INFOGRAPHIES. Avortement aux Etats-Unis : la décision de la Cour suprême, ultime étape de cinquante ans d’atta – franceinfo

Roe v. Wade est tombé. La Cour suprême américaine a renversé, vendredi 24 juin, son célèbre arrêt de 1973 qui garantissait le droit à l’avortement au niveau fédéral, c’est-à-dire sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis. Dans un document de 213 pages*, une majorité de six juges (tous conservateurs) sur neuf estime que “la Constitution ne fait aucune référence à l’avortement et aucun de ses articles ne protège implicitement ce droit”. “Il est temps de rendre la question de l’avortement aux représentants élus du peuple” dans les Congrès de chaque Etat, affirment les magistrats en conclusion de leur décision.

Cette révocation, pressentie depuis plusieurs mois, n’est pas une surprise. Mais elle n’en demeure pas moins un véritable séisme pour les Américaines : en l’absence de Roe v. Wade, la moitié des 50 Etats vont interdire ou limiter fortement l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), avertit le Guttmacher Institute*.

“C’est l’objectif que cherchaient à atteindre les anti-IVG depuis que l’arrêt de 1973 a reconnu l’avortement comme un droit constitutionnel”, dénonce Ianthe Metzger, directrice de la communication au sein de la Fédédation américaine du planning familial (PPFA). Franceinfo illustre ces cinq décennies d’attaques contre l’IVG aux Etats-Unis, infographies à l’appui.

Protéger ou interdire l’IVG : un pays désormais coupé en deux

Le revirement opéré par la Cour suprême était attendu depuis plusieurs mois. “En acceptant de se prononcer sur une loi du Mississippi qui interdit l’IVG après 15 semaines de grossesse [alors que la plus haute juridiction américaine n’a aucune obligation de se saisir d’une affaire], les juges ont montré qu’ils n’allaient pas défendre leur jurisprudence de 1973″, explique Ianthe Metzger à franceinfo. Les défenseurs des droits des femmes ont aussitôt alerté sur la division profonde qui va traverser le pays après le renversement de Roe v. Wade.

Les effets de cette décision historique vont se faire sentir immédiatement puisque chaque Etat peut désormais décider de sa propre législation sur l’avortement. Une dizaine ont ainsi interdit totalement l’IVG dès que la Cour a rendu son arrêt vendredi, rapporte le New York Times*.

A partir des données du Center for Reproductive Rights et du Guttmacher Institute, on peut à ce jour classer les 50 Etats américains en trois catégories : d’abord ceux dont la loi protège le droit à l’avortement, autorisant cet acte dans des délais égaux ou similaires à Roe v. Wade (qui fixait la limite au seuil de viabilité du fœtus, soit environ 24 semaines de grossesse) ; ceux qui interdisent l’IVG ou abaissent drastiquement le délai légal ; enfin, trois Etats qui n’ont pas adopté de texte protégeant explicitement ce droit, mais qui ne l’interdisent pas pour autant. 

Près de la moitié des Etats américains sont concernés par des restrictions ou la fin du droit à l’IVG. Anticipant un revirement de la Cour suprême, 13 d’entre eux avaient adopté des trigger bans ces dernières années, détaille le New York Times*. Ces lois qui interdisent l’avortement entrent automatiquement en vigueur après le renversement de Roe v. Wade, certaines dès le 24 juin et d’autres dans les jours qui suivent.

Dans d’autres Etats, la décision de la Cour va permettre à des textes suspendus par la justice d’être à nouveau appliqués. Certaines de ces lois étaient en vigueur avant l’arrêt de 1973. D’autres avaient été votées ces dernières années, comme celle qui interdit l’avortement après six semaines (un seuil en deçà duquel de nombreuses grossesses ne sont pas encore connues) dans l’Ohio.

