Justice 2.0 : la procédure pénale se numérise

Justice 2.0 : la procédure pénale se numérise

Le chantier de transformation numérique de la justice est à pied d’œuvre. Un décret est paru ce jour au Journal officiel portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé “dossier pénal numérique” (DPN). Ce traitement, qui englobe entre autres une refonte du traitement “numérisation des procédures pénales” (NPP), encadré par l’arrêté en date du 16 janvier 2008, doit permettre « tant la numérisation des procédures judiciaires pénales initialement créées au format papier que leur dématérialisation native », présente le décret.

La conservation intégrale du dossier de la procédure ne nécessite donc plus, à présent, de passer par le support papier ni par une signature manuscrite. Il s’agit là d’une « brique supplémentaire dans la transformation numérique du droit pénal déjà commencée par exemple avec la mise en place de la plateforme PLEX (Plateforme d’échange Externe) permettant notamment aux avocats de se voir communiquer les copies numérisées des dossiers pénaux par la voie dématérialisée », évoque Thierry Vallat, avocat spécialiste en droit du numérique, interrogé par ZDNet.

Si ce dernier voit plutôt d’un bon œil cette “petite” révolution numérique, il craint toutefois que le secteur n’y soit pas tout à fait prêt. Le monde du pénal se révélant « jusqu’à présent peu enclin, voire réticent, à l’introduction des technologies numériques et préférant en 2020 l’utilisation du fax, encore très utilisé, à celle des courriels », explique-t-il.

Et ces derniers mois ne viennent pas contredire son analyse : « et que dire de l’utilisation de la visioconférence pour les audiences dont les limites techniques sont trop souvent désastreuses pour le justiciable et les droits de la défense », ajoute l’avocat au barreau de Paris.

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Fluidifier la transmission des dossiers

Pourtant, la numérisation des procédures judiciaires pénales promet de faciliter la transmission, la conversation et l’archivage des dossiers mieux sécurisés. « Le développement d’une procédure pénale nativement numérique permettra de dématérialiser totalement les échanges, d’authentifier les actes par une signature électronique et d’archiver les procédures électroniquement et de manière sécurisée. La disparition des dossiers papier doit notamment faciliter la construction et la gestion des dossiers, en générant des gains de temps depuis le dépôt de la plainte jusqu’à l’exécution de la peine. Le papier, la signature manuscrite page par page, parfois l’apposition d’un sceau, laisseront ainsi la place à un dossier intégralement dématérialisé, servant d’unique support au procès pénal », soutient le ministère de la Justice.

Les premières audiences numériques expérimentées à Blois et à Amiens en 2019 se sont d’ailleurs avérées concluantes, ouvrant la voie à une dématérialisation plus généralisée des échanges entre autorité judiciaire et services enquêteurs. « Si tout est pensé et fonctionne correctement, ce sera indubitablement un progrès pour la fluidité et la rapidité des échanges entre les membres de la chaîne pénale, indispensable en raison des délais souvent très courts de procédure », approuve Thierry Vallat.

Pour l’avocat, les plus grands enjeux se situent essentiellement sur le volet sécuritaire. « Car si je suis pour ma part ravi que les échanges procéduraux puissent enfin être dématérialisés, bien entendu sous réserve de leur confidentialité et de la sécurité des informations transmises, encore faudra-t-il que les dispositifs mis en place soient intègres, chiffrés correctement et fiables : et donc que des moyens suffisants soient alloués au chantier de la justice numérique. »

La CNIL met en garde sur la politique de mots de passe

Une crainte partagée par la CNIL, saisie pour avis sur le projet de décret. Si la Commission « prend acte des mesures de chiffrement des postes individuels », elle rappelle que « l’accès aux postes doit nécessiter une connexion de l’utilisateur à un compte nominatif » et que « les sessions doivent être automatiquement verrouillées après une période d’inactivité raisonnable ». Elle rappelle également que « les postes de travail doivent disposer d’un pare-feu, et que les logiciels et systèmes d’exploitation installés doivent faire l’objet de mises à jour ». La CNIL relève par ailleurs que la politique de mots de passe prévue n’est « pas conforme » à ses recommandations en la matière.

Thierry Vallat s’inquiète également de « l’étendue des personnes susceptibles d’être destinataires des informations enregistrées dans le traitement », poursuit-il. Selon le texte du décret, cela inclut notamment « toute administration, établissement, autorité, ou personne publique ou privée, autorisé en vertu de dispositions législative ou réglementaire spécifiques, à se voir communiquer tout ou partie d’un dossier pénal ou d’une décision ».

Mais globalement, ce saut numérique de la justice française est nécessaire, concède l’avocat, faisant remarquer que « la France est bien en retard sur ce sujet ». D’ailleurs, « les expériences menées à l’étranger sur l’introduction des technologies de l’information et de la communication ont globalement permis de constater qu’elles permettaient d’améliorer l’administration de la justice et le fonctionnement des juridictions d’un point de vue organisationnel », justifie-t-il. Pour Thierry Vallat, la grande inconnue réside surtout dans « le respect du temps de pénal », qui selon lui, « ne doit pas être accéléré au prétexte de la vitesse des échanges numériques ».

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