Haïti : cinq questions après l’assassinat du président Jovenel Moïse – franceinfo

Il avait été élu président d’Haïti en 2016 et pris ses fonctions en février 2017. Le président en exercice de ce pays de 11,4 millions d’habitants, Jovenel Moïse, 53 ans, a été assassiné par un commando à son domicile tôt mercredi 7 juillet, selon le Premier ministre sortant, Claude Joseph. 

Entrepreneur, notamment dans l’exploitation de bananeraies, Jovenel Moïse était devenu président sans expérience préalable de la politique. Sa mort plonge de nouveau le pays le plus pauvre du continent américain dans l’instabilité. Franceinfo fait le point en répondant à cinq questions. 

1Que s’est-il passé ? 

L’attaque a eu lieu vers 1 heure du matin, heure locale, dans le quartier Pélerin 5 de Pétion-Ville, une zone privilégiée surplombant la capitale, Port-au-Prince, relève le Guardian (article en anglais). “Le président a été assassiné chez lui par des étrangers qui parlaient l’anglais et l’espagnol. Ils ont attaqué la résidence du président de la République”, affirme le Premier ministre par intérim, Claude Joseph. 

D’après le juge suppléant de Pétion-Ville, Carl Henry Destin, Jovenel Moïse a été criblé de 12 balles lors de l’attaque, avec une “arme de gros calibre et avec des projectiles [de] 9 mm”, précise-t-il auprès du journal local Le Nouvelliste. “Nous avons vu un impact de balle au niveau de son front, un dans chaque mamelon, trois à la hanche, un à l’abdomen.” 

“Le bureau et la chambre du président ont été saccagés. Nous l’avons trouvé allongé sur le dos, pantalon bleu, chemise blanche maculée de sang.”

Carl Henry Destin, juge

au journal haïtien “Le Nouvelliste” 

Selon lui, la fille du président s’est réfugiée dans la chambre de son frère lors de l’attaque. Des membres du commando ont ligoté deux employés de la propriété. “Beaucoup de douilles de 5,56 et de 7,62 millimètres ont été retrouvées entre la guérite et l’intérieur de la résidence”, poursuit Carl Henry Destin

Martine Moïse, épouse du défunt, a été blessée par balle au cours de l’attentat. D’après le Miami Herald (article en anglais), elle a été évacuée mercredi après-midi vers Miami, en Floride (Etats-Unis), et hospitalisée sur place. Elle est “hors de danger (…) et selon les informations que nous avons, sa situation est stable”, a souligné mercredi soir Claude Joseph à la télévision.

2Que sait-on des auteurs de l’attaque ?

A ce stade, les motivations des auteurs ainsi que leurs identités restent inconnues. La police a affirmé mercredi soir qu’elle avait poursuivi les membres du commando juste après l’attaque et qu’une opération était en cours dans les quartiers surplombant Port-au-Prince. “Quatre mercenaires ont été tués, deux ont été interceptés”, a déclaré le directeur général de la police nationale d’Haïti, Léon Charles, au cours d’une allocution à la télévision. “Trois policiers qui avaient été pris en otage ont été récupérés”, a-t-il ajouté. 

Bocchit Edmond, l’ambassadeur haïtien aux Etats-Unis, affirme que les membres du commando à l’origine de l’attaque étaient des “professionnels”, qui ont prétendu être des employés de l’agence fédérale américaine de lutte contre le trafic de drogues (DEA). “C’était une attaque parfaitement organisée par un commando”, confie-t-il au Guardian (article en anglais). Pour Bocchit Edmond, il pourrait s’agir de mercenaires “étrangers”, car des vidéos “les montrent en train de parler en espagnol”. 

3Quelle est la situation sur place ? 

Le Premier ministre haïtien, Claude Joseph, a décidé de “déclarer l’état de siège dans tout le pays” à la suite de l’assassinat du président. Comme le rappelle RFI, ce dispositif permet à l’exécutif de bénéficier de pouvoirs supplémentaires pour déclencher des perquisitions ou interdire des réunions. Un deuil national de quinze jours a également débuté.

