La cruauté détachée du tueur de l’Hyper Cacher – Le Figaro

«Tu t’appelles comment?

– Philippe.

– Philippe comment?

– Philippe Braham.»

Deux coups de feu claquent. Philippe Braham vient d’être assassiné parce qu’Amedy Coulibaly, à son nom, a déduit qu’il était juif.

Les assises de Paris ont débuté, lundi, l’examen de la prise d’otages du vendredi (jour du shabbat) 9 janvier 2015 à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Le terroriste s’était équipé d’une caméra GoPro, afin de pouvoir propager immédiatement sur internet les images de son carnage. Celles-ci n’ont pas été diffusées devant la cour, mais une retranscription de la bande-son a été lue par le président. Des captures d’écran tirées de la vidéosurveillance permettent aussi de se faire une idée de l’épouvante.

À peine entré dans le magasin, Amedy Coulibaly, surarmé et détenteur de vingt bâtons de dynamite, tire sur un client coiffé d’une kippa qui pousse paisiblement son chariot. Yohan Cohen, gravement blessé, s’effondre – il sera achevé une demi-heure plus tard, ses gémissements indisposant le meurtrier.

Puis, M. Braham tombe à son tour.

François Saada se retrouve nez à nez avec la kalachnikov du djihadiste, esquisse un demi-tour. Trop tard : une balle le fauche.

À cet instant, alors qu’une caissière, sous la menace, entreprend de baisser le rideau de fer, se présente un client qui ignore les signes de l’employée: François Saada se retrouve nez à nez avec la kalachnikov du djihadiste, esquisse un demi-tour. Trop tard: une balle le fauche. Au fond du magasin, Yoav Hattab remarque l’autre fusil d’assaut que le terroriste a posé sur des sacs de farine. Après une brève réflexion, il s’en empare et vise le tueur. L’arme s’enraye. Pas celle d’Amedy Coulibaly, qui fauche froidement Yoav l’intrépide. Une fois celui-ci au sol, il reçoit un coup de pied en plein visage.

En un quart d’heure, Amedy Coulibaly assassine quatre hommes. Parce qu’ils sont juifs.

Revendications délirantes

S’ensuit un siège de plusieurs heures. Dix-sept personnes, dont un bébé – que sa mère allaite, cachée dans une chambre froide – et un enfant de 3 ans, sont à la merci d’un homme qui peut, à tout moment, faire sauter l’immeuble. Les revendications du fanatique sont délirantes: retrait des forces françaises des pays où l’État islamique tente de s’imposer par la force, venue sur place du président de la République et du premier ministre, libération d’individus condamnés pour des actes de terrorisme… Amedy Coulibaly, qui parle par téléphone avec plusieurs journalistes pendant la prise d’otages, est soucieux de sa réputation: il gourmande BFMTV, parce que les bandeaux défilant en bas de l’écran omettent de signaler qu’il y a quatre morts. Il prévient également que s’il arrive malheur aux démons de Charlie Hebdo, les frères Kouachi, retranchés au même moment dans une imprimerie de Seine-et-Marne, il tuera tous ses otages. Quand les Kouachi sont neutralisés, il devient urgent de donner l’assaut à Paris: Amedy Coulibaly meurt aussi ce 9 janvier, vers 17 h 10.

Ultime séquence de la série des 7, 8 et 9 janvier 2015, l’attaque de l’Hyper Cacher sidère par son antisémitisme assumé, la cruauté détachée de l’auteur des faits. Celui-ci, dont on entend la voix enregistrée par BFM, semble posé, sûr de ses gestes et de ses motivations. Un journaliste l’interroge, comme si on pouvait interviewer n’importe qui dans n’importe quelles circonstances, sans se rendre compte que ces questions finissent par irriter le forcené qui coupe court: «Ça suffit pour le moment. Transmettez mon numéro à la police».

Anne Hidalgo entendue

En milieu d’après-midi, malgré la protestation symbolique de la défense, la cour entend Anne Hidalgo, en vertu du pouvoir discrétionnaire et fort bienveillant du président. Citée à la demande d’associations (SOS-Racisme, Licra et UEJF), la maire de Paris, peut-être candidate à la présidentielle de 2022, est sans doute flattée de participer à un «procès historique» et filmé. Que retiendra la postérité de sa déposition? Que Mme Hidalgo proclame, aujourd’hui encore: «Je suis Charlie.» Que la Ville avait relogé le journal après un incendie. Que le Conseil de Paris a attribué «la citoyenneté d’honneur» à l’hebdomadaire décimé, dont les dessinateurs et les journalistes se moquaient à gorge déployée de tous les honneurs.

On se souvient alors des phrases prononcées ici, le 8 septembre, par Jérémy, pour évoquer son ami Frédéric Boisseau, agent de maintenance tué par les Kouachi au rez-de-chaussée de l’immeuble de Charlie. Dans chacun de ses mots, il y avait une larme pour la vie volée et un sourire pour «Frédo», le copain dont le souvenir est inaltérable. Anne Hidalgo, elle, restera comme le témoin de la compassion officielle. Cette compassion ennuyeuse et froide comme le marbre d’une stèle qu’on fleurit une fois l’an.

» À VOIR AUSSI – Zarie Sibony, otage de l’Hyper Cacher, raconte les «quatre heures les plus horribles» de sa vie

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