La crise en Urkraine met la production électrique sous très haute tension

La crise en Urkraine met la production électrique sous très haute tension

La disponibilité et le coût abordable de l’énergie électrique sont des facteurs déterminants pour que l’Europe tienne ses engagements de neutralité carbone en 2050. La guerre en Ukraine bouleverse les équilibres et les trajectoires initialement imaginés, obligeant tous les acteurs, des producteurs aux consommateurs à repenser leurs feuilles de route.

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Pourquoi et comment la crise en Ukraine change la donne ?

Le déclenchement de la crise en Ukraine a provoqué un choc immédiat sur les marchés de l’énergie. Une récente étude d’Euler Hermès anticipe à cet effet un impact sur la croissance de la facture énergétique des ménages européens de +30% en 2022. Ce choc s’ajoute aux fortes tensions engendrées par la reprise rapide de l’économie mondiale en phase de sortie de l’épidémie de Covid. 

Le fonctionnement du marché unique européen de l’électricité et sa progressive libéralisation depuis la directive de 1996 (96/92/CE) font que le prix du MWh est déterminé par une logique de coût marginal de production de la dernière centrale qu’il faut mettre en service pour couvrir la demande et non pas en fonction du coût de production (nucléaire, éolien, solaire, gaz, charbon, …).

En clair et suivant un principe environnemental, lorsque la demande augmente, les centrales les moins polluantes sont sollicitées en premier et par conséquent les centrales à gaz et charbon sont très souvent les dernières à être mises à contribution.

Et ce sont ces dernières qui pèsent ainsi fortement sur la fixation du prix de gros de l’électricité. D’après Eurostat, la Russie fournissant 48,4% des importations de gaz naturel de l’Union Européenne, la géopolitique influence directement les cours. C’est pour cela, entre autres, que la Commission Européenne réfléchit actuellement à un potentiel découplage du prix de l’électricité de celui du gaz.

Quelle que soit l’issue du conflit à moyen ou à long terme, les conséquences seront profondes car cette situation impose aux pays européens de revoir leur stratégie énergétique globale, alignée sur l’atteinte de la neutralité carbone à horizon 2050.

L’Allemagne a avancé son objectif de neutralité carbone à 2045, en choisissant d’éliminer le nucléaire en 2022, le charbon en 2030 et le gaz en 2040 comme énergies primaires dans sa production d’électricité. En 2020, d’après une étude du Jacques Delors Energy Center, le mix électrique allemand était composé à 45% d’énergies renouvelables, 23% de charbon, 16% de gaz et à 11% de nucléaire.

L’extrême dépendance au gaz naturel russe et la remise en question du gazoduc Nord Stream 2 renforcent ainsi l’impératif de mise en production massive d’installations d’énergies renouvelables chaque année, dans un contexte de résistance locale accrue et de règlementations des Länder compliquant parfois le déploiement de parc éoliens terrestres. La pression à court terme devient donc extrêmement forte. Par ailleurs, le gaz était censé amortir l’intermittence des énergies renouvelables en attendant que l’hydrogène « vert » ou des batteries prennent le relais.

La France, moins dépendante au gaz russe, est résolument tournée vers le nucléaire et va devoir rapidement régler ses problèmes de disponibilité de ses centrales (27 réacteurs actifs sur 56), maîtriser le coût des nouvelles installations tout en accélérant fortement le développement des énergies renouvelables.

Toutes les strates de la société sont touchées avec, pour certaines, des effets immédiats.

Des maires de certaines villes françaises, ne bénéficiant pas du bouclier tarifaire, ont dû limiter drastiquement ou suspendre l’éclairage public dont le coût a pu s’accroître de +30% à +40%. Des sociétés dites « électro-intensives » comme celles actives dans la production d’aluminium, de ferro-alliages, de plastique PVC se retrouvent particulièrement exposées. Et les exemples sont légion dans les ETI et les PME.

