L’ancien maire du Havre, Antoine Rufenacht, est mort – Le Monde

Antoine Rufenacht en Corse pour une cérénomie en hommage au préfet Claude Erignac, en février 2018.

En près d’un demi-siècle de vie politique, sa plus grande réussite, aimait-il à dire, fut « sans aucun doute » d’être élu maire du Havre, la ville où il a vu le jour et qu’il a contribué à transformer durant ses trois mandats successifs, entre 1995 et 2010. Il aura fallu beaucoup de ténacité et trois échecs à Antoine Rufenacht, mort le samedi 5 septembre, à l’âge de 81 ans, pour arracher le pouvoir aux communistes, aux manettes de la cité normande depuis trente ans.

Maire du Havre, enfin ! Cet homme de droite, né le 11 mai 1939, fils d’une puissante famille locale de négociants originaire de Suisse, en rêvait déjà « sur les bancs de l’école », selon certains de ses proches. Son attachement à ce bout de Normandie explique sans doute son parcours politique, oscillant entre destin national – au sein de l’UDR, du RPR puis de l’UMP – et ambition régionale, pour laquelle il opta souvent. « Maire, vous n’êtes sous l’autorité de personne. Vous n’êtes pas obligé de vous libérer à la dernière minute pour une réunion interministérielle qui ne vous passionne pas nécessairement », disait-il volontiers.

Comme en 2002 où, alors directeur de campagne d’un Jacques Chirac pourtant victorieux, il s’en revint au Havre sans exiger le moindre portefeuille ministériel. Antoine Rufenacht était un homme libre de parole et d’action, chose rare, et doté d’un humour caustique qui lui faisait porter sur ses semblables un regard aiguisé. Durant cette campagne présidentielle, de fait, il paye pour comprendre l’attachement inaliénable entre Claude Chirac et son père et n’a aucunement l’intention de prolonger l’expérience. « On prenait des décisions pendant la journée, en sachant que le soir même elle dirait le contraire à son père. C’était insupportable », confiera-t-il au Monde. Rufenacht le protestant, parfois pète-sec, juge aussi stupide que Bernadette Chirac, qu’il apprécie, soit écartée de cette campagne par une phrase désinvolte de sa fille : « De toute façon, elle n’est pas dans le coup ». Il prend aussitôt son téléphone pour se faire confirmer par le président sortant le rôle essentiel de son épouse, ce qu’il obtient sans peine. Et ce conservateur raisonnable de commenter : « Bernadette équilibrait le côté gaucho de Claude ».

Si, en bon gaulliste, Antoine Rufenacht a soutenu Michel Debré lors de la présidentielle de 1981 – d’où une brouille avec Jacques Chirac – il est l’un des premiers, et ils ne sont pas si nombreux, à appuyer sa candidature en 1994, à la surprise des balladuriens. Le nouveau président de la République n’est pas un ingrat, qui, en 1995, lui réserve sa première visite officielle en province. « Il n’y avait pas eu de président de la République au Havre depuis de Gaulle en 1960. C’était un événement très important », se rappelait le maire, bien déterminé à rendre les honneurs militaires au chef de l’Etat durant cette visite. Claude Chirac s’y étant opposée à plusieurs reprises, Antoine Rufenacht avait, à l’époque déjà, saisi son téléphone pour proposer directement cette cérémonie au président. A la grande satisfaction des deux hommes.

Secrétaire d’Etat sous la présidence de VGE

Antoine Rufenacht, alors député RPR de la Seine-Maritime,  pose devant une de ses affiches pour la campagne des élections municipales au Havre en février 1983.

En 2002, avant ce second tour qu’il est certain de remporter contre Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac demande donc, selon son habitude, à son directeur de campagne ce qu’il veut. « J’ai répondu : “Rien”. Il a eu l’air surpris. Je crois être la seule personne qui ne lui a jamais rien demandé. » Cet homme toujours élégant notait avec une imperceptible désapprobation, très britannique, que lors de cette scène à l’Elysée, Chirac était en jogging. En quelques mots vachards et lucides, Antoine Rufenacht passait au scanner tout le personnel politique français, avec l’indépendance que lui donnait son métier de chef d’entreprise prospère. La politique n’était pas son gagne-pain. Villepin, Copé, Fillon et les autres, il connaissait par cœur les faiblesses de chacun.

Les arcanes du pouvoir, Antoine Rufenacht les a longtemps fréquentés. Enarque (promotion Turgot) et diplômé de Sciences Po Paris, il y fait ses classes au début des années 1970, notamment en tant que conseiller d’Olivier Guichard, ministre de l’éducation, puis est nommé à deux reprises secrétaire d’Etat, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. D’abord auprès du premier ministre, Raymond Barre (1976-1977), ensuite auprès du ministre de l’industrie, René Monory (1977-1978). « De mauvais souvenirs », jugera-t-il plus tard, marqué par les « rivalités fortes entre Giscard et Chirac ». Il déclinera par la suite d’autres sollicitations ministérielles.

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Antoine Rufenacht, alors député et maire du Havre, en juillet 1999.

