La taxe d’habitation baisse… sur les terres des Gilets jaunes – Le Parisien
Elle se réduit comme peau de chagrin, et les contribuables concernés ne s’en plaignent pas. Cet automne 2019, 80 % des Français redevables d’une taxe d’habitation (TH) — au titre de leur résidence principale — bénéficient ainsi d’un dégrèvement de 65 %. De quoi mettre du beurre dans les épinards… Mais où ces baisses de TH — l’une des mesures phares du programme d’Emmanuel Macron — s’opèrent-elles majoritairement? Le Parisien-Aujourd’hui en France dévoile en exclusivité la répartition territoriale des foyers bénéficiaires de la mesure en 2019, département par département.
Une carte superposable à celle de la France… des Gilets jaunes
Bien sûr la carte des Gilets jaunes n’existe pas en tant que telle, mais globalement, la proportion de foyers bénéficiaires est très élevée dans les départements où le mouvement a été particulièrement virulent. Les Français sont ainsi les plus nombreux à profiter des baisses de taxe d’habitation « dans les territoires des villes moyennes et du monde rural, où la proportion de bénéficiaires dépasse le plus souvent 85 %, voire 90 % des foyers fiscaux », se félicite-t-on au ministère de l’Action et des Comptes publics.
Sur la carte, ces zones bleu foncé (de 85 % à plus de 90 % de bénéficiaires) sont particulièrement visibles au centre de la Bretagne, dans le Massif central et, d’une façon générale, tout le long de la « diagonale du vide » qui s’étend de la Meuse aux Landes.
« Ces zones correspondent au rural profond, qui regroupe environ 10 000 communes dans l’Hexagone », décrypte Laurent Davezies, titulaire de la chaire Économie et développement des territoires au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). « Dans ces espaces ruraux et périurbains, les deux tiers de la population active sont constitués d’ouvriers, d’employés et de professions intermédiaires -infirmiers, enseignants, etc. », souligne de son côté Anne Lambert, chercheuse à l’Institut national d’étude démographique (Ined).
Une mesure de justice sociale
La suppression progressive de la taxe d’habitation, lancée l’an passé, profite donc avant tout aux classes populaires et moyennes. « Cette carte des bénéficiaires des baisses de taxe d’habitation, qui est aussi la carte des riches et des pauvres en France, confirme le fait que la mesure est redistributive », observe Laurent Davezies, en soulignant néanmoins qu’elle ne profite pas aux catégories les plus modestes « car elles étaient déjà exonérées de taxe d’habitation ».
De fait, le gouvernement présente la suppression de cette taxe pour 80 % des Français comme l’une de ses principales mesures de justice sociale, censée booster le pouvoir d’achat des classes moyennes. « Cette carte montre l’impact de la mesure France périphérique d’Emmanuel Macron, s’amuse Virginie Pradel, fiscaliste et présidente de l’Institut fiscal Vauban. C’est un peu le pendant de la réforme de la fiscalité du capital au début de quinquennat, laquelle, représentée sur une carte, ferait très sensiblement apparaître Paris et Neuilly-sur-Seine… »
Plus de pouvoir d’achat dans les départements ruraux ou sinistrés
« Le gain de pouvoir d’achat (NDLR : lié à la suppression progressive de la TH) au niveau national représente 1,26 % du revenu fiscal moyen de référence en 2019 », détaille-t-on au ministère des Comptes publics. Mieux : les disparités régionales profitent aux départements les plus pauvres.
Dans la Creuse comme dans le Pas-de-Calais, par exemple, le gain moyen représente ainsi 1,47 % du revenu fiscal de référence (RFF). En revanche, dans les départements des Hauts-de-Seine (l’un des plus riches de France), le gain moyen représente 0,99 % du RFF. Un argument a priori en faveur du fort pouvoir redistributif de la mesure… Mais gare aux effets d’optique, préviennent les spécialistes.
Un effet redistributif seulement jusqu’en 2023
« La carte donne l’impression que la réforme est une mesure de justice sociale et territoriale mais attention au trompe-l’œil. Il s’agit d’une photographie à l’instant T, c’est-à-dire en 2019, met en garde Anne Lambert. Dès 2023, les 20 % de Français restants, à savoir les plus aisés, ne paieront plus la TH. L’effet redistributif sera largement atténué… »
Par ailleurs, « le montant récupéré sur la TH, en valeur absolue, est plus élevé dans les communes où la taxe est élevée, c’est-à-dire dans les métropoles », souligne la chercheuse. Dit autrement : les habitants des villes vont récupérer plus d’argent, en espèces sonnantes et trébuchantes, que ceux des territoires ruraux ou périurbains.