“Jurisprudence Benoît XVI”: la mort du pape émérite va-t-elle entraîner la renonciation de François? – BFMTV

Les funérailles du pape Benoît XVI, en retrait depuis 2013, ont lieu ce jeudi place Saint-Pierre dans la cité du Vatican. L’exemple de sa renonciation il y a dix ans et sa mort samedi dernier pourraient avoir une conséquence politique majeure: ouvrir la voie à un départ du pape François. Pour les experts interrogés par BFMTV.com, cette issue est plus que probable à moyen terme. Reste à définir la forme qu’elle prendra.

Le Vatican enterre Benoît XVI ce jeudi. Si les funérailles d’un pontife ne sont jamais banales, celles-ci sont inédites. C’est la première fois qu’un pape préside aux obsèques de son prédécesseur. Car à travers la mort samedi dernier de celui qui fut Joseph Ratzinger à l’état-civil, c’est une parenthèse atypique de l’histoire du monde catholique qui se referme. Celle qui le vit, en-dehors de tout schisme, évoluer avec deux souverains.

En effet, depuis dix ans, la renonciation fracassante de Benoît XVI à sa charge et l’élection de Jorge Bergoglio sous le nom pontifical de François pour l’y remplacer, l’Église a dû s’accoutumer à la cohabitation de deux papes – l’un émérite, l’autre en exercice. Et presque de leur colocation dans la mesure où les appartements de l’Allemand et l’Argentin n’étaient séparés que de quelques encablures.

Mais la parenthèse n’est pas forcément celle que l’on croit. Le pape François a abondamment évoqué son possible retrait dans un avenir indéterminé. Et la tentation est grande de penser que la mort de son prédécesseur libère la voie à son propre départ, lui laissant l’opportunité d’organiser à son tour sa renonciation. Pour se faire une religion sur la question, BFMTV.com l’a posée à deux experts de l’Église, bien versés dans les arcanes vaticanes.

Inévitable mais “à moyen terme”

Ce n’est pas un secret: François envisage la fin de son pontificat et aborde fréquemment le sujet en public, comme en juillet dans l’avion le ramenant du Canada. En décembre dernier, il a même révélé avoir rédigé – l’année de son accession à la fonction suprême – une lettre de renonciation “en cas d’empêchement pour raisons de santé”. Lettre ensuite remise au secrétaire d’État du moment, le cardinal Bertone.

Cette initiative, aux allures de simple précaution à l’époque, prend un tout autre relief une décennie plus tard, avec la disparition de Benoît XVI. Difficile auparavant d’imaginer trois papes simultanés, dont deux rangés des papamobiles. Difficile mais pas impossible d’après Bernard Lecomte, auteur notamment de Tous les secrets du Vatican.

“Il ne fallait pas écarter l’hypothèse qu’un pape se retrouve avec deux papes émérites. Ça aurait été folklo!”

Pas de folklore pour cette fois, mais la mort de Benoît XVI rebat les cartes. “Tous utiliseront la jurisprudence Benoît XVI”, certifie ainsi Bernard Lecomte: “Par sa renonciation, lui le pape dit ‘conservateur’ a ouvert une voie par laquelle tous passeront après lui”.

L’écrivain et journaliste revient sur le sens à donner au geste du défunt en 2013: “Il s’agissait de dire que les progrès de la médecine, l’évolution du monde font qu’il devient parfaitement envisageable qu’un pape vive jusqu’à 115 ans. Et est-il raisonnable qu’à 115 ans un homme dirige une communauté d’1,3 milliard de fidèles? Non, ça ne l’est pas.”

“Il n’y a pas d’âge limite pour un pape”, nuance cependant Martin Dumont, auteur de La France dans la pensée des papes, de Pie VI a François. “La renonciation de Benoît XVI est un geste qui lui était propre, chaque pape est libre d’en suivre l’exemple ou non”, poursuit-il.

L’historien des religions exclut d’ailleurs une démission du pape François, dont il note les prochains impératifs: un voyage imminent au Sud-Soudan, des Journées mondiales de la jeunesse à Lisbonne en août. Des engagements qui lui interdisent tout retrait. Du moins, à court terme.

“Mais à moyen-terme, c’est tout à fait possible”, convient Martin Dumont.

