Guerre en Ukraine : “Une centrale nucléaire, c’est hors de proportion par rapport à Hiroshima” – LaDepeche.fr

l’essentiel Docteur en physique nucléaire, ancienne présidente de l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques), Maryse Arditi répond aux questions de La Dépêche.

À Zaporojie, l’armée russe a pris le contrôle de la plus grande centrale nucléaire d’Europe. Quels sont les risques immédiats dans une situation de guerre pour cette infrastructure ?

Ce ne sont pas tant les tirs que le problème de sa propre alimentation en électricité. Il y a là six réacteurs dont, a priori, un seul fonctionne actuellement. Certes, nous ne sommes pas face à une centrale du même type que celle de Tchernobyl où, durant des jours, 1 200 tonnes de carbone avaient brûlé. Celle-ci est en effet équipée avec des réacteurs russes qui ressemblent aux nôtres, c’est-à-dire des réacteurs à eau pressurisée. Mais quoi qu’il en soit… Si les installations ne sont plus alimentées en électricité, cela veut dire que le système de refroidissement s’arrête. À partir de ce moment-là, le réacteur se met, normalement, en sécurité. Encore faut-il que les barres de sécurité puissent tomber mais aussi que les diesels de secours devant assurer le relais soient en bon état, bien en place et bien calibrés et ça ne marche qu’un temps, car le réacteur, lui, continue à chauffer et si vous ne refroidissez pas le cœur, il va continuer à monter en température et vous n’avez plus que quelques heures pour réagir…

Ce qui pose le problème de qui opère la maintenance et veille sur la sécurité, aujourd’hui, dans cette centrale ?

Absolument. Car nous sommes là face à une centrale nucléaire occupée par des militaires russes avec lesquels les pompiers ukrainiens ont dû négocier pour éteindre le premier incendie, ce qui situe le niveau et la menace. Ce faisant, une fois sur place, soit tout est prévu et l’occupant téléphone par exemple en Russie pour demander qu’on lui envoie des spécialistes russes afin de piloter la centrale, soit c’est l’équipe ukrainienne qui poursuit son travail sur place, dans les conditions de stress que l’on imagine. Ce qui repose le problème de la mise en danger de la maintenance des installations, même si les Russes ont des experts capables d’intervenir en cas de problème, car à partir de là, chaque minute compte.

Le président Zelynsky a accusé Moscou de vouloir répéter la catastrophe de Tchernobyl en voulant prendre ces installations…

Pour l’heure, je n’imagine ni qu’il y ait un ordre de tirer sur la centrale ni qu’il puisse la transformer en arme. Pourquoi ? Parce que si l’on regarde vers le sud, elle est proche de la Crimée et des territoires qui semblent être les objectifs de guerre prioritaires de Vladimir Poutine, de la mer d’Azov vers la mer Noire, sauf à n’avoir rien à faire de ses propres soldats ou de sa population, puisque le nuage pourrait très bien partir vers l’est et Moscou, à 1 000 km. Mais également parce que si elle devient une arme, alors ce sera une arme incontrôlable, par personne. Pour autant, si l’on prend en compte qu’il a déjà mis la main sur Tchernobyl et qu’il dispose maintenant de ces stocks d’uranium à Zaporojie, rien n’interdit de penser qu’il puisse vouloir libérer des déchets de Tchernobyl ou utiliser l’uranium pris pour fabriquer des bombes sales à utiliser contre l’Ukraine ou tout autre adversaire. Un problème de sécurisation des matières radioactives qui se pose au-delà, quelle que soit la partie qui contrôle la centrale.

Et si, fusion du réacteur, tirs ou sabotage, cette centrale devait exploser ?

Avec un peu de chance, peut-être que les réacteurs n’exploseraient pas tous les six. Mais sachant qu’à Tchernobyl, par exemple, un seul réacteur sur quatre était entré en fusion et qu’on connaît le résultat, cela dégagerait une quantité de matières radioactives dans l’atmosphère que personne n’imagine. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’avec une centrale comme avec les ogives d’aujourd’hui, on est face à un ordre de grandeur que peu de personnes évaluent mais qui est hors de proportion, par rapport à Hiroshima. La bombe d’Hiroshima, c’était une « bombinette », si l’on ose employer l’expression avec une telle tragédie, comparée au nucléaire civil ou militaire d’aujourd’hui.

Cette première bombe atomique représentait une puissance de 12 à 15 kilotonnes, elle contenait 64 kg d’uranium 235 dont « seulement » 700 grammes entrèrent en fission, selon les recherches ultérieures. Avec un réacteur, on parle de 80 à 100 tonnes d’uranium. C’est donc sans commune mesure. Quand une centrale explose, elle n’explose évidemment pas de la même manière qu’une bombe larguée dans l’atmosphère. Mais elle libère dans l’atmosphère des tonnes de matières radioactives qui partent faire le tour de la terre au gré des vents. Les gaz comme l’iode, le césium voyagent le plus loin, mais vous avez aussi le strontium, le plutonium, l’uranium, les métaux lourds… Et les pluies radioactives pollueraient les sols pour des centaines d’années.
 

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