La loi Avia contre la haine en ligne largement retoquée par le Conseil constitutionnel – Le Monde

Le Conseil constitutionnel a largement censuré, jeudi 18 juin, la controversée proposition de loi contre la haine en ligne, portée par la députée La République en marche (LRM) de Paris Laetitia Avia et fortement soutenue par le gouvernement. Adoptée le 13 mai dernier, la loi devait entrer en application au 1er juillet, mais elle est désormais privée d’une très grande partie de sa substance.

Le juge constitutionnel a censuré la disposition-phare du texte, l’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer, dans les vingt-quatre heures, sous peine de sanctions pénales, les contenus « haineux » qui leur sont signalés. Pour le Conseil constitutionnel, ce mécanisme n’est en effet pas compatible avec la liberté d’expression. Il donne ainsi raison aux opposants du texte, qui dénonçaient les risques de surcensure des messages postés par les utilisateurs de plates-formes en ligne, comme Facebook, Twitter, Snapchat ou YouTube (propriété de Google).

La décision contre l’obligation de retrait en vingt-quatre heures est un revers pour les défenseurs de la loi. « C’est le cœur du texte », affirmait Mme Avia, pour justifier, en mai 2019, le maintien de cette disposition déjà controversée. Ce versant était proche de l’esprit de la loi allemande NetzDG concernant les réseaux sociaux, adoptée en janvier 2018 et elle aussi contestée.

Simple signalement

Pour appuyer sa décision, le Conseil constitutionnel pointe notamment le fait que les réseaux sociaux étaient, selon la loi, censés se prononcer sur la simple base d’un signalement d’un de leurs utilisateurs, sans l’intervention d’une autorité extérieure comme un juge. Par ailleurs, les membres du Conseil constitutionnel ont noté que le dispositif imaginé par la loi Avia imposait à ces mêmes entreprises de prononcer une évaluation juridique précise de chacun des propos signalés, alors même que cette évaluation pouvait revêtir une « technicité juridique » ou dépendre du « contexte » dans lequel ils ont été publiés. Le tout dans un « délai extrêmement bref ». Tout en les exposant à une sanction pénale dès la première erreur.

Bref, résume le Conseil constitutionnel, la loi incitait « les opérateurs de plate-forme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites ». Le texte portait donc « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».

Le volet préventif de la loi lui aussi retoqué

L’autre dispositif répressif de la loi est aussi retoqué par le Conseil constitutionnel, ce dernier ayant également jugé incompatible avec la Constitution l’obligation faite à ces mêmes réseaux sociaux de supprimer en une heure tout contenu pédopornographique ou terroriste qui leur serait signalé par les autorités. Le Conseil constitutionnel souligne que cette catégorisation était « soumise à la seule appréciation de l’administration » et que le délai d’une heure empêchait matériellement toute intervention judiciaire. Là aussi, la liberté d’expression a été méconnue, selon le Conseil.

La proposition de loi Avia comportait, outre ces dispositions répressives, un volet plus préventif. Ce deuxième versant du texte étant directement imbriqué dans les deux dispositions censurées, il est de facto censuré par le Conseil constitutionnel.

Ce volet visait à imposer aux plates-formes d’expression en ligne de simples obligations de moyens : proposer un mécanisme de signalement des contenus ; être transparent sur l’activité de modération ; le nombre de contenus retirés ; le délai, le motif, le taux d’erreur… Mais aussi mettre en place un mécanisme d’appel en cas de contestation et coopérer avec la justice. Autant de devoirs dont l’application aurait dû être confiée au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui a le pouvoir de demander aux réseaux sociaux des informations, des rapports et de sanctionner lourdement en cas de manquement.

Un « camouflet » pour le gouvernement

Rendu public début 2019, le texte de Mme Avia s’était attiré de nombreuses critiques. « Il ne s’agit pas de renoncer à ce combat pour la protection des internautes, victimes ou témoins de la haine en ligne », a réagi la députée dans un communiqué, jugeant que l’avis du Conseil constitutionnel devait être une « feuille de route pour améliorer un dispositif que nous savions inédit et donc perfectible ».

Ses opposants se réjouissaient, de leur côté, de cette large censure du Conseil constitutionnel. Bruno Retailleau, le président du groupe Les Républicains au Sénat, où la loi Avia avait rencontré une forte opposition, a salué « un véritable camouflet » infligé au gouvernement, ainsi que la censure d’« un texte aussi liberticide que mal ficelé qui donnait au GAFA un véritable pouvoir de censure ».

« Lourde défaite pour [Nicole] Belloubet », la garde des sceaux, a exulté sur Twitter Jean-Luc Mélenchon. « La loi Avia contre la haine en ligne est quasi entièrement censurée par le Conseil constitutionnel. La volonté liberticide en échec », a encore lancé le leader de La France insoumise.

« La décision est bienvenue car elle rappelle le rôle essentiel du juge pour qualifier et apprécier les contenus en ligne », se félicite également Jean-Sébastien Mariez, avocat du cabinet De Gaulle Fleurance & Associés, représentant Tech in France – une association d’entreprises numériques, parmi lesquelles figurent Facebook ou Google.

Il ne reste de la loi que des dispositions relativement « mineures », ajoute l’avocat : la création d’un parquet spécialisé dans la haine en ligne, chargé des enquêtes judiciaires sur des messages postés sur Internet ; la simplification, pour l’internaute, de la procédure de signalement d’un contenu ; ou la création d’un « observatoire de la haine en ligne », auprès du CSA.

Mise à jour du 18 juin, 18 h 30 : contrairement à ce que nous écrivions initialement, le deuxième volet, plus préventif, de la loi Avia a également été censuré par le Conseil constitutionnel.

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