L’électrification de secteurs entiers devient un enjeu stratégique

De nombreuses études convergent vers une prédiction du doublement de la demande en électricité en Europe d’ici 2050. L’électrification de secteurs entiers de l’économie comme les transports, l’industrie, le tertiaire et le bâtiment est à l’origine de cette forte demande. Dans le même temps, l’intensité carbone de la production de cette énergie va devoir poursuivre sa décrue sachant qu’il existe une grande disparité entre les pays européens. Ainsi en 2020, la Pologne ou l’Estonie se retrouvaient bien au-dessus de la moyenne alors que la France ou la Suède, en dessous.

Face à une complexité croissante de la gestion de l’électricité de bout-en-bout, des investissements lourds seront nécessaires à tous les niveaux, des infrastructures aux solutions de pilotage y compris pour les entreprises et les particuliers. Ces dernières doivent être en prise directe non seulement avec les installations mais aussi avec tout leur écosystème pour être en mesure de faire levier sur les données en temps-réel (IoT) et avec l’appui de l’intelligence artificielle et pour optimiser l’efficience opérationnelle énergétique. Ainsi, ENEL, principal producteur et distributeur d’électricité en Italie se transforme sur un modèle « Utility-as-a-Platform » en découplant les flux de données, les infrastructures, les clients, les services pour répondre aux enjeux d’un monde plus agile, interconnecté et organisé autour d’écosystèmes. Une meilleure interconnexion des réseaux entre les pays est également jugée stratégique.

Il sera aussi important d’accélérer le développement de la production d’énergie électrique décentralisée et bidirectionnelle avec la participation des particuliers et des entreprises. A ce titre, l’Allemagne avec l’E.E.G (Loi sur les Energies Renouvelables) a su créer les conditions pour que les citoyen.ne.s détiennent déjà 40% des capacités de production d’énergies renouvelables. L’exemple d’EWS (Elektrizitätswerke Schönau eG), créé en 1996, montre comment une coopérative a pu se développer pour fournir aujourd’hui plus de 220 000 clients dans le pays.

La sobriété énergétique reste un axe fort d’amélioration car l’augmentation de la demande liée à l’électrification n’implique pas de négliger la frugalité des usages des individus et des entreprises. En 2020, la majorité du trafic internet mondial a transité par les data centers. Ce trafic a augmenté de +40%, porté principalement par les usages de flux vidéo (dont visio-conférences), les jeux en ligne et les réseaux sociaux. D’après une étude de novembre 2021, l’International Energy Agency (IAE) estime que les data centers ont utilisé en 2020, 1% de la demande d’électricité globale, soit entre 200-250 TWh (excluant le minage de crypto-monnaies).

Les opérateurs de réseaux de télécommunications s’attèlent également à cette tâche, notamment avec le déploiement de la 5G. Entre 2015 et 2020 le groupe espagnol Telefónica a réduit sa consommation d’électricité de 2% alors que le trafic sur ses réseaux avait été multiplié par cinq.  Après une phase d’essor du cloud et la promesse de ressources illimitées, il s’agit désormais pour les entreprises de services du numérique (ESN) de penser systématiquement les architectures, le code des solutions qu’elles réalisent et son exécution de manière à ce qu’ils minimisent la consommation de ressources dans les data centers.

L’électricité, élément clé de notre transformation bas-carbone

D’ici à 2050 l’électricité va jouer un rôle central dans la transition vers une société neutre en carbone, notamment en Europe. L’ensemble des acteurs européens sont mobilisés : les Etats, les collectivités, les citoyen.ne.s, les entreprises et les institutions académiques. L’émergence d’une logique de production et de distribution plus décentralisée et plus interconnectée va favoriser la création de nouveaux modèles opérationnels et d’affaires. 

Nous sommes donc face à une formidable révolution à mener en quelques années avec un poids considérable sur les décideurs publics et une capacité d’adaptation sans précédent demandée à tous les acteurs de la société.

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