Claude Joseph, le sixième Premier ministre haïtien en quatre ans, devait être remplacé à la tête du gouvernement par Ariel Henry, nommé lundi. Il reste, à ce stade, au pouvoir. “Je suis un Premier ministre dont un arrêté a été pris en ma faveur (…) et j’étais en train de choisir les membres de mon cabinet, on était même très avancé. Il faut que je continue”, a réagi auprès du Nouvelliste Ariel Henry, évoquant toutefois “une opportunité de dialogue pour arriver à un accord” sur le gouvernement.  

Claude Joseph a lancé un appel au calme et annoncé que la police et l’armée s’assureraient du maintien de l’ordre à travers le pays. “L’administration publique reprend son fonctionnement régulier”, a ajouté sur Twitter Frantz Exantus, secrétaire d’Etat à la Communication. 

4Quelles sont les réactions à l’étranger ? 

La France, par la voix de son ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, “condamne fermement ce lâche assassinat”. “Toute la lumière devra être faite sur ce crime qui intervient dans un climat politique et sécuritaire très dégradé”, affirme-t-il, faisant part de sa “stupeur”. Le chef de la diplomatie a appelé “l’ensemble des acteurs de la vie politique haïtienne au calme et à la retenue”, et les ressortissants français sur place “à la plus grande prudence”

L’Etat voisin d’Haïti sur l’île d’Hispaniola, la République dominicaine, a déclenché dès mercredi la “fermeture immédiate” de leur frontière commune. Aux Etats-Unis, le président américain, Joe Biden, dénonce un “acte odieux” et assure que Washington est prêt à venir en aide à Haïti. L’Union européenne alerte quant à elle sur une “spirale de violence” dans cette nation des Caraïbes. 

Le Conseil de sécurité de l’ONU tient jeudi une réunion d’urgence à huis clos sur l’assassinat du président haïtien. Ses membres, qui “condamnent dans les termes les plus forts” l’attaque, ont demandé à l’unanimité que les membres du commando “soient rapidement traduits en justice”. Le conseil appelle également “toutes les parties à rester calmes, à faire preuve de retenue et à éviter tout acte qui pourrait contribuer à accroître l’instabilité”. 

5Quel était le contexte en Haïti avant l’attaque ? 

Le pays est confronté à une grave crise sécuritaire et politique. Ses habitants font face à des enlèvements contre rançon, sujet sur lequel Jovenel Moïse était accusé de ne pas assez agir. Depuis le début du mois de juin, l’ouest de Port-au-Prince est le théâtre de confrontations entre bandes rivales. Elles bloquent la circulation entre la capitale et la moitié sud du pays. Ces affrontements entre gangs ont poussé plusieurs milliers d’habitants du quartier défavorisé de Martissant à se réfugier chez des proches ou dans des gymnases.

Fin juin, une fusillade à Port-au-Prince a également entraîné la mort de 15 personnes, et sept religieux catholiques, parmi lesquels deux Français, ont été enlevés et séquestrés au mois d’avril, leurs ravisseurs réclamant une rançon d’un million d’euros. Ils ont été libérés par la suite. 

Sur le plan politique, Jovenel Moïse faisait l’objet de vives critiques du fait notamment d’une augmentation des prix et d’une pénurie de carburant. Il était aussi accusé de corruption. Selon le Miami Herald, le président et d’autres membres de l’exécutif haïtien sont soupçonnés d’avoir détourné près de deux milliards de dollars d’aides issues du programme PetroCaribe, un accord de coopération énergétique entre le Venezuela et les pays des Caraïbes. 

Haïti fonctionnant sans Parlement depuis 2020, Jovenel Moïse gouvernait depuis un an par décrets, alors que la durée du mandat faisait l’objet de contestations. Plusieurs voix s’étaient levées pour réclamer son départ dès le mois de février, rappelle RFI. Après sa mort, le département d’Etat américain a appelé au maintien des élections législatives et présidentielle dans le pays, prévues les 26 septembre et 21 novembre. 

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