L’affaire Navalny complique les relations avec Moscou – Le Monde

Editorial du « Monde ». Interrogée sur le sort de l’opposant russe Alexeï Navalny, en compagnie du président Macron, à Brégançon (Var), jeudi 20 août, Angela Merkel n’a pas mâché ses mots. Quelles que soient les tergiversations du Kremlin et les circonstances « pas très claires » de l’incident, la chancelière s’est déclarée « bouleversée » et a exigé des « explications ». Offrant assistance médicale et protection à l’opposant, Mme Merkel et M. Macron ont demandé que toute la lumière soit faite sur le malaise qui a plongé M. Navalny dans le coma, le matin même, peu de temps après avoir absorbé un gobelet de thé à l’aéroport de Tomsk, en Sibérie.

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Pour les opposants politiques en Russie, le poison est une menace tragiquement familière, et la chancelière le sait. Elle sait aussi que la lumière n’est jamais faite sur les empoisonnements – sauf lorsque les victimes ont été intoxiquées à l’étranger, où des enquêtes peuvent être correctement menées.

Les précédents sont si nombreux que la place manque pour les énumérer ici. Navalny lui-même en a déjà été la cible, en prison, il y a un an ; il a aussi perdu 80 % de l’usage d’un œil, après avoir été aspergé d’une substance chimique. L’opposant Vladimir Kara-Murza a été hospitalisé deux fois pour empoisonnement et vit aujourd’hui aux Etats-Unis. La journaliste Anna Politkovskaïa a survécu à une tentative d’empoisonnement à bord d’un avion, où on lui avait servi du thé ; elle a été tuée par balle, deux ans plus tard, dans la cage d’escalier de son immeuble. Boris Nemtsov, lui, n’est pas passé par la case empoisonnement : le charismatique opposant, ancien gouverneur et ministre d’Eltsine, a été assassiné par balle, en 2015, à quelques pas du Kremlin.

Faiblesse d’un régime

Les responsabilités de ces crimes sont aussi rarement établies que leurs circonstances. S’il arrive que des hommes de main soient condamnés, les commanditaires restent dans l’ombre. Quel que soit le niveau auquel est prise la décision, ce moyen utilisé pour réduire les opposants politiques au silence en dit long sur la faiblesse d’un régime qui orchestre, ou pour le moins tolère, un tel système de répression et d’impunité.

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Après l’élimination de Boris Nemtsov, Alexeï Navalny, 44 ans, est devenu l’ennemi numéro un. Non seulement il parcourait inlassablement, avec ses partisans, l’immense territoire de la Russie, où il a réussi à tisser un réseau de militants, préparés à participer aux élections locales et régionales, bien au-delà des jeunes urbains de Moscou et de Saint-Pétersbourg auxquels la caricature le cantonne parfois. Mais aussi parce que le journalisme d’investigation qu’il menait dénonce l’univers de la corruption avec une efficacité redoutable, à travers des vidéos très regardées en ligne. Empêché de se présenter à l’élection présidentielle, il était constamment harcelé et régulièrement envoyé faire de courts séjours en prison, préférés à une lourde condamnation qui en aurait fait un martyr.

Au moment où la chancelière Merkel, le président Macron et le président du Conseil européen, Charles Michel, sont engagés dans de délicats pourparlers avec le président Vladimir Poutine, pour trouver une issue à la contestation prodémocratie en Biélorussie, où le président Loukachenko s’accroche au pouvoir, l’empoisonnement d’Alexeï Navalny illustre toute la difficulté de traiter avec Moscou. M. Macron, notamment, tente depuis plus d’un an d’établir un vrai dialogue avec la Russie et avait promis, cet été, à M. Poutine de lui rendre visite. La crise biélorusse et l’affaire Navalny lui imposent, plus que jamais, lucidité et fermeté dans ces contacts.

Le Monde

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