Jean-Michel Blanquer au JDD : ” L’école ne sera pas une garderie ” – Le Journal du dimanche

Dans l’année d’un ministre de l’éducation nationale, il y a théoriquement deux moments forts : la rentrée des classes, en septembre, et les épreuves du baccalauréat, en juin. Jean-Michel Blanquer n’avait pas prévu que la date du 11 mai 2020 serait aussi une épreuve. Point crucial du déconfinement, la réouverture des écoles marquera – ou non – la réussite du plan d’Emmanuel Macron. Lundi, 86% des 50.500 établissements de France sont censés rouvrir. Mais cet indicateur global, qui semble satisfaire le ministre, cache d’autres réalités : disparités entre territoires et entre établissements (selon le nombre de classes disponibles) ; exaspération de parents dont les enfants ne seront pas accueillis ; peur du risque sanitaire pour les uns, d’une école tenant lieu de garderie pour d’autres ; résistance ou frilosité de certains maires, inquiétude de nombreux enseignants… Au total, l’Education nationale s’attend à ce que 1,5 million d’élèves (sur 6,7 millions) reprennent le chemin de l’école cette semaine. 

Combien d’écoles ouvriront en France à partir de lundi?
Près de 86 %. Ce qui correspond à 89 % des communes ayant au moins une école. Cela représente plus de 1,5  million d’enfants. Les chiffres ont progressé : les écoles accueilleront davantage d’élèves qu’annoncé jeudi, dans la limite de 15 élèves maximum par classe en élémentaire. Une grande partie des 14 % d’écoles restantes devraient rouvrir d’ici à la fin du mois.  

Le respect des consignes pour les 30.000 enfants de soignants accueillis pendant le confinement a ­ montré sa pertinence

Peut-on parler de rentrée alors que moins d’un élève sur quatre retourne en classe?
Au mot “ rentrée ”, je préfère celui de “ reprise”. Il s’agit d’amorcer un processus avec progressivité et pragmatisme. En mai, l’objectif est que 100 % des élèves soient en lien avec l’école! Ceux qui ne seront pas en classe continueront l’enseignement à distance. Et nous mettrons tout en œuvre pour ramener les 4 % de  décrocheurs. 

Combien de parents préfèrent garder leurs enfants à la maison?
Cela varie beaucoup d’un endroit à l’autre. Dans certains sondages, c’est deux tiers des parents. Certains parce qu’ils ont une vulnérabilité ou qu’ils vivent avec une personne vulnérable, d’autres parce qu’ils ont peur – et c’est malheureusement dans les familles les plus défavorisées que la crainte est la plus forte. Mais je pense que cette proportion va décroître. Notre protocole sanitaire, très exigeant, limite les risques. Le respect des consignes pour les 30.000 enfants de soignants accueillis pendant le confinement a ­ montré sa pertinence. Dans l’école de Poissy [Yvelines] où j’étais mardi avec le président de la République, aucun cas de contagion n’a été détecté.

Si les enfants les plus défavorisés ne reviennent pas, ne manquerez-vous pas votre objectif social?
On a un peu moins de deux mois pour inverser la tendance. A nous de faire preuve d’un grand volontarisme. Tout le monde est mobilisé – enseignants, conseillers principaux d’éducation, personnel médico-social, associations, élus locaux…  Les 300.000 élèves de CP et CE1 du réseau d’éducation prioritaire, qui sont déjà par groupe de 12, sont en position favorable pour reprendre la classe. Tout comme les 60.000 élèves des écoles rurales. 

Je souhaite que tous les enfants aient pu retrouver physiquement leur école au moins une fois d’ici à la fin du mois

Y a-t-il des niveaux prioritaires pour cette première semaine?
Même si nous laissons beaucoup de souplesse à chaque école, la circulaire de reprise fixe des grands principes. La logique est d’accueillir dans un premier temps les niveaux stratégiques : grande section de mater­nelle, CP et CM2, puis d’alterner avec les autres niveaux. L’école en  mai ne sera pas une garderie car nous conservons la charpente des niveaux. Et nous complétons avec des publics prioritaires : enfants en situation de handicap, enfants des personnels indispensables à la vie de la nation et décrocheurs.

A quel moment les autres élèves retourneront-ils en cours?
Je souhaite que tous les enfants aient pu retrouver physiquement leur école au moins une fois d’ici à la fin du mois. Dans certaines villes, où les locaux sont exigus, il faudra s’adapter. J’ai proposé aux communes de mettre en place des activités de sport, santé, culture et civisme [2S2C] en dehors de l’école. Les élèves pourront aller, en petit groupe, au musée, dans des parcs, pratiquer des activités physiques, suivre des formations santé… C’est l’occasion de renforcer la coopération avec les collectivités.

