L’accessibilité numérique peut-elle encourager l’innovation en entreprise ?

L'accessibilité numérique peut-elle encourager l'innovation en entreprise ?

Près de deux Français sur dix ne peuvent pas utiliser les outils et services numériques du fait de leur handicap. Or, 62% des développeurs déclarent ne pas connaître la réglementation française en matière d’accessibilité des sites et services publics en ligne (RGAA). Au niveau des entreprises de services numériques (ESN), 34% des personnes interrogées n’ont même jamais entendu parler de ce cadre légal, présente le rapport publié ce jeudi par le Conseil national du numérique (CNNum) sur l’accessibilité numérique.

Près de 150 PME françaises travaillent aujourd’hui sur des solutions inclusives à destination des personnes en situation de handicap. Cette filière a pour vocation à “se structurer davantage”, soutient le CNNum, qui encourage le développement de startups françaises liées à l’accessibilité numérique. Le CNNum voit dans l’accessibilité numérique un moyen d’encourager l’innovation au sein des entreprises.

Le CNNum voudrait faire de cette thématique une “priorité stratégique” pour le Conseil de l’innovation, qui détermine les projets financés à hauteur de 120 millions d’euros par an par le Fonds pour l’innovation et l’industrie (FII). En parallèle, le rapport préconise de conditionner les financements de BpiFrance à destination des entreprises à la mise en accessibilité des produits et services numériques produits sur la base de ces financements.

Les soutiens financiers peuvent aussi venir de l’UE. La DG Connect de la Commission européenne recherche notamment des financements pour aider les organismes du secteur public à évaluer le respect des normes et les lignes directrices en matière d’accessibilité du Web. Un budget supplémentaire de 2 millions d’euros a été alloué au financement de ces actions d’innovation pour le développement et la démonstration d’outils d’aide à la décision. Selon le CNNum, les entreprises françaises gagneraient à mieux connaître ces initiatives européennes.

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Encourager le financement de projets fondés sur l’intelligence artificielle

Le ministre de l’Economie avait déclaré, en octobre dernier, que sur les 1,5 milliard d’euros promis d’ici à 2022 dans le développement de l’intelligence artificielle en France, 650 millions seront réservés à la recherche et 800 millions aux premiers projets. Pour le CNNum, il serait judicieux de valoriser des solutions d’accessibilité numérique pour les personnes handicapées basées sur l’IA, notamment celles qui développent “des mécanismes de captation et de retranscription de la voie humaine” propose le rapport.

Certaines grandes plateformes disposent déjà de solutions d’accessibilité. Microsoft a développé plusieurs innovations, dont “Soundscape”, qui décrit l’environnement aux personnes non-voyantes lors de leurs déplacements, ou l’application “Helpicto” utilisant la reconnaissance vocale pour retranscrire les pictos. De son côté, Apple dispose notamment de la solution “VoiceOver” permettant de décrire exactement ce qui se passe lorsque l’on utilise ses produits.

Il existe des projets similaires en France. L’initiative “SubTil”, issue des travaux collaboratifs entre France Télévisions, Perfect Memory, l’Institut Mines-Telecom et Mocaplab, permet d’améliorer l’accès aux programmes TV via l’intelligence artificielle, en synchronisant le sous-titrage avec l’intelligibilité sonore et l’interprétation en langue des signes.

Au niveau de la recherche, le CNNum se dit favorable à la création d’un institut interdisciplinaire dédié à l’IA, composé d’un pôle informatique et d’un pôle pédagogique.

Le rapport alerte toutefois sur les risques posés par ces technologies en matière d’exclusion. “Les biais algorithmiques peuvent donner lieu à des discriminations selon les caractéristiques de chaque individu, notamment les différents handicaps” souligne le Conseil, prenant l’exemple des systèmes automatisés de recrutement.

Le CNNum proscrit également un usage systématique de l’intelligence artificielle, considérant qu’une description trop exhaustive des éléments visuels ou sonores pourrait faire barrage à la compréhension de l’internaute. Un certain équilibre devra donc être conservé entre “l’automatisation et la présence humaine y compris dans les dispositifs d’accessibilité numérique” indique-t-il.

Les pros ne sont pas assez formés

En 2015, des acteurs de l’enseignement supérieur, spécialisés dans la formation aux métiers du numérique, avaient signé la charte pour une meilleure prise en compte de l’accessibilité dans les formations numériques. Le Conseil constate toutefois que les professionnels du numérique sont encore insuffisamment sensibilisés et formés à ces enjeux, notamment par manque de pratique. Un constat qui résulte probablement de la “grande variété des métiers impliqués dans la chaîne de responsabilité de l’accessibilité numérique” avance-t-il.

Pour y remédier, le CNNum propose de communiquer sur les obligations en matière d’accessibilité et les sanctions potentielles. “Il serait pertinent de s’inspirer des guides édités par la CNIL pour expliquer le RGPD, car ils constituent de bons exemples en matière de sensibilisation” conseille-t-il.

Le CNNum encourage aussi la création d’un fonds public pour financer des actions de sensibilisation et de formation à destination des professionnels.

Le CNNum recommande également d’intégrer l’accessibilité numérique dans la formation initiale et continue des professionnels du numérique.

Le service public n’est pas épargné

Ce rapport, élaboré dans la perspective de la Conférence nationale du handicap du 11 février prochain, pose par ailleurs la question de l’accès aux services publics.

Le débat est ancien mais les blocages persistent. Si la loi du 11 février 2005 pour “l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées”, dit que les sites et services numériques publics doivent être accessibles aux personnes handicapées, seuls 4% des sites internet publics ont publié leur attestation d’accessibilité (confirmité RGAA) constate le CNNum.

Dans un souci de visibilité, le Conseil préconise dans son rapport de rationaliser le pilotage de l’accessibilité numérique des services publics au sein d’une Délégation Ministérielle de l’Accessibilité Numérique (DMAN). Celle-ci serait en capacité d’assurer “le suivi et la mise en oeuvre des obligations d’accessibilité” à travers un pouvoir de sanction.

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