Jumeau numérique : les défis à relever pour concrétiser les promesses

Jumeau numérique : les défis à relever pour concrétiser les promesses

Comme dans bien d’autres domaines, la crise de la Covid-19 aura servi d’accélérateur à la généralisation du jumeau numérique. Si cette représentation dynamique virtuelle d’un objet, d’un système ou d’un processus du monde réel a surtout essaimé dans le monde industriel, elle montre toute sa pertinence dans d’autres domaines.

En simulant virtuellement les impacts d’un traitement ou d’un vaccin avant son évaluation sur un groupe des patients, le jumeau numérique a fait gagner un temps précieux à l’industrie pharmaceutique dans sa lutte contre le coronavirus. La smart city est, elle, mieux armée pour anticiper et gérer les situations de crise en monitorant, par exemple, les flux de personnes sur son territoire.

En soi, le concept de jumeau numérique n’est pas nouveau. Au début des années soixante-dix, la NASA a été la première à expérimenter l’ancêtre du jumeau numérique – Pairing technology – pour son programme Apollo. Son adoption devrait toutefois fortement s’accélérer dans les prochaines années selon une étude de Markets and Markets. Le marché mondial, évalué à 3,1 milliards de dollars en 2020, devrait atteindre 48,2 milliards d’ici 2026, porté par une croissance annuelle moyenne de 58% sur la période.

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Du cœur humain à la smart city

Confondu à tort avec d’autres concepts comme le “digital model” ou le “digital shadow”, le jumeau numerique est une modélisation virtuelle et dynamique d’un objet ou d’un système. Le terme dynamique est important car l’approche suppose une communication permanente entre le monde physique et le monde virtuel. Le modèle est alimenté en données en temps réel. Si je dois fermer tous les accès d’un centre commercial suite une alerte sécurité, le jumeau numérique donnera l’ordre au jumeau réel.

Les premiers cas d’usages sont naturellement intervenus dans l’aéronautique et l’aérospatial. Dans les phases de conception et de test, Airbus et la Nasa préfèrent investir des millions d’euros dans un jumeau numérique que dans un prototype réel, autrement plus onéreux. D’autres secteurs ont compris les bénéfices qu’ils pouvaient en tirer. Le transporteur DHL a déployé un jumeau numérique couvrant toute sa chaîne logistique. Avec le Living Heart Project, Dassault Systèmes propose des modèles numériques du cœur humain.

Dans le domaine du smart building, il s’agit plus classiquement de modéliser un bâtiment et de gérer les flux d’énergie qui circulent pour garantir le bien-être et la sécurité de ses occupants. Cette vision globale et temps réel permet d’anticiper les pannes et de passer à une maintenance prédictive. Au-delà de l’immobilier tertiaire, le jumeau numérique peut concerner une usine (le nouveau site de Latécoère à Toulouse avec Dassault Systèmes) ou le réacteur d’une centrale nucléaire chez EDF.

À une échelle plus grande encore, un jumeau numérique peut couvrir un quartier intelligent voire la smart city. Comme l’explique cet article du Hub Institute, les décideurs locaux peuvent mesurer l’efficacité des politiques publiques, anticiper les mutations démographiques, économiques et environnementales de leur ville, gagner en résilience en simulant différents scenarii de crise. La métropole de Bordeaux s’est engagée dans cette voie.

Un marché atomisé, une absence de standardisation

Si, sur le papier, le jumeau numérique apporte des bénéfices évidents, son adoption reste limitée en raison d’un certain nombre de freins. Tout d’abord, le marché est atomisé avec des acteurs venant d’horizons divers. On trouve un poids lourd de l’informatique, IBM, qui a accompagné la Nasa, des spécialistes de la simulation 3D comme Dassault Systèmes, des géants du monde industriel comme Siemens ou GE.

De leur côté, les cloud providers proposent des modules complémentaires de leurs solutions IoT, se rapprochant du concept de jumeau numérique. Microsoft Azure et AWS commercialisent ainsi respectivement les solutions Device Twins et Device Shadow. Des startups se positionnent en challengers à ces mastodontes tout en nouant des partenariats avec ces derniers. En France, on peut citer les jeunes pousses Visible Patient dans le secteur médical, My Digital Buildings ou Ubiant dans le bâtiment intelligent.

Face à cette hétérogénéité de l’offre, le marché se trouve confronté à une situation comparable à l’époque triomphante des ERP (Enterprise Resource Planning). Une organisation retient un ERP générique et passe beaucoup temps à le personnaliser ou bien opte pour une solution très spécifique et perd en fonctionnalités.

Un autre défi porte sur le passage du stade de l’expérimentation à celui de l’industrialisation. Les coûts de mise en œuvre doivent être contrebalancés par un retour sur investissement relativement proche. Si ce ROI est évident dans l’industrie, il l’est moins dans d’autres secteurs et nécessite des études préalables.

Des organisations peuvent manquer de maturité dans l’internet des objets (IoT) et le cloud, les deux piliers du jumeau numérique. Ce qui renchérira le ticket d’entrée. Un des prérequis du jumeau numérique consiste, en effet, de disposer de données structurées, qualifiées, accessibles et sécurisées et d’une infrastructure offrant toute la connectivité attendue.

L’industrialisation peut également buter contre une absence de méthodologie et de standards. Comment démarrer puis conduire un projet de jumeau numérique ? Ce cadre de gouvernance est d’autant plus important que ce dernier fait intervenir différents acteurs internes et externes.

Outil puissant d’aide à la décision, le jumeau numérique pose aussi la question de la confiance. Le modèle d’intelligence artificielle qui croise des données d’exploitation et des données internes ou externes est-il suffisamment complet, robuste et explicable ? La question se pose si un responsable d’une usine doit choisir entre l’arrêt d’une chaîne de production et les risques d’une panne endommageant gravement l’outil industriel.

Par ailleurs, le jumeau numérique introduit une transformation culturelle que des organisations silotées appréhenderont difficilement. Les équipes doivent apprendre à collaborer dans les phases de conception sur un outil virtuel. Une fois le produit conçu et mis en service, l’exploitation diffère également. Ces changements organisationnels peuvent générer de la résistance au changement des opérationnels terrain qui verront leurs habitudes de travail chamboulées.

La planche de salut de l’open source

En raison de ces freins, le jumeau numérique reste encore trop souvent au stade de l’évangélisation. Pour les lever et démocratiser le concept, il faut, à mon avis, ouvrir le code et les algorithmes. Comme cela a déjà été fait dans beaucoup d’autres domaines, le recours à l’open source permet de démystifier l’approche. Les organisations peuvent librement appréhender la solution, la tester. Sortir de l’effet boîte noire permettra de réduire la résistance au changement.

Enfin, les différentes contributions de la communauté accélèrent la standardisation. Quand la technologie ne sera plus un problème, les organisations pourront se concentrer sur la valeur apportée par le jumeau numérique. Dans ce cadre, on peut saluer la décision de Bentley Systems d’open sourcer sa gamme d’applications pour modéliser des bâtiments, des routes, des systèmes de transport ou des ouvrages d’art. Des communautés dédiées alimentent les librairies en composants spécifiques.

L’open source va également de pair avec l’open data. Une ville qui libère ses données de consommation énergétique ou un concessionnaire d’autoroute les données sur la disponibilité de son parc de bornes de recharge électrique viennent alimenter d’autres jumeaux numériques. On entre alors dans un véritable cercle vertueux.

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