Incendie de l’usine Lubrizol : à Rouen, des habitants lancent leurs propres analyses pour mesurer l’impact de la pollution – Le Monde

Dernier épisode en date de l’opération « transparence totale » annoncée par le premier ministre, Edouard Philippe, la préfecture de Seine-Maritime a publié, mardi 1er octobre, en soirée, la liste des produits chimiques entreposés dans l’usine Lubrizol. Ainsi 5 253 tonnes de substances chimiques ont brûlé dans l’incendie qui a ravagé une partie de ce site classé « Seveso seuil haut ». La majorité sont des additifs multi-usages, mais on trouve aussi des solvants ou des détergents. Au total, 479 « fiches de sécurité » correspondant à ces substances ont été mises en ligne.

« Tous les produits ne sont pas dangereux », a tenu à rassurer une nouvelle fois le préfet, Pierre-Yves Durand, après avoir écarté un « risque amiante ». Une première lecture faite par Le Monde montre toutefois parmi les dix produits présents en plus grande quantité des substances aux noms barbares comme l’O,O,O-triphenyl phosphorothioate ou le phénol dodécyl pouvant notamment nuire à la fertilité. Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et présidente de l’Association Henri-Pézerat, souligne aussi la présence de benzène ou de HAP (hydrocarbures), potentiellement cancérogènes. Pour la spécialiste de la pollution, c’est « l’effet cocktail de tous ces produits qui ont brûlé qui est dangereux ».

Pour Buzyn, « pas de risques pour la santé »

Mercredi matin sur France Inter, la ministre de la santé, Agnès Buyzn, a elle-même admis que « personne ne sait exactement ce que donnent ces produits mélangés lorsqu’ils brûlent. » « L’Etat aujourd’hui ne peut pas répondre à cette question », a-t-elle ajouté, tout en précisant avoir demandé à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) de faire une évaluation.

« Aujourd’hui, je dis ce que je sais, c’est-à-dire que nous avons cherché les produits les plus communément trouvés après un incendie dans une usine qui contient des hydrocarbures ou des dérivés d’essence ou de lubrifiants », a expliqué la ministre. Elle a ajouté que ces analyses n’avaient pas mis en évidence d’hydrocarbures polycycliques, « produits éventuellement cancérigènes », dans des proportions au-dessus des « seuils habituels ».

« Ensuite, nous avons cherché l’amiante, parce que le toit de l’usine était en amiante. […] Sur un rayon de 300 mètres autour de l’usine, il n’y en a pas au-dessus des seuils admis dans l’environnement », a-t-elle poursuivi. « Le troisième toxique que nous recherchons, c’est la dioxine, qui est aussi un produit très dangereux. Et ça, nous aurons les résultats au fur et à mesure dans la semaine. » Et Agnès Buzyn de résumer que « cette pollution est réelle, [mais] pour l’instant elle n’entraîne pas de risques pour la santé, avec ce que nous connaissons aujourd’hui ».

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« Manque de clarté et de sincérité »

Sur la base de la liste publiée par la préfecture, les autorités sanitaires doivent élaborer un plan de prélèvements pour procéder à une évaluation quantitative des risques sanitaires, a expliqué la préfecture. Elle devrait durer plusieurs semaines. Pas vraiment rassurés, méfiants vis-à-vis des autorités, des Rouennais ont décidé de lancer leurs propres analyses.

Une cagnotte a été ouverte sur le site Leetchi pour financer une « analyse citoyenne indépendante de la pollution ». En quelques jours, elle a récolté 2 500 euros. « Cette somme va nous permettre de faire des prélèvements et des analyses de manière rigoureuse en ciblant en priorité des lieux qui n’ont pas été testés jusque-là, explique Guillaume Blavette, administrateur de France Nature Environnement (FNE) en Normandie. Nous avons la chance d’avoir des labos universitaires très pointus en chimie fine à Rouen. » L’initiative émane du « milieu écolo rouennais », précise M. Blavette.

Manifestation des habitants de Rouen ce mardi 1 octobre 2019, pour demander plus de transparence après l’incendire de l’usine Lubirzol.

Plusieurs habitants de l’agglomération ont proposé leur jardin ou leur terrain pour réaliser les prélèvements qui doivent être effectués cette semaine. « Les résultats communiqués par la préfecture manquent à la fois de clarté et de sincérité. Ils ne répondent pas aux questions que l’on se pose, poursuit l’administrateur de FNE. On voudrait une cartographie très précise des retombées des toxiques spécifiques à Lubrizol, qui utilisaient des molécules dangereuses au cœur d’une agglomération de 500 000 habitants, pour que des mesures de protection adéquates soient prises. »

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Référé pour constater de manière contradictoire la pollution

L’association Respire a également décidé d’organiser une campagne de « prélèvements citoyens » dans l’agglomération rouennaise et les zones avoisinantes. Ces prélèvements seront réalisés en présence d’un huissier et analysés par des laboratoires indépendants. L’association espère pouvoir les organiser vendredi 4 octobre. Elle vise à recueillir un maximum de prélèvements différents : suies, galettes d’hydrocarbures, résidus d’amiante contenu dans la toiture de l’usine partie en fumée, mais aussi eau ou légumes. L’association a aussi obtenu l’accord d’une dizaine de volontaires pour des prélèvements sanguins.

Parallèlement, Respire a déposé un recours en référé devant le tribunal administratif de Rouen avec 99 habitants de l’agglomération afin de nommer un expert pour « constater de manière contradictoire la pollution et ses effets ». La procédure a été confiée à l’avocate et ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage.

Pour le président de Respire, Olivier Blond, c’est « l’équivalent d’une marée noire » qui s’est répandue dans l’agglomération rouennaise. « Les analyses fournies par la préfecture ne révèlent aucun problème majeur, mais elles sont extrêmement partielles. Les dioxines et les furanes, par exemple, n’ont pas été recherchés ou les résultats n’ont pas été communiqués », relève l’association. « Le premier ministre promet la “transparence absolue”, rappelle M. Blond. Mais la vraie transparence sur la situation ne pourra être obtenue qu’avec la participation des citoyens et de leurs organisations. »

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