INFOGRAPHIES. Surmortalité, conditions de vie… les populations défavorisées plus vulnérables face à l’épi… – franceinfo

Dans plusieurs zones urbaines du globe, un même constat se dessine : les quartiers et populations les moins favorisés semblent plus sévèrement touchés par la crise sanitaire liée au Covid-19. De nombreux éléments le montrent en Seine-Saint-Denis et des données plus précises sur la situation ailleurs en France et dans le monde sont attendues.

Le coronavirus est-il vraiment le “grand égalisateur” ? C’est ce qu’estimait le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo, le 31 mars : “Tout le monde est touché par le virus. Peu importe votre intelligence, votre richesse, ou combien vous vous sentez puissant, peu importe votre âge. Ce virus est le grand égalisateur”

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Mais quand bien même le virus peut toucher tout le monde, nous sommes loin d’être tous égaux face au Covid-19. C’est du moins le constat qui prend forme lorsqu’on regarde les chiffres et la géographie de l’épidémie dans plusieurs grandes aires urbaines du monde. 

En Seine-Saint-Denis, une forte surmortalité et des conditions de vie défavorables

Pour Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis, le constat est simple : “Cette crise sanitaire jette une lumière crue sur les inégalités territoriales dont les habitants de Seine-Saint-Denis sont victimes.” Le 10 avril, Santé publique France faisait un point épidémiologique sur l’Ile-de-France. “En semaine 13, tous les départements franciliens étaient en excès de mortalité, mais les hausses les plus importantes étaient identifiées en Seine-St-Denis, à Paris et dans le Val-d’Oise”, écrivaient les experts.

D’après les données de l’Insee, le département du 93, situé au nord-est de Paris, rencontrait un record de surmortalité : +61,60% de décès entre le 1er et le 30 mars 2020 par rapport à la même période en 2019. Le chiffre le plus élevé de France derrière celui du Haut-Rhin, foyer de l’épidémie. Voici la carte des départements en fonction de leur surmortalité calculée par l’Insee, selon les données de décès en mars 2020.

Il est pour l’instant impossible d’être certain que la totalité de ces décès supplémentaires, répertoriés par l’Insee via l’état civil, est attribuée au Covid-19. Santé publique France se veut prudent. “Les chiffres provisoires interpellent mais il faudra attendre d’avoir des données plus fines, au sein de ces départements, pour approfondir ces analyses”, signale Agnès Lepoutre, responsable de la cellule Ile-de-France chez Santé publique France.

D’autant que des chiffres plus récents, publiés par l’Insee le vendredi 17 avril, montrent que la surmortalité a atteint +101,8% en Seine-Saint-Denis, et +99,3% dans les Hauts-de-Seine, entre le 1er mars et le 6 avril. Mais ces chiffres soulèvent déjà un paradoxe inquiétant. Le département du 93 est l’un des plus jeunes de France, mais est très touché par l’épidémie, alors que le virus affecte davantage les personnes âgées. Une analyse partagée par Stéphane Troussel : “Cette jeunesse du département devrait nous préserver, mais on se retrouve avec des taux de surmortalité très élevés. A l’évidence, les caractéristiques économiques et sociales sont autant de facteurs explicatifs.”

De fait, la Seine-Saint-Denis cumule les facteurs susceptibles d’expliquer une plus grande exposition à l’épidémie. Les conditions de vie se reflètent d’abord dans le niveau de revenu. La Seine-Saint-Denis est un département particulièrement pauvre et se démarque par un niveau de revenus bien plus bas qu’ailleurs, et des taux de pauvreté plus élevés. Voici la carte des communes d’Ile-de-France en fonction de leur revenu médian, avec les communes du 93, particulièrement rouges, en surbrillance.

Une autre série d’indicateurs évoqués par les professionnels de santé concerne les conditions de logement. L’insalubrité, la forte densité ou la précarité du logement sont autant de facteurs susceptibles d’exposer davantage la population aux problèmes de santé. 

En Seine-Saint-Denis, le nombre moyen de personnes par ménage est le plus élevé de France métropolitaine, avec 2,9 personnes par ménage, tout comme le Val-d’Oise. Le nombre de ménages en logements sociaux atteint aussi un record, à 32%.

 

Les inégalités sont aussi celles liées au travail. Stéphane Troussel évoque les nombreuses personnes occupant des emplois d’aides-soignants, brancardiers, caissiers ou caissières, livreurs ou éboueurs ; des postes en première ligne où les employés sont bien plus exposés au virus. “Cela engendre d’importants mouvements de population le matin et le soir”, détaille-t-il. Un phénomène difficile à quantifier néanmoins : à peine un mois après le début du confinement, les services statistiques de l’Etat n’ont pas encore de données consolidées à ce sujet.

Autre série de facteurs aggravants : les pathologies qui représentent des risques pour un patient de développer une forme sévère du Covid-19. Et les populations défavorisées y sont plus exposées : asthme, obésité, diabète… 

Parmi ces maladies chroniques, le diabète est l’un des premiers de ces facteurs de risque d’aggravation, et a été constaté chez 20 à 30% des personnes décédées du Covid-19 en fonction des pays. Or, la Seine-Saint-Denis est le troisième département de France le plus touché par le diabète, et le premier de la France métropolitaine.

