La hausse de 2 °C de la température mondiale serait apocalyptique, prédit un rapport du Giec – Reporterre

L’humanité est au seuil d’une catastrophe majeure et le dérèglement climatique est en train de prendre une tournure apocalyptique. C’est en substance le contenu d’un document interne du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) que l’Agence France Presse s’est procuré. Dans un résumé technique de 137 pages, plusieurs centaines de scientifiques affirment que les conséquences dévastatrices du réchauffement sur la nature et l’humanité vont s’accélérer. Ses effets risquent d’être palpables bien avant 2050, prédisent-ils. Certains seront même inéluctables, quel que soit le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, d’après le Giec, l’extinction des espèces, la malnutrition et les pénuries d’eau sont d’ores et déjà inévitables.

L’une des grandes nouveautés introduites par ce document est l’abaissement du seuil au-delà duquel le réchauffement peut être considéré comme acceptable. Le Giec estime désormais que dépasser les 1,5 °C de hausse des températures par rapport à l’ère préindustrielle pourrait entraîner, « progressivement, des conséquences graves, pendant des siècles, et parfois irréversibles ». Ces analyses rendent caduc l’accord de Paris de 2015 où les pays du monde s’étaient engagés à limiter le réchauffement à 2 °C. Une action jugée insuffisante si l’on veut éviter la catastrophe.

Des habitants à Breil-sur-Roya, dans les Alpes-Maritimes, en octobre 2020, après les violentes intempéries liées à la tempête Alex. © Valéry Hache/AFP

En outre, les scientifiques rappellent que le seuil de 1,5 °C est presque atteint. Depuis le milieu du XIXe siècle, les températures moyennes ont augmenté de 1,1 °C. Selon l’Organisation météorologique mondiale, rattachée à l’ONU, la probabilité que ce seuil soit dépassé dès 2025 est de 40 %.

Presque toutes les zones côtières pourraient être frappées par trois ou quatre catastrophes météorologiques simultanées

Le ton du document est alarmiste. « La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes, écrivent les scientifiques. Mais l’humanité, elle, ne le peut pas. […] Le pire est à venir, poursuivent-ils, avec des implications sur la vie de nos enfants et nos petits-enfants bien plus que sur la nôtre. »

À l’heure actuelle, l’humanité n’est pas en mesure de faire face aux dégradations entraînées par le réchauffement climatique, préviennent les auteurs du rapport. « Dans tous les systèmes de production alimentaire, les pertes soudaines s’accroissent », notent-ils. Même en limitant la hausse à 2 °C, jusqu’à quatre-vingt millions de personnes supplémentaires auront faim d’ici à 2050 et 130 millions pourraient tomber dans la pauvreté extrême d’ici à dix ans, énumère le Giec. Si la température augmente de 1,5 °C à 2 °C, 1,7 milliard de personnes supplémentaires seront exposées à de fortes chaleurs, 420 millions à des chaleurs extrêmes et 65 millions à des canicules exceptionnelles tous les cinq ans. En 2050, des centaines de millions d’habitants de villes côtières seront menacés par la hausse du niveau de la mer, ajoute-t-il.


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Pour certains espèces et écosystèmes, il est peut-être déjà trop tard. Les scientifiques mettent en avant le cas des récifs coralliens, dont un demi-milliard de personnes dépendent. Ils évoquent aussi l’avenir en sursis des animaux de l’Arctique, un territoire qui se réchauffe trois fois plus vite que la moyenne. « Même à 1,5 °C, les conditions de vie vont changer au-delà de la capacité de certains organismes à s’adapter », souligne le rapport. Certaines régions (est du Brésil, Asie du Sud-Est, Chine centrale) et presque toutes les zones côtières pourraient être frappées par trois ou quatre catastrophes météorologiques simultanées, avec des canicules, des sécheresses, des cyclones, des incendies, des inondations, etc.

« Une transformation radicale est nécessaire »

Nous entrons donc dans une ère d’incertitudes où tout peut s’emballer. Les scientifiques mentionnent dans leur document les différents « points de bascule » qui peuvent entraîner le climat mondial vers des changements violents. Par exemple, au-delà de 2 °C, la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest pourrait nous amener à un point de non-retour. L’Amazonie, elle, serait transformée en savane.

La fuite de ce document intervient à un moment clé. En novembre prochain, des négociations internationales se dérouleront lors de la COP26 à Glasgow (Écosse). Mais le rapport d’évaluation complet du Giec, lui, ne sera officiellement publié qu’en février 2022, soit trop tard pour peser sur les réunions cruciales de cet automne.

La forêt amazonienne en 2005 lors d’un épisode de sécheresse. Elle pourrait devenir une savane, prédit le Giec. Nasa/JPL-Caltech)

La publication de ce prérapport pourrait y remédier et servir d’électrochoc. Dans le document, les scientifiques appellent, en effet, à « une transformation radicale », « à tous les niveaux possibles : individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernement ». « Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation », plaident-ils.

Pour Amy Dahan, directrice émérite de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ce discours révèle que le Giec se politise de plus en plus. « Il ne faut pas croire que les scientifiques sont en dehors de tout, enfermés dans leur tour d’ivoire, dit-elle à Reporterre. Au contraire, ils sont dans le monde réel, eux aussi, ils vivent ce schisme violent entre d’un côté les beaux discours des gouvernants et de l’autre la réalité des courbes, la montée inéluctable du réchauffement climatique. Eux aussi aimeraient un sursaut ! »

« L’effondrement fait partie des scénarios futurs plausibles »

Depuis 2015, leur positionnement a évolué, note la chercheuse. « Le Giec est de plus en plus engagé dans une démarche d’alerte maximale et de mobilisation. Le ton qu’il utilise dans leur rapport a changé, il a toujours été alerte mais maintenant il est devenu carrément dramatique », ajoute-t-elle. Cela traduirait, d’après la chercheuse, le fait que « les thèses portées par la collapsologie sont de plus en plus répandues y compris chez les scientifiques. Avec ce document, on introduit l’idée que l’effondrement fait partie des scénarios futurs plausibles », poursuit-elle.

Le Giec s’est gardé de tout commentaire. Dans un communiqué publié sur son site, il relève que « le travail est toujours en cours ». Les climatologues français membres du Giec, Valérie Masson-Delmotte ou Christophe Cassou ont également refusé les sollicitations. « Ce n’est pas sérieux de la part de l’AFP de se baser sur ces documents-là, en cours de finalisation et de validation », dit ce dernier à Reporterre.

François Gemenne, l’un des coauteurs du rapport, enchérit : « Il s’agit d’une version provisoire datant de novembre 2020. La version actuelle est très différente », affirme-t-il à Reporterre. « Le brouillon diffusé à la presse ne prend pas en compte une étape essentielle du processus de production des rapports du Giec : l’intégration des commentaires rédigés par la communauté scientifique. Or, sur ce rapport, il y en a eu près de 40 000, dit-il. Si on divulgue des résultats avant l’issue de ce processus, on porte atteinte à la crédibilité des travaux du Giec dans son ensemble. »

Il n’empêche que la publication de ce document a déjà fait l’effet d’une bombe dans la sphère médiatique. La dépêche AFP a été reprise dans tous les médias nationaux et le hashtag #giec était parmi les plus partagés aujourd’hui sur Twitter.

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