Hypocrisie gigantesque

Hypocrisie gigantesque

À la fin de l’année 2019, une proposition de loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne avait été déposée à l’Assemblée nationale. Moins d’un an après, elle a été promulguée et il est temps d’en faire la pédagogie.

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Une loi

L’objectif de la loi est très simple : encadrer l’image des enfants sur les réseaux sociaux et en particulier, sur les plateformes vidéo. Les enfants ne sont pas des accessoires de mode, ils n’ont pas à servir de faire-valoir pour des adultes en mal de notoriété. Le texte s’applique également quand ce sont des enfants qui ont des chaînes vidéo. La plateforme doit s’assurer que les autorisations nécessaires existent, que les horaires de travail sont encadrés et que les revenus tirés des vidéos sont versés sur un compte à la Caisse des dépôts et consignations, jusqu’à la majorité de l’enfant.

Pour faire simple, on a créé un corpus juridique calqué sur celui qui existait pour les enfants qui font du mannequinat, de la publicité ou du cinéma, afin de les protéger. C’est assez rare pour être souligné, mais en matière de Web, il y avait un réel vide juridique puisque les conditions qui s’appliquent aux enfants mannequins ou acteurs, ne pouvaient pas être transposées aux enfants Youtubeurs. La loi est promulguée, on attend « simplement » que le Conseil d’État se décide à sortir les décrets pour la rendre opérationnelle.

Autre objectif essentiel du texte : faire valoir le droit à l’oubli des enfants. Un enfant — comme un adulte d’ailleurs — a le droit de demander que des images de lui soient effacées des plateformes. Pour une fois, un texte qui concerne le Web cible parfaitement certaines difficultés et y apporte des réponses adéquates. Le texte ne demande ni censure ni participation des FAI et n’attend finalement qu’une seule chose : que les adultes prennent leurs responsabilités. Ce qui nous amène à Julien Beats.

Un enfant

Depuis quelques jours, fleurissent sur Twitter des capsules vidéo d’un gosse. Après quelques recherches, il s’avère que le gosse en question a 12 ans et fait des vidéos sur YouTube. Surnommé Julien Beats, il a eu droit aux honneurs d’une chronique sur BFM TV et même du rappeur Booba qui dit aimer son travail.

Présent sur Instagram et Twitter, il est très actif et poste vidéos, mèmes et réactions, aussi bien sur l’actualité, le foot ou le rap. En passe de devenir un phénomène, le petit garçon est devenu un mème.

Cela pourrait prêter à sourire : après tout, en période de confinement, il faut bien se trouver une occupation et donner son avis sur les derniers titres de rap est bien innocent. Sauf que ça ne l’est absolument pas. Sollicité, le député Bruno Studer, auteur de la loi, rappelle que “la première responsabilité est celle des parents. La proposition de loi repose aussi sur leurs mobilisations. Son unique objectif est la protection des enfants”. Il souligne également que “le problème est devant nous et ne concerne pas que la France. On ne doit pas laisser un enfant seul devant un écran”.

12 ans

On le dira autant de fois que nécessaire : on parle d’un petit garçon de 12 ans. Au risque de passer pour la vieille conne aigrie de service, qui ne comprend rien à rien, je me demande ce qui se passe dans la tête des parents de ce petit pour le laisser naviguer en toute tranquillité sur les réseaux sociaux — au mépris des règles concernant l’âge des utilisateurs — et poster des vidéos de lui. On le voit dans sa chambre, avec des éléments identifiables et il se passera combien de temps avant que des éléments permettant de l’identifier et de le localiser ne ressortent sur la Toile ?

Il ne suffit pas de grand-chose pour qu’un enfant devienne une cible et devienne une victime de harcèlement. Dans la mesure où le Conseil d’État n’a pas encore publié les décrets de la loi Studer, le texte ne peut pas s’appliquer.

Pour autant, même si le texte n’est pas encore opérationnel et que les parents ont vraisemblablement de l’eau tiède dans la tête, on se demande ce qui passe par la tête des autres adultes. Apparemment, ça ne gêne absolument personne de se servir de l’image d’un enfant de 12 ans pour faire des blagues sur Twitter.

Hypocrisie générale

Face à cela, on ne peut que constater l’hypocrisie, pour ne pas dire la stupidité, de la chose. On fait la « guerre » aux enfants en leur disant qu’ils ne doivent pas avoir de téléphone portable à l’école (école au sens large : école primaire, collège). On leur dit qu’ils ne doivent pas prendre pour argent comptant ce qu’ils lisent sur le Net — y compris Wikipedia qui a plus fait pour la culture et la diffusion du savoir que tous les ministres de la Culture réunis depuis la création de la Ve République — on fait pleurer dans les chaumières sur le cas de harcèlement scolaire — qui bien entendu n’a jamais existé avant Facebook et Twitter — mais on fait la promo de la chaîne YouTube d’un môme de 12 ans. Accessoirement, quand on voit le compte Twitter a été créé en mars 2013 (selon l’affichage), on se demande quelles vérifications ont été faites. En effet, pour utiliser Twitter, il faut au moins avoir 16 ans et pour YouTube, 15ans.

On détourne son image, on utilise son visage, sa voix, son environnement, en toute sérénité. On ne peut pas préserver les enfants de tout. Pour autant, les enfants ont besoin d’avoir un jardin secret, dans lequel ils peuvent faire des bêtises, bêtises qu’ils pourront oublier arrivés à l’âge adulte. La viralité des vidéos de cet enfant est telle que faire valoir son droit à l’oubli dans quelques années, va être très compliqué.

Et si vous tenez absolument à gagner en visibilité sur les réseaux sociaux, faites vos propres vidéos d’adultes au lieu d’utiliser l’image d’un enfant.

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