La digitalisation de la fiscalité provoquera-t-elle l’essor du marché taxtech en France ?

Taxtech est un terme rare, opacisé par son appartenance multiple aux secteurs fintech, legaltech et SaaS, mais désormais les changements réglementaires en cours et à venir pourraient accélérer une explosion de ce marché en France. Parmi ceux-ci, l’implémentation de la facturation électronique obligatoire pour les transactions inter-entreprises à compter de 2024, accompagnée d’un ensemble de réformes de type contrôles transactionnels en continu.

Encore à ses balbutiements dans son acception B2B, quelques belles levées de fonds ont déjà lieu dans la taxtech B2C, à l’instar de la berlinoise Taxfix, qui a levé 65 millions d’euros en série C en 2020, ou la française Climb (ex-TacoTax), ayant réussi un tour de table à la hauteur de 10 millions d’euros en début d’année. Autant de signaux suffisamment forts que la digitalisation de l’administration fiscale, qui a favorisé l’émergence de solutions technologiques pour accompagner les personnes physiques face au Léviathan, est susceptible d’engendrer autant, voire davantage, de solutions pour accompagner les personnes morales.

Si des marchés comme la fintech ou la regtech sont devenus prometteurs grâce à des réformes comme celle l’open banking en Europe, un développement analogue est en pleine évolution concernant la fiscalité.

Jusqu’ici la réglementation de la TVA n’a pas encore massivement transitionné vers le digital. Hormis quelques pays pionniers à l’instar de l’Italie, qui a opté pour la facturation électronique obligatoire dès 2019, les administrations fiscales européennes ont rechigné à imposer des solutions innovantes basées sur la technologie. Néanmoins, la mue a déjà bien commencé.

Dans un cadre plus général, l’approche digitalement volontariste des autorités depuis le survenir de la pandémie avec le pass vaccinal, a démontré qu’une telle démarche pouvait être couronnée de succès. Au niveau européen, avec le succès de la coordination, en moins d’un an, de certificats de vaccination COVID-19 automatiquement vérifiables et reconnus légalement non seulement dans l’UE mais dans une soixantaine de pays, les autorités ont pris beaucoup de confiance en leur capacité de pouvoir impulser le développement et la normalisation technique par des projets communs avec le secteur privé. 

Plus spécifiquement, concernant la fiscalité, l’exemple de l’Amérique Latine, pionnière mondiale de facturation électronique, a profondément contribué à modifier le regard que les gouvernements d’Europe portaient sur la digitalisation de l’impôt.

Les échanges de données commerciales B2B et B2C en Amérique du sud ayant été radicalement transformées par l’implémentation des contrôles transactionnels en continu, éditeurs et opérateurs ont réussi à s’insérer dans des marchés jusqu’alors dominés par des solutions EDI traditionnelles car ces dernières peinaient à s’adapter à ce nouvel échiquier, mû par des dynamiques règlementaires.

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La facturation électronique : l’épreuve du feu

Comme sus-évoqué, jusqu’à ce jour la réglementation fiscale en Europe a évolué lentement par rapport à la digitalisation. Néanmoins, l’entrée en vigueur de la facturation électronique obligatoire pour les 3,8 millions d’entreprises en France relève d’une épreuve du feu concernant l’émergence d’un marché taxtech en France.

Premièrement, la facture occupe une place prépondérante parmi les documents. Celle-ci a une fonction à la fois commerciale, fiscale, douanière, juridique, comptable et financière et la modification de la manière dont elle est échangée transforme radicalement le contexte de l’intégration des données entre entreprises.

Aussi, non seulement cette réforme entend combler un écart de TVA lié à la fraude, mais elle permettra une collecte d’informations utiles à la prise de décision dans le cadre macro-économique. En dehors d’instruments fiscaux comme la politique de variation de taux de TVA pour soutenir certaines activités ou secteurs, les autorités peuvent utiliser des techniques modernes d’analyse de données pour mieux comprendre la valeur des stocks des entreprises, l’évolution des prix pour les consommateurs, les délais de paiement concernant les PME, l’évolution de la concurrence, etc.

Généralement bien accueillie par les entreprises (84% perçoivent la réforme comme une opportunité selon l’IFOP), la facturation électronique ne les laisse pas sans interrogations pour autant.

Si selon l’IFOP 71% des grandes entreprises estiment que la facturation électronique sera facile à mettre en place, selon Ernst & Young, 95% d’entre elles craignent toutefois que l’interconnectivité des administrations fiscales, liée à la digitalisation, ne les expose à un risque accru de non-conformité ou de contentieux multidimensionnels et internationaux liés à la fiscalité.  Face à cette crainte, les professionnels du chiffre et du droit auront pour mission d’accompagner les d’entreprise dans l’implémentation de cette “nouvelle” fiscalité. 

Toujours selon l’IFOP, près d’une PME sur deux n’a pas encore mis en place la facturation électronique, et 33% des entreprises craignent de ne pas disposer de suffisamment de ressources en interne pour cette implémentation.Pour une raison ou pour une autre, toutes les entreprises se retrouveront en grande nécessité de solutions digitales intuitives pour les épauler au cours de cette transition, dans l’idéal des extensions transparentes de leurs outils existants. L’attente plus que légitime de la part des entreprises d’une intégration fluide entres outils nécessitera une évolution vers un écosystème interopérable de progiciels pour tous les secteurs de l’économie.

Envoyer, recevoir ou payer une facture devrait être aussi intuitif que d’organiser une visioconférence ou de collaborer en équipe sur un document en ligne. Nous sommes encore très loin de cet objectif. La réforme fiscale vers la facturation électronique obligatoire crée un moment de ‘destruction créatrice’ de systèmes de communications B2B qui engendre de belles opportunités pour les éditeurs et opérateurs novateurs.

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