«Il m’a eu» : le Gilet jaune qui a interpellé Macron raconte son 14 juillet – Le Parisien

En 18 mois, Richard Z. a eu le temps de penser aux mots qu’il opposerait au chef de l’Etat si tous deux s’asseyaient autour d’une table. Seulement voilà, ce mardi 14 juillet 2020, il n’y avait pas de table. Juste celles de pique-nique qui jalonnent les grandes allées du jardin des Tuileries. Allées offertes cet après-midi-là aux touristes… et à Brigitte et Emmanuel Macron.

Il est environ 18 heures quand ce Gilet jaune de la première heure, figure du mouvement dans l’Aisne, tombe sur le président, veste en cuir sur le dos, et accompagné de son épouse. S’en suit une discussion chaotique d’une dizaine de minutes, avec lui et d’autres contestataires. Un échange vite devenu viral.

« Vous êtes mon employé », entend-on dire notamment au président ce demandeur d’emploi de 48 ans, alors qu’il dénonce les violences policières et notamment le rôle des brigades d’intervention motorisées (les BRAV-m). « Si tout le monde est cool, il n’y aura pas de problèmes », rétorque Macron.

Joint par Le Parisien, ce père de famille de cinq enfants a accepté de nous raconter cette séquence. Et le fil de cette journée qu’il affirme avoir terminée au commissariat de police, « bloqué plus de quatre heures », pour un contrôle d’identité sans rapport avec son échange élyséen.

« Macron souriait alors que je venais de me faire gazer »

Au téléphone, ce cariste de profession peine à contenir sa colère. Il y a aussi des regrets dans sa voix. Comme l’impression d’avoir été piégé. Venu manifester aux côtés des soignants, il prend le métro ce mardi après-midi et débarque « par hasard » aux Tuileries avec quatre amis. Le cortège venait alors d’être dispersé place de la Bastille, sans nasse policière mais sous quelques jets de gaz lacrymogènes.

VIDEO. « J’y crois pas ! » : quand un groupe de Gilets jaunes croise Macron par hasard

Par « peur de dire une bêtise », Richard refuse d’abord de s’approcher du couple présidentiel, déjà cerné par les smartphones des badauds. Finalement, tout bascule après que lui et d’autres entonnent leur slogan habituel : « Macron démission !» « Un bon 14 Juillet. Vous pouvez vous égosiller. Il y a une démocratie », ironise Macron. Tout sourire, le chef de l’Etat prend tout le monde de court, ses gardes du corps les premiers.

Ces trois phrases du président sonnent le début du brouhaha. « Tu vas virer, tu vas virer ! », tance le manifestant, hors de lui. « A ce moment-là, j’étais fou de rage. C’est de la provoc’ et une forme de mépris. Déjà que je suis sanguin, mais alors c’est encore pire face à quelqu’un que je n’aime pas », confie Richard Z., avouant regretter les noms d’oiseau prononcés.

« Macron souriait alors que je venais de me faire gazer 50 minutes avant, poursuit-il. Comment voulez-vous qu’on réagisse ? On ne peut pas réagir normalement. Dans des conditions pareilles, c’était compliqué. Je n’ai pas de regrets sur le fond, mais j’aurai aimé expliquer nos revendications plus clairement, c’est sûr. »

« Il m’a eu, c’est clair »

Dans l’agitation, plusieurs dossiers quand même seront survolés. Réforme des retraites, maintien de l’ordre, rémunération des soignants … Ce n’est pas ce qui retiendra l’attention : au-delà des questions que cet échange pose sur la sécurité présidentielle, il s’est terminé de manière plus apaisée qu’il n’a débuté. « Il m’a eu, c’est clair. À la fin, le ton est redescendu. Il a du bagou. Je n’arrivais même pas à le maudire, comme j’explique à la fin du direct », sourit Richard, agacé. « Je pense qu’il l’a fait exprès de venir voir le gueulard de la bande », souffle-t-il.

Le moment où Macron se retourne une première fois et dit avoir été élu « démocratiquement »./DR
Le moment où Macron se retourne une première fois et dit avoir été élu « démocratiquement »./DR  

Depuis ce coup d’éclat impromptu, Richard Z, a déjà refait plusieurs « lives ». Pour surfer sur ce quart d’heure de célébrité ? Surtout, semble-t-il, pour se défendre face au déchaînement observé sur Facebook. Des internautes Gilets jaunes lui reprochent sa supposée tendresse face au président. « Je ne voulais pas être irrespectueux et donner une mauvaise image des Gilets jaunes. Beaucoup de gens ont aussi cru que j’avais dit « Respect » à Macron à la fin, mais ce n’est pas moi », insiste-t-il.

Dans une autre vidéo, on apprendra aussi que son 14 juillet ne s’est pas terminé aux Tuileries, mais à quelques kilomètres de là, au poste de police du 15e arrondissement. Il affirme en être ressorti, avec son fils et deux amis, un peu avant 23 heures. Un gros quart d’heure après avoir parlé à Macron, des gendarmes mobiles les ont en effet arrêtés aux abords des Tuileries. Ce qu’attestent des images qu’il a lui-même tournées. « On ne chantait pas, on n’était pas cagoulés, et on ne portait pas de gilets jaunes, précise-t-il. On s’est juste dit au début que ça n’allait pas durer longtemps, surtout avec la gendarmerie qui est plus sympa en général ».

Un contrôle d’identité pendant « plus de quatre heures »

Au final, ce contrôle d’identité, dans une zone où toute manifestation se revendiquant des Gilets jaunes était interdite par la préfecture, durera « plus de quatre heures », estime Richard Z.

Le contrôle d’identité de Richard Z. filmé par un de ses amis./DR
Le contrôle d’identité de Richard Z. filmé par un de ses amis./DR  

« On devait être près d’une centaine au total à être mis à l’écart par les gendarmes. Ils nous ont trimbalés à plusieurs endroits. Avec de multiples fouilles et contrôles de pièces d’identité. Finalement, une bonne partie a fini dans les fourgons de la police nationale, détaille le natif de l’Aisne. Une fois au poste, on nous a mis dans une pièce commune. Chacun notre tour, on a une nouvelle fois présenté notre identité. Cela n’avait aucun sens. Même la relève de nuit au commissariat ne savait pas ce qu’on faisait là ».

Contactée ce mercredi, la préfecture de police de Paris n’était pas en mesure dans l’après-midi de nous détailler le pourquoi de ce contrôle d’identité que le manifestant juge « abusif ». S’il ne semble pas lié à la rencontre avec Macron, le symbole est en tout cas saisissant. À peine le sujet de la défiance police-citoyens évoqué avec le président de la République qu’un nouvel épisode vient illustrer ce malaise grandissant.

Il y a cinq jours, le désormais ex-défenseur des Droits Jacques Toubon avait une dernière fois alerté sur « l’urgence » de réformer le maintien de l’ordre à la française. Parmi ces demandes, figurait justement l’interdiction de ces « contrôles d’identité délocalisés », qui consistent à interpeller une personne dans la manifestation pour la contrôler ensuite en marge du défilé, parfois dans un commissariat. Et cela alors même qu’elle dispose d’une pièce officielle. Richard Z. ne prévoit pas de porter plainte, ce que d’autres manifestants ont fait ces derniers mois pour ce type d’affaires. « Je n’ai pas de temps à perdre avec ça », grince-t-il.

Leave a Reply

Discover more from Ultimatepocket

Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

Continue reading