Mais la liste des Etats “hostiles” à l’IVG pourrait encore évoluer. Selon le Guttmacher Institute, le Montana et l’Indiana vont par exemple probablement interdire cette procédure dans les mois à venir. Le gouverneur du Nebraska a également promis une mesure similaire. Dans cet Etat conservateur, l’avortement est pour l’instant légal jusqu’à 20 semaines de grossesse mais avec des restrictions sur certains types de procédures à partir du deuxième trimestre, précise le Guttmacher Institute*.

La Fédération américaine du planning familial s’inquiète également de la situation en Virginie et dans le New Hampshire, deux Etats qui n’ont pas adopté de législation protégeant explicitement le droit à l’avortement. “L’actuel gouverneur de Virginie est anti-IVG et il y a eu des tentatives de faire passer des textes limitant ce droit dans le New Hampshire ces dernières années, pointe Ianthe Metzger. Nous espérons, en revanche, que le Nouveau-Mexique va rapidement adopter une loi pour garantir ce droit.”

Cinquante ans de lois anti-IVG

La décision de la Cour suprême n’est donc pas le premier coup porté au droit à l’avortement. Entre l’arrêt de 1973 et mai 2022, près de 1 400 lois s’attaquant à l’IVG ont été promulguées dans les différents Etats américains, révèle le Guttmacher Institute*. Ce chiffre inclut les trigger bans, mais aussi des lois suspendues par la justice et des textes qui limitent la capacité réelle des femmes à avorter, en leur imposant des contraintes supplémentaires (comme une période de réflexion).

Près de la moitié de ces lois ont été adoptées au cours de la dernière décennie, note le Guttmacher Institute. Et cette tendance s’est encore accélérée après la nomination à la Cour suprême par Donald Trump, fin 2020, de la juge Amy Coney Barrett. Avec elle, la plus haute juridiction du pays compte désormais six magistrats conservateurs sur neuf. Une large majorité qui a “encouragé les législateurs des Etats républicains à être plus agressifs dans leurs attaques contre le droit à l’avortement”, souligne auprès de franceinfo Mary Ziegler, historienne spécialiste des droits reproductifs à la Florida State University.

Sur la seule année 2021, 108 lois restreignant le droit à l’avortement ont ainsi été promulguées dans 19 Etats américains, rapporte le Guttmacher Institute*. Et 2022 pourrait être encore pire, selon l’organisme* : entre le 1er janvier et le 25 mai, 42 textes s’attaquant à l’IVG ont déjà été signés par les gouverneurs de onze Etats conservateurs. Fin mai, l’Oklahoma est par ailleurs devenu le premier Etat américain à bannir l’avortement dès la fécondation, rapporte la radio nationale NPR*.

De multiples entraves à l’accès à l’IVG…

Outre Roe v. Wade, un autre arrêt de la Cour suprême encadre le droit à l’avortement : Planned Parenthood v. Casey. Depuis 1992, cette décision interdit aux Etats de prendre des mesures constituant un “fardeau excessif” pour les femmes voulant mettre un terme à leur grossesse (comme, par exemple, leur imposer d’obtenir l’accord de leur conjoint). Cet arrêt autorise en revanche les différentes législatures à fixer les modalités du recours à l’IVG, souligne le Center for Reproductive Rights*.

“Planned Parenthood v. Casey a ouvert la voie à toute une série de mesures qui ne sont pas jugées inconstitutionnelles mais qui restreignent de fait l’accès à l’avortement.”

Ianthe Metzger, directrice de la communication à la PPFA

à franceinfo

Parmi ces entraves à l’IVG, l’obligation d’attendre 24 à 72 heures entre la première consultation avec le médecin et la procédure en elle-même. Vingt-sept Etats imposaient cette période de réflexion, pourtant jugée inutile et stigmatisante par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avant la décision de la Cour suprême vendredi, rapporte le Guttmacher Institute*. Vingt-huit contraignaient les médecins à donner certaines informations à leurs patientes, “dans l’objectif de les décourager et parfois avec des affirmations erronées”, dénonce Ianthe Metzger. Et 36 exigeaient d’informer, voire d’obtenir l’accord des parents d’une mineure souhaitant mettre un terme à sa grossesse.

