La télé aura toujours un train de retard

France 2 a diffusé un reportage lundi soir, sobrement intitulé « Les réseaux de la colère ». Il mérite qu’on revienne dessus pour en pointer les écueils.

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Un problème d’intervenants

Pour une raison inconnue, les auteurs du documentaire ont décidé de mettre quasiment au même niveau tous les intervenants : Nicolas Hénin et Éric Morain, qui se battent pour faire appliquer la loi, un jeune qui dit sa détestation de la police, une militante d’extrême-droite, un activiste anti-safari et une dame d’un certain âge, férue de vidéos complotistes.

Tous les sujets sont effleurés sans jamais être creusés, au point qu’on se demande si l’objectif n’est pas de dire aux téléspectateurs « regardez, les réseaux sociaux sont le mal absolu et tout ce qui ne va pas dans votre vie est de leur fait ». Malheureusement, c’est aller un peu vite en besogne. Dans le cas du jeune qui dit sa détestation de la police, face caméra, on voit qu’il tient un discours calme, relativement argumenté et explique comment il en est venu à cette haine. On voit également qu’il est accro aux vidéos, mais à aucun moment, le documentaire n’explique la place qu’a pris la vidéo dans le contexte des violences policières, ni même pourquoi les vidéos sont devenues des arbitres, pour ne pas dire, des détenteurs de la vérité absolue.

Dans le cas de l’activiste anti-safari, on relève que le documentaire explique que sa démarche s’appelle du name & shame et laisse sous-entendre qu’elle n’est pas très constructive. Pour autant, il oublie aussi de dire que cette pratique a été encouragée, au début du quinquennat, par des ministres, en l’occurrence, par Marlène Schiappa. Là encore, il n’y a pas de contexte.

Véhicules

Comme si on allait nous dévoiler un grand secret, le reportage nous explique que les réseaux sociaux fonctionnent par des bulles algorithmiques : en clair, si vous regardez une vidéo de chats, on vous proposera d’autres vidéos de chats et ainsi de suite. C’est quelque chose que tout le monde peut constater, même si on ne met pas la bonne expression dessus. De la même manière, on nous explique que les réseaux sociaux sont des entreprises, qui sont là pour faire de l’argent sur nos émotions. Que reste-t-il une fois qu’on nous a énoncé ces fracassantes révélations, qui vaudront certainement le prix Albert Londres, à leurs auteurs ? À peu près rien.

Si on avait encore un doute sur la question, l’épidémie de COVID-19 nous a clairement démontré que les réseaux sociaux, en particulier Facebook, étaient l’équivalent numérique des bars PMU où Dédé venait disserter sur l’état du monde après s’être envoyé une bouteille de Pastis. On va déverser notre bile sur les réseaux sociaux, comme on va à la salle de bain satisfaire un besoin naturel. On a dit son ânerie et après, on se sent mieux. C’est exactement le même mécanisme.

Et ensuite ? Absolument rien. On sait que certains internautes sont frappés d’une forme de schizophrénie dès qu’ils sont devant un écran : ils sont très calmes dans la vie réelle et totalement délirants et hystériques dès qu’ils sont sur Twitter ou Facebook. Les réseaux sociaux ne sont qu’un véhicule, qui donne une photographie à un instant T d’une certaine opinion, finalement, au même titre que les sondages dont on est noyé chaque jour que Dieu fait en période électorale.

Hypocrisie

Y a-t-il un problème de modération sur les réseaux sociaux ? Oui. Il est plus facile de faire sauter un compte pour des questions de droits d’auteur que pour incitation à la haine. On le sait depuis la création des réseaux sociaux et on souhaite une victoire judiciaire à Nicolas Hénin et Éric Morain sur ce sujet. Pour autant, on reste fasciné devant l’hypocrisie des médias traditionnels.

Il suffit d’allumer sa télévision sur une chaîne d’information — surtout en ce moment — pour entendre des propos racistes, négationnistes, sexistes et homophobes. Une émission populaire sur une chaîne privée colporte tous les jours des contenus appelant à la haine, ne serait-ce qu’en invitant les tenants de ces discours. On peut aussi parler de l’extraordinaire couverture médiatique accordée aux complotistes, que ce soit à la télévision, à la radio ou dans les journaux. Individuellement, on est plus confronté à la haine et aux théories du complot en allumant sa télévision qu’en passant du temps sur Twitter, pour peu qu’on choisisse finement les gens que l’on veut suivre.

On fait même des éditions spéciales, à des heures de grande écoute, avec des partisans de la haine ou des théoriciens du complot. Les Pandora Papers ou les révélations concernant le traitement des prisonniers en Russie n’ont pas eu le même traitement.

Lorsque les médias traditionnels choisissent délibérément, de consacrer du temps à des sujets qui font du clic sur Twitter, au détriment d’une véritable information, qui est responsable ? Twitter ou les médias traditionnels ?

Une question de pouvoir

Dans le film le cinquième pouvoir, Julian Assange qualifie Internet de cinquième pouvoir, en insistant sur le fait que les individus ont la faculté de changer les choses à leur échelle. Sur ce point, il a parfaitement raison. Si on reprend l’exemple de la dame d’un certain âge, qui se came littéralement aux vidéos complotistes, c’est un choix de sa part. Elle tourne en boucle, à regarder des contenus totalement stupides, sans aucun fondement. On doit arrêter de considérer les partisans des théories complotistes comme des lapins de six semaines à protéger. Ils ont choisi de les regarder. Accessoirement, il suffit de faire un tour au rayon politique ou géopolitique de la FNAC, pour trouver des choses encore plus débiles.  

Quand on clique, on est conscient. On peut choisir de cliquer ou non. On peut faire le ménage sur ses réseaux sociaux, en masquant certains mots ou certains comptes, en bloquant certains contenus, en cliquant sur « je n’aime pas ». Personne ne nous force, pas même les sacro-saints algorithmes. Accessoirement, quand un gus sorti de nulle part commence à disserter dans une vidéo, en déclamant qu’il va nous livrer la vérité vraie sur tel ou tel sujet, il n’y a pas un moment où on se dit « c’est quoi ton intérêt de me sortir ça ? ». Rien n’est jamais gratuit. Le type qui fait une vidéo pour mettre en avant une méthode révolutionnaire pour maigrir, gagner de l’argent ou faire des révélations politiques, c’est qu’il a quelque chose à vendre. Que des jeunes tombent dans le panneau, on le comprend, c’est normal, ça fait partie de l’apprentissage. Quand ce sont des adultes, à la retraite, on sait qu’ils sont perdus pour la science.

En réalité, c’est vous qui avez le pouvoir de changer les choses. Quand une vidéo de chatons fera plus de clics et de partages que des propos orduriers sur les réseaux sociaux, peut-être que les dinosaures des médias arrêteront de vous survendre des haineux à tous les repas et qu’on sera tous de meilleure humeur.

Miaou.   

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