Un pape diminué

Possibilité qui se renforce d’ailleurs au fil du temps. Désormais âgé de 86 ans, le pape François n’est plus le septuagénaire fringant et massif contrastant avec la fragilité de Benoît XVI. L’année 2021 a été rude: François a dû subir une opération du côlon. De surcroît, des douleurs au genou handicapent ses mouvements. Le pape ne s’en cache pas du reste. Mieux, ces derniers mois, il s’est souvent laissé photographier en déambulateur, en fauteuil roulant ou même dernièrement, parcourant ses appartements privés avec une canne.

On pourrait presque croire qu’il prépare les esprits à l’idée qu’il n’est pas éternel à son poste. Mais Bernard Lecomte rejette l’éventualité d’une stratégie de communication: “Je pense qu’il est comme ça, qu’il a décidé de montrer ses faiblesses au grand jour. Et puis, c’est quelqu’un qui n’en fait qu’à sa tête!”

“Il a du mal à se déplacer mais il ne renoncera que s’il se sent inapte à exercer sa charge”, étaye Martin Dumont.

Face aux pressions

La renonciation ne se réduit pas, au fond, à ce facteur physique. Elle revêt également une vertu politique, permettant de se protéger des vents mauvais, et de court-circuiter des forces contraires.

“Ce qu’il y a d’intéressant dans la renonciation, c’est qu’elle est une arme possible contre la pression médiatique, et celle de l’entourage”, analyse Martin Dumont.

Car telle est l’une des leçons essentielles de la fin du pontificat de Benoît XVI selon l’historien: “On a vu le pouvoir de l’entourage. Benoît XVI a renoncé quand il ne s’est plus senti libre de gouverner comme il l’entendait”.

Une arme, certes, mais une arme à double tranchant, dont les détracteurs de François peuvent aussi se saisir. “Des milieux opposés à François s’appuyaient sur Benoît XVI, en lui témoignant leur admiration et en exprimant plus ou moins ouvertement des critiques à l’égard de François”, reprend Martin Dumont. Privés de cet appui, ils pourraient bien aller un cran plus loin pour notre interlocuteur.

“Des pressions vont s’exercer sur François en provenance d’une partie de la Curie et des conservateurs pour qu’il renonce.”

Mais le pape François n’est pas facilement impressionnable. Lors d’une interview au média espagnol ABC en décembre, il déclarait: “On gouverne avec sa tête, pas avec son genou”. “C’est aussi un message à ses ennemis: ‘Vous m’aurez à la tête de l’Église tant que ma tête fonctionne’”, décrypte à nouveau Martin Dumont. “Il est très conscient que sa renonciation conviendrait à ses ennemis. Il n’a aucune envie de leur faire ce cadeau”, ajoute ce dernier.

La vie d’après

L’arithmétique est toutefois implacable. D’une part, des conservateurs qui, bien qu’ayant eu du mal à admettre le pas de côté de Benoît XVI en son temps, devraient tenter de pousser François vers la sortie. De l’autre, un pape persuadé de l’obligation pour l’Église d’être dirigée par un homme en pleine possession de ses moyens, et convaincu que la retraite sera la meilleure solution quand les forces viendront à lui manquer.

Hors du scénario malheureux d’une mort subite, la perspective d’un pape mourant dans l’exercice de ses fonctions semble ainsi obsolète. Si le temps fait son oeuvre, François devra par conséquent tôt ou tard lever le pied, et renoncer. Reste à savoir à quoi ressemblera sa vie d’après.

Celle-ci n’épousera sans doute pas la trajectoire dessinée par Benoît XVI, qui a fini ses jours dans le couvent Mater Ecclesiae, sous les fenêtres du titulaire de son ancienne charge.

“Je ne l’imagine pas une minute rester prier dans ce petit monastère du Vatican, ça n’est pas le genre. Je l’imagine plutôt se retirer dans un monastère argentin”, pose Bernard Lecomte.

Pour l’auteur de Tous les secrets du Vatican, la vraie question attendant le pape François est ailleurs: “Reprendra-t-il le titre de pape émérite? Je ne le pense pas. Je pense qu’il sera seulement évêque de Rome émérite”.