Cela ne risque-t-il pas de créer des  inégalités entre les communes?
Les inégalités ne sont pas seulement sociales, mais territoriales. Une commune rurale peut être mieux lotie que Paris pour des raisons d’espace. Pour lutter contre ces inégalités, l’Etat débloquera 250  millions d’euros pour financer les nouvelles activités 2S2C.

Quels modes d’organisation ont la préférence des écoles : cantine, groupes, priorités…?
Chaque école a sa vision. Mais beaucoup ont choisi d’accueillir, par demi-groupes, des élèves de grande section, CP et CM2, complétés par des groupes multiniveaux pour les publics prioritaires. Pour l’alternance, c’est souvent une semaine sur deux. De nombreuses communes semblent opter pour des repas à la cantine plutôt qu’en classe, en modifiant les horaires et en multipliant les services.

Le but n’est pas de boucler les programmes coûte que coûte ; nous devons raisonner à cheval sur l’année prochaine

Quelles priorités dans l’enseignement fixez-vous d’ici à l’été?
La première est psychologique : accueillir les élèves, les écouter, voir comment ils vont. Les 12.000  ­personnels médico-sociaux de l’Education nationale sont en première ligne. Puis il y aura une dimension pédagogique. Après deux mois de confinement, il faut savoir où en sont les élèves. Nous avons mis à la disposition des enseignants des fiches rappelant les objectifs, niveau par niveau. Le mot-clé, c’est “ personnalisation”. Le but n’est pas de boucler les programmes coûte que coûte ; nous devons raisonner à cheval sur l’année prochaine.

Les enseignants reprennent lundi. Combien retourneront à l’école, et où seront les autres?
D’après nos dernières remontées, ils sont près de 50 %. Cette proportion n’a rien de gênant : le nombre de présents permet de bien accueillir les élèves qui reviennent. Il faut réamorcer les choses tranquillement, sans que personne ne se sente un “ ­malgré-nous” de la présence physique. Les professeurs non présents en classe peuvent avoir des vulnérabilités ou vivre avec des  ­personnes vulnérables. Ils s’occuperont de l’enseignement à distance pour les élèves à la maison. Sous différentes modalités, tout le monde sera donc au travail.

Comment maintenir une école à la maison de qualité quand beaucoup d’enseignants seront en classe?
Notre système d’enseignement à ­ distance s’est largement amélioré. La plateforme du Cned Ma classe à la maison a recueilli 2,6  millions d’inscriptions de familles, et 454. 000  professeurs l’ont utilisée. Dans un sondage Ifop, 75 % des parents se déclarent satisfaits du système, qui a marché grâce à  l’engagement des professeurs. Les ressources ont été mises à jour : des semaines de travail sont disponibles pour mai et juin. La nouvelle étape que nous franchissons impose toute­fois des adaptations. Par exemple, certains élèves auront affaire à un professeur qui n’est pas le leur.

D’ici à la fin mai, je dirai si on maintient l’oral de français du bac ou s’il devient du contrôle continu

Comment encourager collégiens et lycéens à étudier jusqu’au 4  juillet?
Les conseils de classe doivent avoir lieu le plus tard possible. A partir du 11  mai, les professeurs peuvent de nouveau évaluer, même en cas d’enseignement à distance. Pour les classes à examen (troisième, première et terminale), ces notes ne comptent pas pour le contrôle continu mais elles donnent lieu à  une appréciation des professeurs pour éclairer les jurys d’harmonisation sur la motivation et l’assiduité des élèves.

L’oral de français du bac, prévu à  partir du 26  juin, aura-t-il lieu?
D’ici à la fin mai, je dirai si on le maintient ou s’il devient du contrôle continu. L’oral de français est compatible avec le respect des règles sanitaires. Donc, si les lycées rouvrent, il pourrait avoir lieu. J’aurais été plus populaire en le supprimant, mais les élèves me remercieront dans dix ans, en se souvenant de leur lecture de Phèdre pendant le confinement. Cela dit, j’ai conscience que la période crée des inégalités de situation et complique la préparation de l’examen. Je conseille en tout cas de travailler les textes. Nous sommes une nation apprenante.

L’hypothèse la plus vraisemblable, c’est que le virus sera encore présent en septembre

Petits groupes, alternance entre école et enseignement à distance… Cela perdurera-t-il en septembre?
Nous préparons tous les scénarios. L’hypothèse la plus vraisemblable, c’est que le virus sera encore présent en septembre. Dans ce cas, la rentrée ne ressemblera sans doute pas aux précédentes. Cette reprise de mai-juin nous permet d’expérimenter des modalités de fonctionnement, nécessairement mixtes, entre présence à l’école et enseignement à distance. Un groupe de travail va réfléchir aux usages numériques, au travail en petit groupe, à la place du sport et de la culture, que je souhaite développer… Les professeurs qui pratiquaient la classe inversée –  on  envoie une leçon par vidéo à  la classe puis on travaille à partir de cela – ont eu une très bonne adaptation à l’enseignement à distance pendant le confinement. C’est un exemple de ce qui pourrait être développé à la rentrée. Nous devons aussi travailler avec les collectivités locales sur la réorganisation de l’espace, l’articulation scolaire et péri­scolaire. C’est l’occasion de moderniser le système éducatif, de faire de notre école une réelle source de transmission du savoir et d’épanouissement.

