« Il serait inconsidéré de jeter à la poubelle un million de doses disponibles » : débat en Afrique du Sud sur le vaccin AstraZeneca – Le Monde

Des échantillons de vaccin contre le Covid-19 lors d’un essau clinique dans un hôpital de Johannesburg, en août 2020.

Le soulagement aura été de courte durée. Vivement critiqué pour sa stratégie d’acquisition des vaccins, jugée trop lente, le gouvernement sud-africain accueillait, lundi 1er février, le premier million de doses AstraZeneca en grande pompe sur le tarmac de l’aéroport de Johannesburg. Attendues avec impatience dans les hôpitaux, où elles devaient être administrées au personnel soignant une fois validée la qualité des lots, elles resteront finalement dans les entrepôts.

Moins d’une semaine après l’arrivée des vaccins, le ministère de la santé a annoncé, dimanche 7 février, la suspension de leur déploiement. En cause : son manque d’efficacité face au variant qui domine les infections dans le pays, d’après les résultats préliminaires d’un essai clinique. « Nous sommes prêts pour la vaccination, mais nous pensons que nous avons besoin de plus d’informations […] afin de déterminer comment déployer efficacement les vaccins AstraZeneca », précise le ministre de la santé, Zweli Mkhize.

Lire aussi Covid-19 : l’Afrique du Sud suspend son programme de vaccination avec AstraZeneca

Bousculé par la fuite, dans le Financial Times, des résultats de l’étude AstraZeneca menée en Afrique du Sud, le gouvernement a opté pour la prudence. Mené depuis fin juin 2020, l’essai dirigé par le professeur Shabir Madhi montre que le vaccin développé par AstraZeneca « ne protège pas efficacement contre les infections du Covid-19 légères à modérées causées par le variant B.1.351. » Ce faisant, il soulève surtout l’urgence de répondre à une inconnue : quelle sera l’efficacité du vaccin face aux infections sévères nécessitant une hospitalisation ?

C’est cette question en suspens qui pousse le gouvernement à mettre en pause le déploiement des vaccins AstraZeneca. D’une ampleur modeste, l’étude clinique menée en Afrique du Sud ne compte que 2 000 participants environ, relativement jeunes (l’âge médian est de 31 ans) et en bonne santé (peu de participants présentent des facteurs à risques comme le diabète ou l’hypertension), ce qui interdit toute conclusion statistique sur l’efficacité du vaccin contre les formes sévères de Covid-19.

Retour à la « réalité »

Jusqu’au 31 octobre 2020, l’essai montrait des résultats encourageants, avec une efficacité estimée à 75 % contre les formes légères et modérées. Les statistiques se sont effondrées face à la propagation du variant 501Y.V2, également appelé B.1.351, découvert fin novembre par des chercheurs sud-africains. D’après les calculs du professeur Salim Abdool Karim, à la tête du comité de conseil ministériel sud-africain sur le Covid-19, la capacité du vaccin AstraZeneca à prévenir les formes légères et modérées de la maladie tombe à 22 % face à ce variant. Bien loin des 60 % nécessaires pour juger le vaccin « efficace ».

Pour le professeur Madhi, chargé de l’étude, « ces résultats nous ramènent à la réalité après une période d’euphorie suscitée par les premières données qui indiquaient une efficacité des vaccins contre le Covid-19 de 95 % ». Face aux variants rencontrés depuis la fin de l’année 2020 et compte tenu des prochaines mutations susceptibles d’émerger, il estime qu’« il est temps, malheureusement, de recalibrer nos attentes en termes de vaccins ». En d’autres termes, « le Covid-19 a de grandes chances de nous accompagner tout au long de nos vies », dit-il.

Lire aussi Covid-19 : l’Afrique du Sud confrontée à une deuxième vague brutale

Pour autant, le professeur Madhi s’efforce de rester optimiste au sujet des doses AstraZeneca. Il souligne que les résultats d’un essai plus large mené sur le vaccin Johnson & Johnson en Afrique du Sud montre une efficacité à prévenir les formes sévères de Covid-19 de 85 % en présence du variant B.1.351. C’est significativement plus que ses performances face aux formes modérées de la maladie (57 % d’efficacité). Il s’attend ainsi à ce que le vaccin AstraZeneca, créé sur le même modèle, se révèle plus efficace à enrayer les formes sévères de Covid-19 que les symptômes légers.

Le gouvernement sud-africain espère quant à lui maintenir le déploiement de la vaccination du personnel soignant grâce à l’arrivée de doses Johnson & Johnson et Pfizer dans le mois à venir. Des essais en laboratoire suggèrent que le vaccin Pfizer, au même titre que celui du laboratoire Moderna, semble conserver l’essentiel de son efficacité contre le variant identifié en Afrique du Sud, mais aucune étude clinique ne permet pour l’instant de confirmer ces résultats. Testé au cours d’un essai en Afrique du Sud en présence du variant, le vaccin Novavax présente, lui, une efficacité de 49 % face aux formes légères et modérées du Covid-19.

Une stratégie en deux temps

Afin d’adapter le plus efficacement possible sa stratégie vaccinale à la présence du variant, l’Afrique du Sud souhaite à l’avenir déployer les différents vaccins disponibles en deux temps. Le gouvernement envisage désormais une distribution à moyenne échelle, associée à de larges essais cliniques permettant d’évaluer l’efficacité des vaccins face aux formes sévères de la maladie, dans un premier temps. Ensuite seulement, le déploiement devrait être élargi en fonction des performances de chaque vaccin.

Lire aussi Covid-19 : le variant d’Afrique du Sud n’est pas plus mortel mais 1,5 fois plus contagieux

Reste qu’une épineuse question se pose désormais quant à l’usage du million de doses AstraZeneca reçues début février. A la descente d’avion, les autorités sud-africaines ont eu une mauvaise surprise : les doses reçues en provenance du Serum Institute of India expirent en avril. Dans la mesure où le vaccin nécessite l’injection de deux doses à plusieurs semaines d’intervalle, elles pourraient être inutilisables en l’absence d’un déploiement rapide.

La perspective semble donner le vertige au professeur Madhi : « Même s’il reste des points d’interrogation sur l’efficacité du vaccin AstraZeneca contre les formes graves de la maladie, voulons-nous prendre le risque de ne pas vacciner les groupes à risques, sachant qu’il n’est pas dangereux mais qu’il pourrait protéger contre ces formes sévères ? Je pense qu’il serait inconsidéré de jeter à la poubelle un million de doses disponibles et potentiellement utiles. »

Leave a Reply

Discover more from Ultimatepocket

Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

Continue reading