Parce que si Benoît XVI et le pape François ont vécu en bonne intelligence, le second rendant hommage au premier, le premier n’empiétant pas sur les prérogatives du second, cette situation bicéphale s’est révélée pour le moins inconfortable. “François a souffert de cette ambiguïté, il devait rappeler que c’était lui le pape en exercice”, prolonge Bernard Lecomte.

“Pape émérite”, une notion toujours à définir

Malgré ce long intermède, la notion de “pape émérite” paraît toujours aussi nébuleuse aujourd’hui qu’hier. Il faut dire que, goûtant peu cette nouvelle réalité qui lui était imposée, le pape François n’a pas souhaité lui donner un contenu.

“C’est quelque chose qui ne l’intéresse pas cette question du statut du pape émérite”, relève Martin Dumont.

Il semble même que François a freiné des quatre fers, ne cherchant pas à définir cette position honoraire menaçant, à l’avenir, de peser de tout son poids sur un pape en exercice. “L’attachement très fort à Benoît XVI a pu jouer, personne ne se donnant le droit de s’interroger ouvertement”, enrichit l’historien.

Or, la renonciation de Benoît XVI – la première depuis 1294 et l’abdication de Célestin V, qui n’avait pas revendiqué le titre de pape émérite – était si inusitée que les textes de l’Église gardent eux aussi le silence sur la question. Et on interrogera en vain le droit canon pour savoir que faire d’un pape démissionnaire. Un luxe de discrétion que l’Église ne peut plus se permettre, met en exergue Martin Dumont.

“On vit depuis dix ans sur une chose qui n’a pas été réfléchie. Il y a une certaine urgence pour les canonistes à se pencher sur ce statut définissant le rôle du pape émérite, disant ce qu’il est, fixant éventuellement sa tenue.”

Profils pour l’avenir

La piste d’un départ de François soulève un dernier enjeu. Problématique qui prend la forme d’une boutade à Rome: “Dieu corrige chaque pape à travers son successeur”. Les premiers intéressés ont si bien intégré la maxime que tous pensent à celui qui reprendra la mitre, bien qu’il revienne aux cardinaux du conclave de l’élire.

Ainsi, Jean-Paul II avait maintenu mordicus le cardinal Joseph Ratzinger à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, instillant l’idée qu’il était son dauphin, et Benoît XVI est parti avec l’espoir qu’un prélat plus politique que lui accède au pouvoir. François n’aura pas davantage le droit de désigner son successeur mais le portrait-robot idéal qu’il en fait n’est pas un mystère non plus.

“Il souhaiterait un pape qui continue sa réforme de l’Église”, affirme Martin Dumont.

“Il faudra un pape conscient de la nécessité fondamentale d’un nettoyage de l’Église par rapport aux abus sexuels, un pape qui continue la réforme de la Curie.” Et des profils se font jour: le nom de Luis Antonio Tagle, cardinal philippin, circule, tout comme celui de monseigneur Matteo Maria Zuppi, archevêque de Bologne, dont le professeur note qu’il est “extrêmement proche du pape”, partageant sa “fibre sociale”.

D’autres jugent que la page des papes européens est tournée, au vu des dynamiques démographiques animant l’univers catholique. Bernard Lecomte est de ceux-là. “François, en arrivant du Sud, et lui qui ne comprend pas bien l’Europe et ne l’aime pas, a donné une impulsion universelle, mondialiste à l’Église sur laquelle elle ne pourra pas revenir”.

“On n’imagine pas un pape revenir à l’européocentrisme médiéval, c’est impensable”, insiste-t-il.

Quand l’époque décide

Au-delà de l’identité du futur patron du Vatican, c’est le lien unissant les héritiers de Saint Pierre que l’auteur préfère souligner: “Le successeur du pape sera un continuateur de François. C’est l’histoire de l’Église qui est comme ça et ça fait 2000 ans que ça dure.” Mais l’institution n’est ni hors-sol, ni coupée des aléas de son temps. “Ce sera aussi un homme de son époque”, glisse Bernard Lecomte. “Benoît XVI a plutôt lutté contre son époque, et François lui a plutôt couru après”, remarque-t-il encore.

“C’est donc l’époque qui décidera, et on ne la connaît pas”.

Selon les avis, celle que la papauté abordera à plus ou moins brève échéance s’annonce incertaine ou ouverte. Peu importe, l’Église devra défricher cette terra incognita.

Robin Verner

Robin Verner Journaliste BFMTV

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