats de Google. Si on prend en compte les sites les mieux référencés tels que les réseaux sociaux, il est assez facile de se construire une fausse identité de toutes pièces et d’apparaître avec cette fausse identité, en premier résultat.
Une fois l’engrenage lancé, quand on est dedans, on peut parfaitement y croire. La difficulté pour les victimes — et c’est ce qui semble ressortir en creux — est l’absence d’entourage immédiat proche. Cecilie se réfugie chez sa mère, qui vit dans un autre pays. Ces femmes ont-elles eu des amis proches qui auraient pu les alerter sur ce qui se passait ? Par ailleurs, Simon Leviev a bien manœuvré : il a choisi des victimes dans pays où la régulation bancaire parait beaucoup plus souple qu’en France.
Enfin et ce point semble être occulté par énormément de personnes, Simon Leviev n’a pas hésité à les menacer. Il a appelé les victimes en les menaçant, elles et leurs familles, si elles arrêtaient de lui envoyer de l’argent. Lorsque Cecilie est allée au commissariat, personne n’a pris les menaces au sérieux. Simon menace Pernilla au téléphone et la scène est entièrement filmée. Quant à Ayleen, son téléphone déborde littéralement de messages d’insultes et de menaces. Si on reprend la somme de tous les mensonges de Simon Leviev, elles ont pu raisonnablement y croire et même les journalistes qui ont suivi Pernilla à Munich, n’avaient pas l’air bien rassurés.
Précautions d’usage
Dans la vie comme sur le Web, il y a quelques précautions à prendre, même si le risque zéro n’existe pas.
Sur les sites de rencontre, il convient de privilégier les applications qui ont une version desktop. C’est le cas de Tinder par exemple. De cette manière, il est possible de faire un reverse image sur les photos. Le clic droit est désactivé, mais en affichant la console (f12), on peut trouver le lien de la photo, la télécharger et utiliser des services de reverse image pour essayer de retrouver la photo sur les différents réseaux sociaux. Cela permet également de retrouver les profils et parfois le statut marital qui va avec.
Croyez-le ou non, mais sur Tinder, il existe encore des types qui utilisent la même photo de profil que pour Facebook, site sur lequel ils s’affichent avec femme et enfants, y compris la petite dernière qui a deux mois et le profil de l’épouse. L’application elle-même pousse ses utilisateurs à donner un maximum d’informations, alors, il ne faut pas hésiter à les exploiter.
Prenez le temps de parler avec la personne sur l’application ou sur une interface numérique. Archivez tout, vous ne savez pas comment les choses peuvent tourner. Le jour où vous rencontrez la personne, proposez un lieu public, avec du monde et dans vos moyens. Ne quittez jamais votre verre des yeux. Gardez votre téléphone sur vous, en permanence.
Dites à vos amis où vous allez et qui vous devez rencontrer. Dans la mesure du possible, essayez de convenir d’un rendez-vous en pleine journée, afin de ne pas dépendre de la voiture pour rentrer.
Ne donnez jamais le code de déverrouillage de votre téléphone ni le mot de passe de votre ordinateur. Avec tous les mots de passe stockés, cela revient à donner accès à toutes les informations nécessaires pour se faire escroquer ou se faire usurper son identité.
De manière plus générale, essayez d’en savoir autant sur l’autre que lui en sait sur vous. Il vous demande ce que vous faites dans la vie, posez-lui la même question. Rien n’interdit de vérifier plus tard au calme.
Si Simon Leviev est — pour le moment — libre de ses mouvements, les trois victimes du documentaire continuent de rembourser les dettes qu’elles ont contractées. Elles ont ouvert une cagnotte. Quant à leur arnaqueur, si son passif est resté cantonné à l’Europe, avec ce documentaire, nul doute que sa renommée va devenir mondiale. L’arnaqueur de Tinder est disponible sur Netflix.