Cliquez sur le menu déroulant en haut de la carte pour voir les différents critères étudiés.

Autre frein à l’IVG : l’interdiction pour les médecins de 18 Etats de prescrire les pilules abortives lors de téléconsultations. Le recours à ce médicament, employé pour mettre un terme à une grossesse lors des premières semaines après la fécondation, a fortement augmenté ces dernières années aux Etats-Unis. En 2020, la pilule abortive représentait 54% des IVG réalisées dans le pays, selon le Guttmacher Institute*.

Dans les Etats où l’accès à l’avortement est très limité, elle constitue une solution moins coûteuse et moins invasive pour de nombreuses femmes. Son usage s’est particulièrement développé durant la pandémie de Covid-19, l’agence américaine de contrôle des médicaments ayant autorisé sa prescription lors de consultations en ligne. Mais la pilule abortive est désormais la nouvelle cible des anti-IVG, relève le New York Times*.

… qui ont entraîné de fortes inégalités à travers le pays

Bien avant le revirement de la Cour suprême, ces barrières restreignant de fait l’accès à l’IVG ont provoqué de fortes disparités entre les Etats. En 2017, le taux de recours à l’avortement n’était que de 1,3 pour 1 000 femmes âgées de 15 à 44 ans dans le Wyoming. Il était en revanche de 30,2 dans la capitale fédérale, Washington, selon les chiffres du Guttmacher Institute*.

Ces difficultés d’accès ont aussi contraint de nombreuses Américaines à voyager hors des limites de leur Etat pour obtenir une IVG. Dans le Missouri ou le Mississippi, une seule clinique propose cette procédure. Dans l’Idaho, il n’y en a que trois, alors que l’Oregon et l’Etat de Washington voisins [dans l’Ouest du pays] ont bien plus de centres”, souligne Ianthe Metzger, du Planning familial. Pour les résidentes de l’Idaho, il est donc souvent plus simple, et plus rapide, de se rendre dans ces deux Etats.

En 2017, elles étaient près d’un tiers (30,73%) à avoir avorté hors de l’Idaho, selon la revue The Lancet*. La part d’IVG réalisées hors de l’Etat de résidence atteignait, cette même année, 50,81% dans le Mississippi, 56,14% dans le Missouri et le chiffre record de 74,4% dans le Wyoming. A l’opposé, on trouve la Californie, avec seulement 0,11% des IVG réalisées hors de l’Etat en 2017.

Avec le renversement de Roe v. Wade par la Cour suprême, ce sont désormais des régions entières qui vont se transformer en “déserts anti-avortement”, avertit Ianthe Metzger. Dans ces zones, la distance moyenne pour accéder à un centre réalisant des IVG va passer de 53 à 453 kilomètres, estime une analyse citée par le New York Times*. Un quart des femmes voulant avorter renonceront alors à la procédure, selon l’étude. En cause notamment : le coût et le temps nécessaires pour un tel voyage, prohibitifs pour les Américaines les plus modestes.

Même les plus aisées risquent d’être privées du recours que constituent les “Etats sanctuaires” qui protègent l’IVG. Selon CNN*, les législateurs du Missouri examinent plusieurs projets de loi qui permettraient de poursuivre les femmes qui avortent hors du territoire ou quiconque les aide dans cette démarche.

“Le Missouri ne sera pas le seul Etat qui essaiera de réguler ce qui se passe hors de ses limites.”

Mary Ziegler, historienne

à CNN

Face à cette nouvelle menace, le Planning familial propose la même solution que celle formulée par Joe Biden sur Twitter* début mai. “Il faut voter pour des candidats pro-IVG lors des élections de mi-mandat, en novembre, martèle Ianthe Metzger. C’est le seul moyen de donner au Congrès fédéral le pouvoir de légiférer pour protéger le droit à l’avortement dans tout le pays.”

  • Les liens marqués par des astérisques renvoient vers des contenus en anglais.

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