Italie : pourquoi vous devriez vous intéresser aux élections législatives – franceinfo

Qui prendra la succession de Mario Draghi à la tête de l’Italie ? Deux mois après que le centriste a été poussé à la démission par une énième crise politique, le ou la future cheffe du gouvernement italien doit être désignée lors d’élections législatives anticipées, dimanche 25 septembre. Pour la première fois, le pays pourrait être dirigé par une Première ministre : Giorgia Meloni, la présidente du parti d’extrême droite Fratelli D’Italia.

Franceinfo vous explique pourquoi vous devriez vous intéresser à ces élections qui s’annoncent, comme souvent en Italie, pleines de suspense.

Parce que ce scrutin arrive après quatre ans de crises politiques

“L’instabilité, en Italie, c’est la règle.” Voilà comment Sofia Ventura, professeure de science politique à l’université de Bologne, explique la succession de crises qui ont agité la vie politique italienne depuis les législatives de 2018. En quatre ans, le pays a déjà connu trois exécutifs différents, soutenus par trois majorités différentes au Parlement : les deux gouvernements dirigés par Giuseppe Conte, leader du parti antisystème Mouvement 5 Etoiles (M5S), puis la grande coalition formée par Mario Draghi.

Cette instabilité politique n’est pas nouvelle. Le système électoral italien, complexe, empêche par nature la formation d’une majorité large au Parlement, expliquent Les Echos. Le 25 septembre, les électeurs sont ainsi appelés à désigner 200 sénateurs et 400 députés selon “un système mixte, mêlant une élection proportionnelle par région pour les deux tiers, et un système uninominal à un tour pour le tiers restant”. En clair, les coalitions sont quasi inévitables. “Jusqu’à la fin des années 1990, il y avait des changements fréquents de gouvernement en Italie, mais plusieurs partis politiques forts, avec une base large dans la société, étaient capables de constituer une majorité”, souligne Sofia Ventura, interrogée par franceinfo.

“Avec l’affaiblissement et le morcellement des partis, associés à l’apparition d’un sentiment de défiance de la population envers la politique, les majorités parlementaires naissent et meurent en l’espace d’un instant.”

Sofia Ventura, politologue à l’université de Bologne

à franceinfo

Appelé en 2021 par le président Sergio Mattarella pour mettre un terme à la troisième crise politique en trois ans, le centriste Mario Draghi a permis à l’Italie de connaître une relative phase d’accalmie. Durant un an et demi, l’ancien patron de la Banque centrale européenne a dirigé un gouvernement soutenu par une coalition regroupant tous les partis élus au Parlement sauf un, le mouvement nationaliste Fratelli d’Italia.

Le gouvernement Draghi a toutefois succombé à “un jeu politique”, analyse Sofia Ventura. “Fin juillet, le M5S, le parti de droite Forza Italia et une formation d’extrême droite, La Ligue, ont refusé de voter la confiance au gouvernement”, détaille-t-elle. Leur objectif était de se démarquer de l’exécutif et de profiter de ce qu’ils ont vu comme une opportunité de renforcer leur électorat, abonde Jean-Pierre Darnis, professeur à l’université Luiss de Rome et responsable du master en relations franco-italiennes à l’université Côte d’Azur. Dès le lendemain de ce vote, le Premier ministre a remis sa démission au président, qui a dissous le Parlement et convoqué des législatives anticipées.

Parce qu’une candidate d’extrême droite pourrait diriger l’Italie

A quelques jours du scrutin, les sondages donnent gagnante la coalition de droite rassemblant Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, La Ligue, menée par Matteo Salvini, et Fratelli d’Italia, la formation d’extrême droite de Giorgia Meloni. Mi-août, cette alliance rassemblait autour de 45% des intentions de vote, contre 30% pour celle de centre gauche emmenée par le Parti démocrate d’Enrico Letta. Selon le mode de scrutin mixte italien, cela signifierait que 60% des députés de la nouvelle législature seraient issus de la coalition de droite, précise Le Figaro.

A en croire les enquêtes d’opinion, la grande gagnante des législatives serait Giorgia Meloni. Son parti Fratelli d’Italia est crédité de 23 à 26% des voix, alors qu’il n’avait engrangé que 4% des votes lors des précédentes législatives, en 2018. “La ligne de Fratelli d’Italia est très proche de celle de La Ligue, qui avait obtenu un score de 34% lors des élections européennes de 2019, souligne Sofia Ventura. Mais depuis que Matteo Salvini a choisi de sortir de la coalition gouvernementale avec le M5S, en 2019, son parti n’a cessé de chuter dans les sondages. Et c’est Meloni qui en profite.”

La cheffe de Fratelli d'Italia, Giorgia Meloni, lors d'un meeting pour les élections législatives en Italie, le 23 août 2022, à Ancône.  (VINCENZO PINTO / AFP)

Giorgia Meloni bénéficie en effet d’un avantage : celui d’être “restée dans l’opposition, y compris quand tous les autres partis soutenaient la grande coalition de Mario Draghi”, pointe Jean-Pierre Darnis. “On est dans une version italienne du dégagisme : face à des cycles politiques courts et à la multiplication des crises, il y a une prime à la critique”, explique l’auteur de l’ouvrage Les Relations entre la France et l’Italie et le renouvellement du jeu européen (éditions L’Harmattan).

