La chute de l’écrivain Gabriel Matzneff – Le Figaro

Le livre à paraître de Vanessa Springora, une éditrice racontant sa relation sous emprise, à 14 ans, avec l’écrivain alors quinquagénaire Gabriel Matzneff, fait déjà scandale. Pendant plus de quarante ans, l’homme aura décliné à l’envie dans ses livres, comme à la télévision, son goût pour les adolescentes de moins de 15 ans et pour le tourisme sexuel avec de petits garçons en Asie. Sans que quiconque ne s’en offusque dans le milieu littéraire et journalistique. Il reçoit d’ailleurs de l’argent public pour son œuvre parce qu’elle a «incontestablement contribué au rayonnement de la littérature d’expression française», selon le Centre national du livre. Vanessa Springora révèle dans son livre, Le Consentement, qu’il bénéficierait de cette allocation depuis une quinzaine d’années, entre 7000 et 8000 euros par an, accordée aux écrivains jugés à la fois doués et nécessiteux financièrement. Portant son «soutien» à «toutes les victimes» de l’écrivain, le ministre de la Culture, Franck Riester, a rappelé samedi que «l’aura littéraire n’est pas une garantie d’impunité». Il a demandé au Centre national du livre de lui fournir «toutes les précisions» concernant cette allocation.

Il reçoit par ailleurs le minimum vieillesse, environ 800 euros, raconte-t-il dans son dernier livre, L’Amante de l’Arsenal, paru en octobre 2019. Il occupe un appartement de la ville de Paris de 33 mètres carrés, attribué en 1994, sous la mandature de Jacques Chirac. «La Ville ne dispose aujourd’hui d’aucune base légale pour demander le départ de M. Matzneff, celui-ci étant en dessous du plafond de revenus requis et ayant plus de 65 ans», a fait valoir la mairie.

Matzneff était jusqu’ici ignoré du grand public. Tout a changé avec une séquence télévisée exhumée du passé

Si Matzneff se plaint de temps à autre de manquer d’argent – ses livres se sont toujours chichement vendus même s’il est publié dans des maisons prestigieuses – il ne cesse, dans L’Amante de l’Arsenal, son journal tenu entre 2016 et 2018, de raconter ses voyages en Italie ou à Bruxelles. Ou ses dîners dont il décrit avec force détails le goût du caviar, des truffes et des bons crus dans des restaurants parisiens ou napolitains réputés. Chrétien orthodoxe pratiquant, il partage son temps entre les offices religieux, la surveillance de son poids, les problèmes médicaux inhérents à la vieillesse et la séduction de telle jeune étudiante qu’il finit toujours par emmener faire un tour dans sa «garçonnière». Une étudiante en lettres, évidemment, qui ne désespère pas paradoxalement de «rentrer au carmel» (sic). Plutôt ennuyeux, répétitif et autocentré…

Une bienveillance persistante

Longtemps glorifié dans le milieu germanopratin, Matzneff était jusqu’ici ignoré du grand public. Tout a changé avec une séquence télévisée exhumée du passé, très regardée ces jours-ci sur internet. On y voit un Bernard Pivot complaisant, interviewer Gabriel Matzneff sur ses multiples conquêtes de «minettes». À l’exception de l’écrivaine québécoise Denise Bombardier, indignée, personne ne réagit. L’ancien animateur d’«Apostrophes» a plaidé le principe du «autre temps, autres mœurs», affirmant que dans «les années 1970 et 1980, la littérature passait avant la morale», provoquant une vague d’indignation. Reste que l’écrivain a continué à afficher ses penchants sexuels pour le moins déviants, jusque dans les années 1990 et 2000. Il est clairement question de «pédophilie» dans une émission de Thierry Ardisson, lorsqu’il reconnaît avoir longtemps été attiré par les petits garçons. Une association de défense de l’enfance avait bien tenté une action judiciaire en 2014, alors qu’avait été remis quelques mois plus tôt à l’écrivain le prestigieux prix Renaudot de l’essai. Mais cette plainte pour apologie d’agression sexuelle avait reçu un maigre accueil médiatique.

Pourquoi cette bienveillance persistante, pendant des dizaines d’années? Sans doute parce que Gabriel Matzneff n’a jamais été condamné par la justice, comme il le rappelle régulièrement. Certes, il a bénéficié d’une grande tolérance sexuelle, celle des années post-68. L’écrivain a reçu des critiques souvent très élogieuses tout au long de sa carrière, émanant sans distinction de journaux de droite, d’extrême droite et de gauche. Très conservateur, il raconte aussi voter pour Mélenchon. De quoi plaire à tout le monde. Quasi unanimes, les critiques littéraires lui ont toujours reconnu un style, semble-t-il, affûté et une grande érudition. Mais l’homme est aussi et surtout un mondain, cultivant les amitiés intellectuelles dans tous les milieux. Dans son journal 2016-2018, il ne cesse de citer ses agapes avec tel journaliste, éditeur ou intellectuel en vue, presque à chaque page. Comme autant de protecteurs? Difficile de ne pas apprécier un homme «aussi courtois, charmant, sympathique, à la conversation si agréable. Un puits de science, passionné par la littérature grecque, précis dans le choix des mots. Cela nous a peut-être amenés à minimiser ce que nous lisions. Et pourtant, nous savions», raconte un journaliste qui a eu l’occasion de le rencontrer. Il reconnaît aujourd’hui, gêné, que d’infréquentable, Matzneff est devenu «indéfendable».

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