Immolation d’un étudiant à Lyon : une journée d’émotion et d’actions pour dénoncer la précarité étudiante – Le Monde

Rassemblement d’étudiants le 12 novembre à Lyon, quatre jours après le drame.

Dans plusieurs établissements, le retour sur les bancs universitaires, mardi 12 novembre, s’est fait dans l’émotion. Quatre jours plus tôt, juste avant le long week-end du 11 novembre, Anas K. s’est immolé par le feu devant le bâtiment du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de la Madeleine, à Lyon. Cet étudiant de 22 ans a laissé un message dénonçant sa situation de précarité.

Un appel à se rassembler dans toute la France était lancé par le syndicat Solidaires étudiant.e.s, auquel appartient le jeune homme, gravement brûlé et toujours entre la vie et la mort à l’hôpital, mardi soir. Cet appel a enregistré le soutien de plusieurs autres organisations étudiantes et enseignantes, et celui d’une poignée de partis politiques (Europe écologie-Les Verts, la Gauche démocratique et sociale, La France insoumise, le NPA).

Plusieurs centaines de jeunes, d’enseignants, de syndicalistes se sont réunis – dans une quarantaine de villes d’après Solidaires – en hommage à l’étudiant et pour dénoncer la précarité étudiante. Cette même précarité qu’Anas K. a lui-même racontée, dans un post sur Facebook, avant sa tentative de suicide. A Saint-Etienne, ville dont il est originaire, ils étaient 150, rapporte l’Agence France-presse (AFP). A Bordeaux, dans l’après-midi, ils étaient quelques dizaines devant le bâtiment de la Victoire, plus d’une centaine devant le Crous.

A Paris en fin de journée, après un rassemblement devant le Crous du Port-Royal, un cortège a marché sur le boulevard Saint-Michel. Aux alentours de 20 heures, des vidéos partagées sur les réseaux sociaux ont fait état d’intrusions de manifestants dans la cour extérieure du ministère de l’enseignement supérieur. Des intrusions confirmées par le ministère. Les manifestants sont repartis, à la suite d’une intervention de la police.

Dans le Nord, devant le Crous de Lille, quelque 300 à 400 personnes se sont rassemblées, derrière des pancartes « La précarité tue, la solidarité fait vivre ». Sur les banderoles, beaucoup ont repris le slogan avec lequel Anas K. a conclu son dernier message : « Vive le socialisme, vive l’autogestion, vive la Sécu ». Des étudiants ont ensuite défilé dans les rues, et pénétré dans la faculté de droit, où ils ont empêché la tenue d’une conférence de François Hollande. L’intrusion s’est faite aux cris de « Lyon, Lyon, ni oubli, ni pardon », « Hollande assassin ! », certains déchirant les pages de son dernier livre.

Dans la soirée, l’université a exprimé « sa consternation et condamné les débordements survenus », avec « l’intrusion de manifestants en partie extérieurs à l’établissement ». L’ancien président de la République, lui, a dit comprendre une « émotion légitime », regrettant toutefois « que cette émotion se soit transformée en violence ».

« Un geste éminemment politique »

A Lyon, le rassemblement avait débuté à 10 heures, devant le Crous de la Madeleine, là où Anas K. est passé à l’acte, le 8 novembre. Au micro, sa compagne a lu le message qu’il a posté sur les réseaux sociaux, devant une assemblée de plusieurs centaines de personnes. L’étudiant en sciences politiques y évoque ses difficultés financières, sa perte de bourse après trois redoublements en deuxième année de licence – « même quand j’en avais, 450 euros par mois, est-ce suffisant pour vivre ? » – et demande que « ses camarades continuent de lutter », en énonçant de nombreuses revendications, dont celle du « salaire étudiant ». En fin de matinée, le cortège s’est dirigé vers les bâtiments de l’université Lyon-II. Une assemblée générale y a voté le « blocage » de la grande université de sciences humaines. Plusieurs dizaines de personnes ont pénétré dans les locaux de la présidence de l’université.

Manifestation d’étudiants, le 12 novembre à Lyon.

Sur le parvis du Crous lyonnais, quelques heures plus tôt, derrière les larmes de nombre de jeunes choqués, la colère s’exprimait sans retenue, parmi ses « camarades » de Solidaires ou encore chez les syndicalistes venus apporter leur soutien, de FO, de la CGT. « Conditions de vie décentes pour tout-es les étudiants », pouvait-on lire sur les affiches, entre les drapeaux syndicaux. Les mots d’ordre traditionnels des luttes étudiantes ont été scandés par un public visiblement habitué des mobilisations. « Les jeunes dans la galère ; les vieux dans la misère ; cette société, on n’en veut pas ».

Ce « geste désespéré reflétait sa situation personnelle », mais il constitue aussi « un geste éminemment politique », défend un étudiant lyonnais à la tribune. « La tristesse s’est transformée en colère et en rage », dit Jean-Baptiste, camarade de promo d’Anas K., et membre de Solidaires. « Contre ce système qui broie des vies, contre ce gouvernement : ce que nous attendons maintenant, ce sont des réponses ». Le « soutien de Frédérique Vidal [ministre de l’enseignement supérieur], c’est gentil, mais ce qu’on veut c’est des actes, c’est plus de bourses, c’est un salaire étudiant, c’est des logements », poursuit-il.

Dans les rangs étudiants, le soupçon « d’instrumentalisation » ou de « récupération » entendu dans des cercles politiques, ou le renvoi à la « situation personnelle » d’Anas K., suscitent l’incompréhension. « On est nombreux à s’identifier à sa détresse sociale », lâche une étudiante. « J’ai la chance d’avoir une bourse de 480 euros, relate Hanna, étudiante à Lyon-II en première année de lettres. Mais les conditions d’études ne sont pas simples, je dois vivre chez ma sœur, il me faut presque deux heures pour venir à la fac, matin et soir, on est nombreux à ne pas avoir les moyens de vivre à Lyon. »

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« Je comprends son geste, abonde Hind, étudiante en master 1 de sociologie. Je vis, comme lui, avec une bourse de 450 euros par mois, et je sais qu’on n’arrive pas à vivre. » Après avoir retiré ses charges incompressibles (loyer en chambre étudiante Crous, transports, téléphone), la jeune femme dit jongler avec 100 euros. Ses parents n’ont pas les moyens de l’aider. « A la rentrée, c’est encore pire, je n’avais plus rien à partir du 15 du mois… », relate-t-elle. En pratique : « On ne mange pas à tous les repas. » « Oui, ça impacte sur le mental de ne pas savoir comment on va finir le mois. »

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