“Une partie grandissante d’Italiens voudraient donner sa chance à Giorgia Meloni car elle n’a jamais gouverné le pays, contrairement à Matteo Salvini qui a été ministre de l’Intérieur et dont le parti a adhéré à deux coalitions ces dernières années.”

Jean-Pierre Darnis, spécialiste de l’Italie

à franceinfo

La leader d’extrême droite, que l’on compare souvent à Marine Le Pen, a par ailleurs “fait évoluer son discours” ces derniers mois, complète Alban Mikoczy, correspondant de France Télévisions à Rome. “Elle défend une vision très conservatrice, avec pour valeurs centrales Dieu, la famille et la patrie’, et porte un programme anti-immigration, détaille-t-il. Mais en parallèle, elle a pris ses distances avec le discours positif qu’elle tenait auparavant sur Mussolini et elle se montre moins eurosceptique.” L’objectif de cette stratégie, selon Sofia Ventura ? “Giorgia Meloni veut se présenter comme une politicienne digne de confiance, moins radicale et capable de diriger le pays.”

Parce que ces élections auront des conséquences pour le reste de l’UE

La succession de Mario Draghi intéresse au-delà des frontières italiennes. “Le contexte actuel de crises internationales et domestiques (la pandémie, la guerre en Ukraine, la crise économique et climatique…) impose de mettre en œuvre des réformes en Italie”, souligne Jean-Pierre Darnis.

“Ces réformes doivent être négociées avec l’Union européenne et requièrent une majorité solide et large au Parlement. La grande coalition qui soutenait Draghi répondait à ces impératifs. Une coalition plus politique peut rencontrer des difficultés à gouverner.”

Jean-Pierre Darnis, spécialiste de l’Italie

à franceinfo

La capacité du nouvel exécutif à gouverner (et à réformer) est d’autant plus importante que l’Italie doit recevoir une part conséquente du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, voté après la crise du Covid-19. Au total, Bruxelles a accordé à Rome 68,9 milliards d’euros d’aides et 122,6 milliards d’euros de prêts à taux bonifiés, note Le Monde. Mais la solidarité européenne est soumise à une condition : la réforme du système judiciaire (l’un des plus lents d’Europe), des marchés publics et de la fonction publique.

A Bruxelles, on redoute que ce nouveau changement de gouvernement n’empêche les mesures d’aboutir, fragilisant à la fois la zone euro et la construction européenne. La capacité de Mario Draghi à réformer l’Etat italien et à utiliser les fonds européens pour relancer l’économie était considérée, notamment à Berlin, comme un test du bien-fondé de cette solidarité européenne”, analyse ainsi Le Monde.

Le Premier ministre italien, Mario Draghi, lors d'une réunion du conseil européen à Bruxelles (Belgique), le 26 juin 2022. (NICOLAS ECONOMOU / NURPHOTO / AFP)

Plus largement, la perspective d’avoir un parti eurosceptique à la tête d’un des pays fondateurs de l’UE n’est pas anodine. “Giorgia Meloni ne parle plus de sortir de l’Union, mais elle défend une vision souverainiste de l’Europe, proche de celle de la Hongrie ou de la Pologne, relève Sofia Ventura, professeure de science politique à l’université de Bologne. Sa politique pourrait mettre en péril la relation de l’Italie avec l’UE, le plan de relance européen, de futurs accords économique ou la construction européenne telle qu’elle est menée aujourd’hui.”

Parce que les résultats sont loin d’être joués d’avance

Si la victoire de Fratelli d’Italia semble être le scénario le plus probable à l’issue des législatives, rien dans la Constitution n’oblige le président à nommer Giorgia Meloni à la tête du gouvernement. “Une fois les résultats connus, il va contacter les leaders de chaque parti pour leur demander qui ils soutiennent. Il est possible qu’un autre nom émerge dans ces échanges”, pointe Sofia Ventura.

“Le matin du 26 septembre, les partis vont lancer les négociations autour du nom du Premier ministre. L’enjeu pour Giorgia Meloni, si son parti gagne, c’est de ne pas se faire voler la victoire.”

Alban Mikoczy, correspondant de France Télévisions à Rome

à franceinfo

La popularité de la cheffe de Fratelli D’Italia semble toutefois lui donner une longueur d’avance. “Il y a un ‘effet Meloni’ auprès d’une partie de l’électorat, un engouement pour sa personnalité dont les autres partis ont pris acte”, argue Jean-Pierre Darnis.

Même si Giorgia Meloni prend effectivement la tête de l’exécutif, “il est difficile de dire combien de temps durerait son gouvernement, d’autant plus qu’il existe une concurrence entre la Ligue et Fratelli d’Italia”, nuance Sofia Ventura. Selon la politologue italienne, “des rumeurs” circulent déjà sur le risque de voir de nouvelles alliances se former entre des partis de droite et du centre. “Un gouvernement Meloni pourrait donc, comme d’autres avant lui, avoir une vie brève.”

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