Combien de masques l’Education nationale a-t-elle reçus ?
Pour la semaine qui vient sont actuellement acheminés 2,3 ­ millions de masques pour les personnels des écoles et des masques pédiatriques pour les enfants qui pourraient en avoir besoin au primaire. Un envoi complémentaire partira en début de semaine pour couvrir les besoins de celle du  18  mai. Les masques seront fournis à ceux qui ont l’obligation d’en porter : les adultes, les collégiens et, le moment venu, les lycéens. Ils sont rigoureusement interdits pour les enfants en maternelle. En élémentaire, des masques pédiatriques seront disponibles en cas de besoin, notamment si un élève est symptomatique.

Que répondez-vous aux maires qui  s’opposent aux réouvertures?
Toutes les écoles vont pouvoir rouvrir : c’est conforme à ce qu’a annoncé le Président, et c’est la responsabilité de l’Etat. Pour ne pas rouvrir, il faut qu’une impossibilité locale réelle soit constatée par le maire et l’Education nationale. Dans certaines communes rurales, on peut manquer de personnel pour nettoyer les classes ; l’Etat est là pour aider à résoudre les problèmes. Les quatre cinquièmes des écoles qui n’ouvrent pas tout de suite le feront un peu plus tard. En revanche, certains, par exemple à  l’est de Paris, sont dans une posture politique. C’est le  contraire de mon idée de la République. Nous devons tous travailler, sans clivage, au droit à l’éducation de tous les enfants.

Que certains responsables politiques ou syndicaux prennent l’école pour un terrain de jeu politicien, c’est un  fait

Les enseignants qui appellent à ne pas retourner en classe sont-ils aussi dans une posture politique?
Les discours qui occupent le devant de la scène médiatique ne doivent pas faire oublier la grande implication des enseignants ni leur désir majoritaire de retrouver les élèves. Que certains responsables politiques ou syndicaux prennent l’école pour un terrain de jeu politicien, c’est un  fait. Ils sont minoritaires. Dans ces circonstances exceptionnelles, il faut rechercher l’unité nationale.

Si certains enfants ne sont pas accueillis d’emblée, est-ce la faute du  ministre, des élus, des enseignants?
C’est d’abord la faute du virus. Des parents peuvent se sentir lésés car leur enfant ne retournera pas dès cette semaine à l’école. J’en suis évidemment désolé, mais nous faisons le maximum pour que cela évolue positivement. Il faut accepter que la réalité soit imparfaite. Je ne prétends pas que tout sera parfait le premier jour, mais j’atteste qu’il y a une grande volonté de bien faire. Ce qui compte, c’est l’amorce.

Si un enfant est contaminé à l’école, qui sera responsable?
Comme l’a rappelé la circulaire du Premier ministre, la responsabilité de décider de l’ouverture d’une école incombe à l’État : cela n’engage donc pas la responsabilité juridique du maire, sauf en cas de violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de faute caractérisée. Evitons la juridicisation de la vie publique. Je regrette que certains soient déjà dans cette logique alors que nous sommes au cœur de la crise. Pour ma part j’assume, politiquement, de dire que le droit à l’éducation est prioritaire. Les pédiatres alertent d’ailleurs sur le danger bien plus grand que court un enfant à rester six mois à la maison plutôt que d’aller à l’école avec un protocole sanitaire très strict.

Nous avons choisi de commencer par les plus jeunes, pour qui un décrochage scolaire serait le plus dangereux

Le Président a annoncé la réouverture le 11  mai des écoles, collèges et lycées sans distinction. A-t-il parlé trop vite, la situation sanitaire s’est-elle dégradée ou l’Education nationale n’a-t-elle pas su répondre à la demande?
Pour arriver aux décisions prises, j’ai consulté les fédérations de parents d’élèves, les organisations syndicales, les directeurs d’établissement… Le travail avec le Président, le Premier ministre et Jean Castex [coordinateur national chargé du déconfinement] s’est poursuivi jusqu’à la veille de la présentation du plan de déconfinement  par Édouard Philippe. Nous avons choisi de commencer par les plus jeunes, pour qui un décrochage scolaire serait le plus dangereux. Je souhaite ardemment le retour en classe des collégiens et lycéens dès que possible.

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