Dans le même temps, Antoine Rufenacht creuse son sillon en terres havraise et normande. Il est élu conseiller général dès 1973, puis député UDR deux ans plus tard, mandat qu’il exercera à deux autres reprises sous les couleurs du RPR (1978-1981, 1986-1995). Mais il est battu au Havre par le communiste André Duroméa, adversaire politique parmi ceux qu’il respecte le plus, en 1977, 1983 et 1989. L’année qui suit sa première défaite, en 1978, tout en conservant ses activités politiques, Antoine Rufenacht se tourne vers le privé en prenant la présidence du conseil d’administration d’Armor SA, une importante entreprise familiale de 1 400 salariés, spécialisée dans le transfert thermique et les encres d’impression. Elle reste dans le giron des Rufenacht de 1965 à 2008, date de sa vente à un groupe d’investissement lyonnais.

Si Le Havre lui résiste, la Seine-Maritime n’a pas les mêmes réserves. Il devient, en 1982, premier vice-président du conseil général, alors dirigé par le maire centriste de Rouen, Jean Lecanuet, un de ses mentors. Dix ans plus tard, en 1992, il prend les commandes du conseil régional de Haute-Normandie, et ce jusqu’en 1998.

Sans brusquer, il entend « réhabiliter et remodeler une ville mal aimée de ses habitants », et changer son image

Vient, enfin, son élection à la mairie du Havre, en juin 1995. Après trente ans de gestion communiste, ce bastion rouge bascule à droite d’un cheveu. « Nous partîmes 33 et nous arrivâmes 3 000 », appréciait Antoine Rufenacht, en souvenir de ses 33 petites voix d’avance au premier tour. Dans une ville à forte tradition ouvrière et syndicale, sociologiquement à gauche, ce grand bourgeois RPR se sait en terrain miné. Sans brusquer, il entend « réhabiliter et remodeler une ville mal aimée de ses habitants » et changer son image. A coups de centaines de millions d’euros, il entreprend une série de grands travaux tous azimuts. Equipements sportifs, médiathèques, conservatoire de musique, casino, rocades routières, réhabilitation des quartiers, lancement de la création d’un tramway, d’un nouveau stade…

Le prédécesseur d’Edouard Philippe au Havre

Antoine Rufenacht en 2008 dans le port du Havre.
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Son bilan en la matière est reconnu. L’homme peut s’enorgueillir d’avoir modifié le regard porté sur la ville et son sévère béton armé. Autant de preuves, le classement au patrimoine mondial de l’Unesco, en 2005, du centre-ville havrais reconstruit par l’architecte Auguste Perret après la seconde guerre mondiale ; ou encore l’inauguration, en 2006, de Port 2000, qui impose l’estuaire de la Seine comme un pôle majeur du trafic de conteneurs en Europe. Face à une gauche divisée, Antoine Rufenacht est réélu sans difficulté en 2001 et 2008.

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S’il se consacre à ses affaires havraises dans la décennie 2000, à la mairie et au sein de la communauté d’agglomération, il reste au fait de la politique nationale et une voix qui compte au sein de la droite française. Il est consulté comme un « sage » dans les commissions d’investitures électorales et chargé d’organiser la primaire de la droite en vue des municipales de 2014, à Paris – une fédération qu’il jugeait « complètement faisandée ». Antoine Rufenacht a aussi été l’homme de l’ombre des présidents, « visiteur du soir » de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, après l’avoir soutenu pendant la campagne. Il était l’un des meilleurs amis de Claude Erignac, le préfet assassiné en Corse en février 1998 et présidera pendant dix ans l’association qui porte son nom, avant d’en devenir le président d’honneur.

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Depuis plusieurs années déjà, il songe à se retirer. En 2006, Christine Lagarde fait un petit tour de piste au Havre, mais Antoine Rufenacht sent trop de réticences envers cette éventuelle candidature et pas assez d’appétit de la part de la ministre déléguée au commerce extérieur. En 2010, soucieux de passer le flambeau municipal en douceur, il démissionne au profit de son adjoint et dauphin, celui qui occupera le poste de premier ministre de 2017 à 2020, Edouard Philippe. En 2011, Nicolas Sarkozy le nomme à la tête de l’Axe Seine du projet du Grand Paris et en 2014, il quitte ses dernières fonctions à la mairie du Havre. Eminence grise, il continue néanmoins d’apporter son expérience au niveau national, et à peser sur la vie politique havraise. Il avait ainsi, en 2017, « déconseillé le poste » de premier ministre à Edouard Philippe, dénonçant une « erreur politique » pour son camp, Les Républicains.

Antoine Rufenacht était marié à Liselotte et avait trois enfants, Charles, François et Caroline.

Antoine Rufenacht en quelques dates

11 mai 1939 Naissance au Havre.

1976-1978 Secrétaire d’Etat auprès du premier ministre, puis auprès du ministre de l’industrie.

1975-1976 Député de la Seine-Maritime, puis de 1978 à 1981, et de 1986 à 1995.

1992-1998 Préside le conseil régional de Haute-Normandie.

1995-2010 Maire du Havre.

5 septembre 2020 Mort à l’âge de 81 ans.

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