Enfin, les autorités pointent aussi un moindre recours aux soins. Comme dans de nombreux autres domaines de service public, la situation dans le 93 est précaire. Le département dispose de 258 médecins pour 100 000 habitants, comparé aux 858 médecins pour Paris, et une moyenne de 396 en Ile-de-France. Et l’information sur le virus et les précautions a plus de mal à circuler, explique Stéphane Troussel, dont les équipes ont mis en place une campagne d’information avec la ville de Paris en différentes langues pour sensibiliser plus de personnes. 

Dans les pays anglo-saxons, les statistiques ethniques de l’épidémie soulignent les inégalités 

A l’international, ces facteurs aggravants face au Covid-19 se retrouvent dans les quartiers défavorisés d’autres villes du monde. Avec des données supplémentaires : les statistiques ethniques, qui n’existent pas en France mais qui sont mises en avant aux Etats-Unis, par exemple, pour montrer une facette supplémentaire des inégalités face à l’épidémie.

La ville de New York, qui abrite plus de 8 millions d’habitants, met chaque jour en ligne le nombre de tests positifs, quartier par quartier. Si l’on ramène ces données à la population de chaque quartier, une géographie inégale se dessine.

Sur cette carte, plus un quartier est rouge, plus la part de tests positifs est élevée. On remarque ainsi que les quartiers du Bronx (au Nord) et du Queens (à l’Est), qui sont les plus défavorisés de la ville, sont les plus touchés.

Le quartier le plus rouge sur cette carte est celui de East Elmhurst, dans le Queens. Le taux de tests positifs y dépasse les 75%, représentant jusqu’à 27% de la population. Le revenu médian est 25% plus bas que la moyenne de la ville, et environ 64% de ses habitants sont d’origine hispanique, rapporte le média américain FiveThirtyEight. On y compte 3,2 personnes par ménage, soit 20% de plus que la moyenne à New York. Et le quartier abrite l’une des plus grandes prisons de l’Etat, où plus de 600 cas de Covid-19 ont été recensés. 

A l’inverse, les quartiers où les taux de tests positifs au Covid-19 sont les plus faibles se situent à Manhattan et à Brooklyn, où certains quartiers connaissent une part plus importante de population blanche, et où le nombre moyen de personnes par ménage est plus faible.

Ces analyses, sujettes à des évolutions au fil de l’épidémie, devront être confirmées par la suite, et sont aussi à mettre en regard de la grande inégalité face au système de santé américain, majoritairement privé. La ville de New York a par ailleurs commencé à fournir des analyses basées sur les statistiques ethniques, et le constat est marqué : les populations noires et latino-américaines, chez qui le taux de pauvreté est par ailleurs plus élevé, sont les plus frappées par l’épidémie.

Selon Andrew Goodman, professeur de santé publique à l’Université de New York, la pandémie est “un exemple dramatique des conséquences des inégalités de revenus et raciales sur l’accès à la santé aux Etats-Unis”. Habituellement, les décès liés aux pathologies comme le diabète, et qui touchent de manière disproportionnée certaines minorités, “s’étalent dans le temps et ne sont pas vus comme si dramatiques. Ce à quoi on assiste ici en est une version exacerbée”, explique-t-il au média FiveThirtyEight.

Pour Julia Lynch, professeure de science politique à l’Université de Pennsylvanie, citée par le média Vox, ces inégalités de santé sont aussi induites par la capacité de chacun à avoir du temps pour préparer des repas sains, ou suffisamment de revenus pour ne pas avoir à cumuler les emplois, situation qui peut générer du stress. Une qualité de vie à laquelle les plus pauvres n’ont pas toujours accès.

Aux Etats-Unis aussi, les différentes populations ne sont pas exposées au virus de la même manière en fonction de leur emploi. Pour saisir ces inégalités, des chercheurs du centre de recherche en économie CEPR ont compilé des données sur les employés américains des six secteurs en première ligne pendant cette crise. Alors que les travailleurs noirs représentent 11,9% de toute l’économie, ils sont 17% dans les secteurs mobilisés actuellement. A l’inverse, la part d’employés blancs passe de 63,5% en temps normal à 58,8% dans les secteurs en première ligne.

De même, de fortes inégalités de genre se dessinent. Alors que les femmes représentent 47,4% du marché du travail, ce chiffre passe à 64,4% dans les secteurs dont les employés sont actuellement “au front”. Ce fort écart s’explique par le fait qu’elles représentent 76,8% des employés du soin ou 85,2% dans les services sociaux, fortement sollicités.

Au Royaume-Uni également, des données gouvernementales permettent de constater une surreprésentation des populations noires et asiatiques, souvent plus défavorisées, au sein des patients atteints du Covid-19. 

Autre exemple dans la région de Barcelone, en Espagne. Les données publiées sur le site des autorités locales montrent une forte inégalité entre quartiers ; et c’est dans les zones les plus défavorisées que l’épidémie semble progresser le plus.

Il est encore tôt pour tirer des conclusions définitives de ces observations. “On reste sur des hypothèses”, avertit Agnès Lepoutre, de Santé publique France. Mais si l’épidémie révèle les inégalités socio-économiques, elle risque aussi de les exacerber. Les premiers bilans économiques laissent deviner un accroissement du chômage, de l’insécurité alimentaire, et donc des problèmes de santé comme le diabète ou l’obésité que cela peut engendrer.

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