« Je ne suis plus vue comme une expat’, mais comme une “immigrante” »… Le Brexit vu par les Français de Londres – 20 Minutes

Nombre de Français installés à Londres s’inquiètent pour leur avenir, maintenant que le Brexit est officiellement entré en vigueur. — A. Boumediene
  • Ce vendredi, le Brexit est officiellement entré en vigueur, actant la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne.
  • Les termes définitifs de l’accord de sortie doivent être déterminés avant la fin de l’année.
  • Pour les nombreux expatriés français vivant dans la capitale britannique, l’incertitude sur leur avenir Outre-Manche domine.

De notre envoyée spéciale à Londres,

Rester. Partir. Vouloir rester mais sentir que l’on voudrait nous voir partir. Alors que le Brexit est officiellement entré en vigueur ce vendredi soir, pour la communauté française installée à Londres, l’heure est aux questionnements mais aussi aux démarches administratives. De Covent Garden à South Kensignton, en passant par Notting Hill (où l’on n’a pas croisé Hugh Grant), 20 Minutes a passé les instants avant, pendant et après le Brexit en compagnie d’expatriés français dans de petites enclaves tricolores de la ville.

J-1. Un petit coin de France Outre-Manche, dans un bel écrin de South Kensington, quartier londonien cossu et charmant, et prisé des Français de Londres. Ce jeudi soir à l’Institut français, c’est l’ambiance des grands soirs, à l’occasion de la « night of ideas ». L’événement porte un nom anglais mais les conversations, elles, résonnent majoritairement dans la langue de Molière. Aux commandes de l’une des conférences du jour consacrée à la mode éthique, Maïa, journaliste à la gouaille toute parisienne et qui se sent aussi Londonienne que Française. Installée à Londres depuis une douzaine d’années, elle n’aurait « jamais pu imaginer que le Brexit se produirait un jour, c’est quelque chose de violent », confie-t-elle. Dans son entourage d’expatriés, l’annonce du Brexit a d’ailleurs fait l’effet d’une bombe, « certains de mes amis ont fait le choix de plier bagage et sont rentrés en France. Et dans ce tumulte, mes enfants [franco-britanniques], qui ont toujours vécu ici, ne se sont jamais sentis aussi Français que lorsque le “out” l’a emporté au référendum ! ».

« Comme toute séparation, on s’en remettra, mais ce sera douloureux »

A ce moment-là, alors que la Grande-Bretagne ne fait partie de l’Union européenne plus que pour quelques heures, Maïa se sent prise en deux feux. « Je suis Londonienne et Française, c’est au cœur même de mon métier », explique celle qui a lancé Culture Alt, un magazine de podcast bilingue « dédié à la culture française et britannique et au lien qui les unit, précise-t-elle. Pour moi, le Brexit est un divorce entre le Royaume-Uni et la France, et comme toute séparation, on s’en remettra, mais ce sera douloureux ».

Pour Maïa (à droite), le Brexit signe le
Pour Maïa (à droite), le Brexit signe le – A. Boumediene / 20 Minutes

Dans le hall de l’Institut, Mikael est en pleine discussion avec d’autres expatriés. Installé depuis trois ans dans la capitale britannique, il ne se voit pas en partir, lui qui y a lancé sa start-up, Twisted Mirror TV, une plateforme de VOD de programmes humoristiques courts. « Je suis entrepreneur et je sais que des choses vont changer à l’avenir, mais je ne sais pas dans quelles proportions, ni avec quelles répercussions, indique-t-il. Pour l’instant, c’est une période de transition, mais pour l’heure, il n’y a pas de changements visibles ». Alors que les conséquences du Brexit ne pèsent pas encore sur son quotidien londonien, Mikael préfère voir les choses avec optimisme. « Londres, c’est le centre du monde, c’est ma ville, il y a toujours de l’espoir ici », philosophe-t-il.

Pour l’heure citoyen français, le jeune homme dispose d’une carte de résidence, ce qui lui apporte une certaine sérénité quant à son avenir en Grande-Bretagne. Mais l’équation non résolue du Brexit soulève pour lui une inconnue : « ma couverture santé. Aujourd’hui, je suis rattaché à l’équivalent britannique de la Sécurité sociale, mais si on s’oriente vers un “hard Brexit”, les choses pourraient changer ». Pas de quoi le décourager pour autant : « dans tous les cas, j’ai envie de rester ».

