L’adieu à Chirac aux Invalides : «On peut bien attendre 4 heures pour notre Président» – Le Parisien
Dans la cour d’honneur de l’Hôtel des Invalides à Paris (VIIe), Napoléon Ier, ou plutôt sa statue en bronze de petit caporal haute de 4 mètres, règne sur une forêt de centaines de parapluies. Mais il est trop petit pour s’offrir un horizon dégagé et apercevoir qu’à l’extérieur du monument, ce sont des milliers de citoyens touchés au cœur qui patientent religieusement sous une pluie automnale d’enterrement avant l’heure.
Sur les trottoirs, loin encore des canons, une file d’attente surprenante de près d’un kilomètre d’admirateurs déterminés à prendre part à « l’hommage populaire » à Jacques Chirac en ce dimanche 29 septembre. Face à cette affluence impressionnante, les lieux devaient rester accessibles toute la nuit, jusqu’à 7 heures lundi matin.
Enveloppé d’un drapeau tricolore, le cercueil de l’ancien président de la République, mort jeudi 26 septembre à l’âge de 86 ans, repose en dessous de la statue de l’Empereur au bicorne, à l’entrée de la cathédrale Saint-Louis. Les visages graves des hommes et femmes venus lui dire adieu tranchent avec le sourire des grands jours, immortalisé sur un immense portrait du chef d’Etat, la main levée, qui dit bonjour à la foule.
Ces visiteurs du dimanche ont plutôt les cheveux grisonnants. Ils portent un ciré jaune, une doudoune à fourrure, un trench-coat, une veste en jean ou un boubou. Les moins de 20 ans n’ont guère fait le déplacement.
«De Gaulle aimait la France, Chirac aimait les Français»
Marie-Dominique, enseignante quinquagénaire, fait partie des premiers anonymes à s’être recueillis. Elle s’est postée dès 10 heures devant les grilles ouvertes à 14 heures. « On peut bien attendre quatre heures pour notre président », souffle-t-elle. En arrivant avant beaucoup d’autres, elle a pu croiser « Claude », comme elle dit, la fille de l’ex-locataire de l’Elysée, vêtue tout de noir et accompagnée, notamment, de son fils Martin, mais pas de sa mère Bernadette, trop affaiblie.
« Elle avait un petit mot à chacune des personnes présentes en fauteuil roulant. Je lui ai présenté mes condoléances. Je lui ai dit : Votre papa, c’est ma génération, tout mon militantisme au RPR », dévoile cette « nostalgique » du « train affrété par le parti pour aller aux meetings en Corrèze ». « De Gaulle aimait la France, Chirac aimait les Français », tient-elle à rajouter.
La pianiste et chef d’orchestre Elizabeth Cooper a, elle aussi, approché Claude Chirac. « Je l’ai trouvé merveilleusement bienveillante avec les gens », encense-t-elle de sa voix qui porte.
Certains s’autorisent un selfie
Face au cercueil, certains « pèlerins » ont les jambes qui flageolent. « Il y a eu quelques malaises, mais on est là pour ça », glisse un ange gardien de la Protection civile. Des Chiraquiens très croyants font un signe de croix. Quelques-uns s’inclinent, voire s’agenouillent brièvement.
Un bouquet de fleurs en main composé, entre autres, de roses, Ladifetou, Camerounaise de 39 ans aux souliers dorés, est submergée par l’émotion. « C’est comme si c’était la fin du monde, avec un grand vide », confie-t-elle. Certains fidèles s’autorisent un selfie au risque de choquer leurs voisins. « C’est déplacé », s’offusque Christelle.
Devant la dépouille, Joseph, 71 ans, assis dans un fauteuil roulant électrique, adresse, lui, ses prières au défunt pour que « le Seigneur l’accueille de tout son cœur ». « Comme tout le monde, c’était un pécheur. Mais il a fait plus de bien que de mal », synthétise-t-il.
Jean-Louis Debré «a patienté comme tout le monde»
Valentin, 22 ans, chef de rang, s’est plutôt offert une analyse politique express. « J’ai immédiatement pensé à ce qu’il a donné à la France », témoigne-t-il. Christine, « une gaulliste bientôt octogénaire » qui a du « chagrin » peine à marcher. « Il va falloir faire le deuil comme après la perte d’un membre de la famille », commente-t-elle.
Des enceintes propagent d’ anciens discours du chef d’Etat difficilement audibles entrecoupés de la suite n° 1 de Bach au violoncelle. En provenance de Troyes (Aube), Amine, 36 ans et Ciham, 28 ans, s’étonnent de s’être retrouvés dans la file d’attente dans la cour d’honneur aux côtés de Jean-Louis Debré, ami intime du grand Jacques. « Il a patienté comme tout le monde avec le peuple, c’est remarquable », applaudissent-ils.
Des anecdotes sur «Chichi»
Amine se souvient d’avoir tapé, par hasard, la causette avec « Monsieur Chirac » en 2008, quai des Grands-Augustins dans la capitale. « Je lui avais dit : Ma grand-mère en Algérie vous soutenait lors de vos élections. Il m’avait répondu : Elle a quel âge, qu’est-ce qu’elle fait ? Transmettez-lui mes amitiés ! », narre-t-il.
Ici, tout le monde ou presque a une anecdote, un (bon) souvenir personnel à distiller sur « Chichi », qui a droit à un bain de foule comme il en raffolait.
VIDEO. Des milliers de Français autour du cercueil de Jacques Chirac