Incendie de Bolloré Logistics à Rouen : « N’importe quel feu est toxique », estime Paul Poulain – 20 Minutes

Une épaisse fumée noire et des séries de déflagrations au cœur de la nuit… Les images de l’incendie d’entrepôts industriels à Grand-Couronne, près de Rouen, sont impressionnantes. Il a d’abord touché, dès 16h30, lundi, deux entrepots loués par Bolloré Logisticts. L’un abritait 12.000 batteries au lithium, l’autre, 70.000 pneus. Le feu sera circonscrit à 23h30 par la centaine de pompiers sur place, avant qu’un nouveau départ, à partir de 3 heures, remette tout le monde sur le pont, cette fois-ci dans un troisième entrepôt à proximité, appartenant à la société Ziegler et contenant du textile et des palettes.

Ce nouvel accident industriel a forcément réveillé un bien mauvais souvenir chez les Rouennais. Celui, de l’incendie de Lubrizol, le 26 septembre 2019, à quelques kilomètres de là et qui avait marqué les esprits, tant par sa durée (12 heures) que par la quantité des produits chimiques qui avaient brûlé (9.500 tonnes). Ce mardi matin, Pierre-André Durand, préfet de Seine-Maritime, se voulait rassurant. « Les résultats des analyses menées tout au long de la nuit […] permettent de confirmer l’absence de concentration significative de substances dans l’air liées à l’incendie », assure-t-il dans un communiqué. La préfecture justifie ainsi la décision de n’instaurer aucune restriction de circulation ce mardi dans l’agglomération, ni celle de fermer les écoles.

Une communication « très légère », déplore Paul Poulain, ingénieur consultant « risques industriels » au cabinet Riskcare, et auteur de Tout peut exploser (ed. Fayard). Il répond à nos questions.

« Aucun risque particulier n’a été identifié »… Faut-il être aussi confiant que la préfecture de Seine-Maritime ?

On peut comprendre que le préfet souhaite rassurer la population. Mais de là à adopter une posture si légère, presque désinvolte, ça questionne. N’importe quel incendie est toxique et dégage environ 200 substances chimiques. Mais dans ce qui a brûlé ces dernières heures, il y a des batteries lithium dont la toxicité est très connue de l’industrie. L’un des entrepôts en stockait tout de même 12.000. Dans ses communiqués, la préfecture reconnaît que la combustion du lithium représente un risque chimique. Mais elle le restreint au dégagement d’acide fluorhydrique et assure que cette substance n’a pas été détectée à l’extérieur du site. C’est très léger. L’Institut national de recherche et de sécurité (IRSN) liste d’autres polluants* qui peuvent être relâchés dans l’incendie de batteries lithium. Par ailleurs, on ne prend jamais en compte « l’effet cocktail ». Le deuxième entrepôt touché abritait 70.000 pneus et le troisième des palettes et des textiles. Quelles sont les conséquences du mélange de ces fumées ? Il n’a même pas été dit si les toits de ces bâtiments contenaient ou non de l’amiante.

Faut-il alors considérer ce nouvel incendie comme tout aussi grave que celui Lubrizol ?

Il faudrait en discuter avec des toxicologues. Personnellement, je pense qu’il peut être tout aussi grave. Il est précisé que le site incendié cette fois-ci n’était pas classé Seveso**, comme celui de Lubrizol. Avec cette idée, derrière, que ça serait donc moins grave. Mais ce n’est pas la catégorie d’un site qui détermine la dangerosité d’un incendie. Il faut regarder dans le détail la nature des substances qui ont brûlé, mais aussi prendre en compte l’heure à laquelle cela s’est produit. L’incendie de Lubrizol s’est principalement déroulé la nuit. Lundi, l’incendie a commencé dès 16h30, soit au moment même où les gens sont dans la rue, vont chercher leurs enfants à l’école, commencent à sortir du travail. On peut supposer que bien plus de Rouennais ont été exposés au nuage de fumée. Par ailleurs, l’incendie n’est pas encore tout à fait éteint. C’est toute la subtilité des mots utilisés par la préfecture qui fait tout pour cacher que ça brûle encore ce mardi. Elle dit l’incendie « circonscrit ». Cela veut dire qu’il n’est plus censé sortir d’un périmètre où l’on est parvenu à le limiter. Mais il n’est pas encore éteint et peut toujours repartir. A minuit, la nuit dernière, la préfecture disait déjà que le feu était circonscrit, avant qu’un troisième entrepôt flambe à 3 heures. Quoi qu’il en soit, il ne faudra pas en rester là sur ce nouvel accident industriel. Certes, la préfecture précise que les mesures et analyses complémentaires vont se poursuivre. Il faut espérer que les autorités iront jusqu’à mener une étude épidémiologique suivant, sur le temps long, la santé des riverains.

En septembre 2020, le gouvernement avait fait une série d’annonces pour renforcer la gestion des risques industriels, pour retenir justement les leçons de Lubrizol. A-t-on avancé depuis ?

Pas vraiment. Il y a toujours vingt incendies qui se déclarent chaque jour dans des usines en France. L’un des objectifs annoncés à l’époque était d’augmenter de 50 % les inspections annuelles des 500.000 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)*** françaises. Pour ce faire, le gouvernement avait annoncé 50 inspecteurs supplémentaires d’ici la fin du quinquennat. Une enquête de Libération, pour les trois ans de Lubrizol, a montré que l’effectif global de ces agents n’a fait que décliner depuis cette catastrophe, en contradiction avec le projet annoncé. Pour autant, le nombre d’inspections a un peu augmenté, mais elles sont alors moins approfondies.

L’incendie de Lubrizol avait aussi montré la faiblesse des systèmes d’alerte de la population lors d’un accident industriel et avait poussé à la mise en place du dispositif FR-Alert [système d’alerte par SMS doublé d’une sonnerie stridente qui vous informe sur la conduite à tenir]. Ce nouvel incendie a montré qu’on n’était toujours pas au point sur cette culture du risque. Lundi soir, la préfecture a estimé qu’il n’y avait pas lieu de déclencher FR-Alert. Dans le même temps, sur Facebook, des communes alentour [comme Orival] ont invité leurs habitants à rester confinés, à fermer les fenêtres et à ne sortir sous aucun prétexte. Une belle cacophonie. Surtout, la décision de la préfecture de n’instaure aucune restriction d’activités et de laisser les écoles ouvertes questionne. Le cadre réglementaire et la prudence réclamaient de telles mesures. On a confiné massivement les Français pendant la pandémie de Covid, mais on ne le fait pas ponctuellement sur un incendie de cette ampleur, au moins le temps de l’éteindre complètement ? La création d’une autorité de sureté indépendante pour piloter la gestion de crise semble nécessaire.

*Des conditions inhabituelles ou abusives d’utilisation (surcharge, court-circuit, présence d’une source de chaleur extérieure…) peuvent être à l’origine d’un phénomène d’emballement thermique capable de générer des fuites de cet électrolyte liquide et un dégagement de composés dangereux pour la santé, précise l’IRSN dans une fiche consacrée aux batteries lithium-ion. Comme le monoxyde de carbone, le dioxyde de carbone, le fluorure d’hydrogène, le chlorure d’hydrogène, le formaldéhyde, le fluorurede phosphoryle, le benzène, le styrène… »

** Ces sites présentent des risques majeurs d’accidents et nécessitant d’y maintenir un haut niveau de prévention. 1.312 sites sont classés ainsi en France, dont 705 en seuil haut.

*** Des usines, des fermes, des entrepôts classés ainsi parce qu’ils présentent des risques d’incendie, d’explosion ou de pollution.

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