Pour Mikael, les coséquences du Brexit ne se font pas encore sentir, mais il sait que le Brexit va entraîner des changements.
Pour Mikael, les coséquences du Brexit ne se font pas encore sentir, mais il sait que le Brexit va entraîner des changements. – A. Boumediene / 20 Minutes

« Va-t-on pouvoir rester ou devoir partir ? »

Jour J. Le service du midi bat son plein Chez Antoinette, joli petit restaurant niché au cœur du marché de Covent Garden. Mais en fermant les yeux, on pourrait se croire à Paris, puisque tout le personnel échange en français. Et la musique qui caresse les oreilles n’a rien de la pop anglaise qui retentit dans certaines boutiques un peu plus loin. Ma préférence à moi ou encore Manhattan-Kaboul : on est ici dans un petit coin de France. Pourtant, on est bien en plein centre de Londres. « Nous sommes quasiment tous Français ici, il règne un esprit de famille entre nous, et chaque jour, on a toujours plusieurs tables de Français », décrit Mathieu, assistant manager de l’établissement. Londonien depuis près de dix-huit mois, le jeune homme de 24 ans « stresse un peu. On ne sait pas trop ce qui va se passer : va-t-on pouvoir rester ou devoir partir ? », s’interroge-t-il. S’il n’a, pour l’heure, accompli aucune démarche administrative pour assurer son avenir dans la capitale britannique, il songe à le faire rapidement, « d’autant que nos clients français nous posent tout le temps la question de ce que nous, expatriés, allons devenir après le Brexit ».

Chez Antoinette, où travaille Mathieu, le Brexit pourrait entraîner une hausse des taxes sur les produits importés de France.
Chez Antoinette, où travaille Mathieu, le Brexit pourrait entraîner une hausse des taxes sur les produits importés de France. – A. Boumediene / 20 Minutes

Et la clientèle française s’interroge également sur l’avenir du restaurant. « Nous faisons venir de France des vins, du fromage et de la charcuterie, énumère Mathieu. Quelles que soient les modalités du Brexit deal, on se prépare à une hausse drastique des taxes, ce qui aura un impact sur nos coûts, et sur nos prix ».

Le service du midi touche à sa fin, mais les estomacs affamés continuent d’affluer Chez Antoinette. Mathieu repart travailler. Quelques heures plus tard, des milliers de Brexiters fêteront la fin de l’aventure européenne de leur pays à Parliament Square, galvanisés par la présence du père du Brexit, Nigel Farage.

« Aujourd’hui, je me sens considérée comme une étrangère »

J + 1. Le Brexit est officiel. La veille au soir, les Brexiters ont sifflé de nombreuses canettes de beer, et nombre d’entre eux se réveillent probablement heureux, tout en ayant mal aux cheveux. Pour nombre de Français de Londres, le sentiment de gueule de bois est là, sans avoir bu la moindre goutte. Rendez-vous est pris avec Hélène, dans un restaurant de Notting Hill choisi par ses soins : The Prince Bonaparte, « pour le pied de nez », plaisante-t-elle. Depuis dix-neuf ans, Hélène vit dans ce quartier où elle se sent chez elle. Mais désormais, quelque chose a changé. « Aujourd’hui, je me sens considérée comme une étrangère. Je ne suis pas vue comme une expat’, mais comme une “immigrante”. Avec cette campagne du Brexit qui a démarré il y a plusieurs années maintenant, la parole raciste a infusé le discours politique est s’est libérée, portée par un sentiment de légitimité », déplore-t-elle. A son arrivée à Londres, Hélène a bien entendu çà et là quelques paroles franco-hostiles, mais « le discours europhobe et antieuropéen n’était pas la norme, et personne ne m’a jamais dit à l’époque que j’étais là pour profiter du système ».

La campagne du Leave est passée par là, « avec un marketing d’une redoutable efficacité, commente Hélène, qui travaille dans l’édition juridique. Un cocktail composé d’idées simplissimes, saupoudré d’une grosse dose de peur d’autrui et de mensonges : la recette a pris tout de suite, reposant sur une part de bêtise et de racisme de ceux qui y ont adhéré ». Aujourd’hui, Hélène constate le Brexit effect au quotidien. « Le sentiment haineux envers les étrangers est beaucoup plus présent et assumé, les politiques parlant de “low valued people”, de gens de faible valeur, c’est abject. Et les Brexiters se sont sentis libres de tenir le même discours. Certains m’ont dit droit dans les yeux : “il y en a marre des étrangers, surtout ceux qui sont pauvres ! Enfin, toi, ce n’est pas pareil”. C’est d’une violence inouïe, d’autant plus que ce sentiment antieuropéen a ravivé un racisme latent envers d’autres communautés étrangères », s’insurge-t-elle.

Un climat qui lui a donné l’envie de prendre un aller simple à plusieurs reprises. « Le jour du vote, quand les résultats sont tombés, j’ai eu envie de pleurer et de rentrer en France, se souvient-elle. Si je n’avais pas eu un compagnon britannique, je serai partie, tellement j’étais écœurée par cette campagne basée sur des mensonges et un déni de la démocratie. Mais ma vie est ici, avec ce qu’il y a de bon et de mauvais ». Alors, Hélène a dû s’acquitter d’un certain nombre de démarches pour pouvoir rester. Et si aujourd’hui, elle a son settled status en poche – qui lui permet de résider et travailler Outre-Manche, elle ne se sent pas sereine pour autant. « Je finirai par faire ma demande de naturalisation, mais j’irai en traînant des pieds ».

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