Justice: voici venir le grand Mélenshow – Politique – L’Opinion
Le procès de Jean-Luc Mélenchon ainsi que cinq de ses proches, dont deux députés et un élu européen, aura lieu jeudi et vendredi au tribunal correctionnel de Bobigny. Le chef de file de La France insoumise comparaît pour rébellion, provocation et actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire après les perquisitions houleuses qui se sont déroulées chez lui et au siège du mouvement, en octobre 2018. Un jugement qu’il qualifie de « comédie » et de « procès politique » dans un livre publié pour l’occasion.
« Condamnez-moi, peu m’importe, l’histoire m’absoudra ». C’est par ces mots que Fidel Castro conclut, en octobre 1953, plusieurs heures d’une plaidoirie restée dans les mémoires. Principal accusé dans le procès de l’attaque de la caserne Moncada, l’avocat cubain était parvenu à transformer le tribunal en tribune politique contre le régime du général Batista qu’il combattait, avant son amnistie puis un court exil au Mexique.
Clin d’œil de l’histoire, c’est depuis ce même pays que Jean-Luc Mélenchon a rédigé l’essentiel des chroniques qui composent Et ainsi de suite, un procès politique en France (Ed. Plon, 2019), le livre qui sortira jeudi au premier jour de son jugement au tribunal correctionnel de Bobigny, aux côtés de cinq autres personnes dont deux députés et un élu européen. Il n’y sera pas question de révolution, encore moins de lutte armée. Le président du groupe de La France insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale comparaît un an après la perquisition houleuse au siège de son mouvement, au cours de laquelle son comportement lui vaut de se retrouver désormais sur le banc des prévenus.
« Dix secondes de colère » rapidement évacuées dans son récit des événements mais qui, à ses yeux, ont masqué ce qui n’était qu’une « pure et simple opération de police politique ». Rien de moins. Avant même son retour en France la semaine dernière, le député des Bouches-du-Rhône est apparu déterminé à ne plus subir le cours de cette affaire, comme c’est le cas depuis près d’un an. Alors tel Castro en son temps, il s’agit de transformer la salle d’audience en scène de meeting.
Désenchantement. Un appel puis une interview publiée dans le Journal du dimanche, une (rare) conférence de presse, un passage sur BFM TV, un site Internet dédié et alimenté en vidéos et, enfin, ce livre… La riposte est massive, loin de la « désescalade » réclamée l’année dernière. A bien des égards, elle constitue aussi un tournant dans la stratégie politique de Jean-Luc Mélenchon qui assure désormais n’avoir « plus confiance dans la justice ». « Une illusion terrible vient de s’écrouler en nous, écrit-il au sujet de ce désenchantement, comme ce jour de notre enfance où nous avons compris que le Père Noël n’existait pas. »
On mesure le chemin parcouru depuis le temps où, candidat à la présidentielle, il en appelait à l’honneur des policiers mais aussi à celui des manifestants qui chercheraient à blesser « quelqu’un qui porte l’uniforme et qui obéit ». « Ma culture politique personnelle ne fait de moi ni un anti-flic ni un anti-magistrat », souligne toutefois le député dans son ouvrage… tout en appelant à cesser de croire au mythe d’une « justice juste » et d’une « police policée agissant au royaume des Bisounours ». Au fil des pages, Jean-Luc Mélenchon rattache ainsi son sort et l’issue de son procès à venir à une « phase de répression brutale et disproportionnée qui a banalisé la violence policière et judiciaire et rendu évident son caractère politique. »
Syndicalistes, écologistes, Gilets jaunes, « décrocheurs » du portrait d’Emmanuel Macron et militants de LFI seraient ainsi victimes des mêmes méthodes. « La haine de caste dont j’ai été accablé pendant la semaine qui a suivi [les perquisitions, NDLR] annonçait celle qui, bientôt, allait se déchaîner sans vergogne un mois plus tard contre les Gilets jaunes », écrit encore Jean-Luc Mélenchon. L’élu désigne ses ennemis : « Le duo de la répression aveugle que forment Castaner et Belloubet ». Le ministre de l’Intérieur et la garde des Sceaux, « deux politiciens carriéristes fuyards du naufrage du PS », sont décrits comme responsables du « plus honteux bilan de violences et de répressions depuis de nombreuses décennies ». « Dans cette ambiance, la France ressemble à Hong Kong », résume le député de Marseille.
Jonction ratée. Si la comparaison peut heurter, elle rejoint cependant le discours de nombreuses figures des Gilets jaunes. A l’image de celui de Jérôme Rodrigues, invité le mois dernier aux universités d’été de LFI pour un atelier intitulé « vers un régime autoritaire ? » au point d’interrogation superflu. Le parti ne se contente plus de soutenir le mouvement, il s’assume désormais comme son compagnon d’infortune jusque dans les tribunaux. « On ne peut pas comprendre pourquoi tant d’entre eux, primo-délinquants, ont été aussi sévèrement condamnés si on ne saisit pas le contexte dans lequel s’inscrit aussi notre cas concret, celui d’une généralisation de la criminalisation de l’action politique », abonde Ugo Bernalicis.
Le député du Nord, attaché d’administration au ministère de l’Intérieur jusqu’à son élection, était lors de la campagne présidentielle de 2017 l’artisan principal du volet sécurité du programme. Une faiblesse récurrente de la gauche dans les compétitions électorales que Jean-Luc Mélenchon était parvenu, non sans mal, à atténuer il y a deux ans. C’est tout ce patient travail de crédibilité sur les questions régaliennes qui est aujourd’hui remis en cause, alors même que le chef de file de LFI reconnaît avoir échoué à faire la jonction entre les Gilets jaunes et le reste de la population. « Sans les classes moyennes sachantes, secteur charnière du corps électoral, la prise de conscience n’est pas au rendez-vous », confie-t-il dans son livre.
Dans l’immédiat, il s’est surtout aliéné une partie des professionnels de la justice en plus de syndicats de police déjà hostiles. Le Syndicat de la magistrature, pourtant classé à gauche, a fustigé lundi dans un communiqué « les attaques outrancières contre les magistrats ». « Le sommet est atteint lorsque Jean-Luc Mélenchon affirme sa solidarité avec Richard Ferrand, traitant les juges en général de “menteurs”. Cette convergence inattendue montre bien ce qui, au-delà de tous les clivages, réunit ceux qui dénigrent la justice depuis quelques jours : le rêve inavouable d’une justice qui ne s’intéresserait qu’aux autres », tacle le syndicat. Une position pour l’instant bien loin de l’absolution.