Guerre en Ukraine : la stratégie bien rodée de Volodymyr Zelensky devant les Parlements occidentaux – franceinfo

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine le 24 février, et son discours devant le Parlement européen le 1er mars, Volodymyr Zelensky intensifie sa campagne diplomatique à l’international. Après une semaine d’interventions quotidiennes, devant le Congrès américain, la chambre basse allemande et les Parlements suisse, israélien, italien, le président de l’Ukraine s’exprime devant l’Assemblée nationale et le Sénat français mercredi 23 mars, à 15 heures.

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A chaque fois ovationné, le président ukrainien intervient toujours en visioconférence depuis l’Ukraine, dans sa langue (traduite en simultané), en chef de guerre, vêtu de kaki militaire et assis devant le drapeau de son pays. Son modus operandi est rodé. Partout, il applique la même recette. 

Des références historiques personnalisées

A chacun de ses discours, Volodymyr Zelensky personnalise ses propos en fonction de son auditoire. Il invoque des événements marquants ou des personnalités populaires, connues du plus grand nombre, par exemple l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill et le dramaturge William Shakespeare devant la chambre des Communes britannique.

Au Congrès américain, il rappelle combien les Etats-Unis détiennent “des pages qui permettent de comprendre les Ukrainiens”, comme l’attaque de Pearl Harbor en 1941, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ou encore le célèbre discours “I have a dream” de Martin Luther King.

Devant le Bundestag, il implore “Détruisez ce mur” érigé en Europe centrale ; une référence au discours du président américain Ronald Reagan, qui demanda en 1987 à son homologue russe de détruire le mur de Berlin.

Certaines de ses références ne font pas l’unanimité. Devant la Knesset israélienne, Volodymyr Zelensky exhorte Israël à “faire son choix”, soulignant son propre héritage juif. “Le Kremlin utilise la terminologie nazie, les nazis parlaient de ‘solution finale’ pour la question juive, vous ne l’oublierez jamais et maintenant Moscou parle de ‘solution finale’ pour l’Ukraine”, martèle-t-il. Une comparaison avec la Shoah jugée “scandaleuse” par le ministre israélien des Communications, Yoaz Hendel.

Un appel commun à l’émotion

“Ces références ‘parlent’ aux différents publics et provoquent des émotions fortes, analyse pour franceinfo Tatiana Kastouéva-Jean, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elles font appel aux traumatismes les plus profonds des autres peuples, à leur mémoire historique, pour susciter l’empathie et le désir de soutenir les Ukrainiens contre les répétitions des tragédies historiques”. 

“La communication est l’arme principale des Ukrainiens dans cette guerre, et Zelensky la maîtrise à merveille. Elle l’a déjà aidé a gagner la guerre informationnelle et morale.”

Tatiana Kastouéva-Jean, chercheuse à l’Ifri

à franceinfo

Volodymyr Zelensky a mis l’accent sur l’empathie pour sensibiliser à la cause ukrainienne dans une intervention en particulier : celle devant le Congrès américain, le 16 mars. Pendant deux minutes et trente secondes, sur un total de six minutes retransmises par la télévision américaine CNN (en anglais), le président ukrainien a diffusé une vidéo rassemblant des images choc des bombardements russes en Ukraine, des réanimations de blessés, des corps d’enfants morts.

“Il faut avoir conscience que la société ukrainienne et sa classe politique traversent un choc traumatique. Pour l’Ukraine, on est dans un moment historique, rappelle Alexandra Goujon, maître de conférences en science politique à l’université de Bourgogne, autrice de L’Ukraine, de l’indépendance à la Guerre (éd. Cavalier bleu, novembre 2021). La diffusion des images est à la mesure de ce que beaucoup d’Ukrainiens sont en train de ressentir. Ils ont peur d’être oubliés, abandonnés, alors qu’ils savent ce qu’ils doivent au soutien occidental. Ces images servent ensuite d’argument pour justifier l’aide demandée”. 

Des demandes concrètes à chacun

Deux objectifs motivent l’offensive diplomatique du président ukrainien, selon Alexandra Goujon. D’abord, “s’assurer du soutien des partenaires occidentaux, notamment un soutien militaire”. Ensuite, “s’assurer de la fermeté des Occidentaux vis-à-vis de la Russie en termes de sanction”.

Le président ukrainien fait à chaque Parlement des demandes spécifiques. A l’américain, la création d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine. A l’allemand, l’arrêt du projet de gazoduc Nord Stream 2, considéré par Zelensky comme “le ciment pour le nouveau mur” qui séparerait l’Est de l’Ouest, rappelant ainsi le spectre de la guerre froide. Après avoir dressé le comparatif avec les enfants du Premier ministre canadien Justin Trudeau, le chef de guerre a évoqué le sort de “97 enfants” ukrainiens tués dans les bombardements “des écoles, des hôpitaux, des habitations”. 

Un travail diplomatique entamé de longue date

Avec un discours par jour la semaine du 14 mars, le rythme a été soutenu. Mais ces interventions ne sont pas pour autant une nouveauté pour le président ukrainien, souligne Alexandra Goujon. “Depuis son élection en 2019, Volodymyr Zelensky fait de la diplomatie ‘active’. Avant même la guerre, il se déplaçait beaucoup, retrace la spécialiste de l’Ukraine. Il sait que le soutien des partenaires occidentaux est fondamental dans son rapport à la Russie.” 

Ses discours devant les Parlements occidentaux ne résultent pas forcément de sollicitations ukrainiennes. S’exprimer devant le Parlement européen est par exemple “tout à fait standard et normal”, rappelle Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS. “A chaque session mensuelle, une personne – chef d’Etat, militant, président en exil, pape… – est invité à s’exprimer, souvent en lien avec une actualité.” 

Le discours de Volodymyr Zelensky devant les parlementaires français, mercredi, est au contraire quelque chose d’exceptionnel”, souligne sur franceinfo Valéria Faure-Muntian, députée LREM de la Loire et originaire d’Ukraine. L’intérêt du président ukrainien est, selon Olivier Costa, d’avoir “des relais d’opinion auprès des médias et de l’exécutif, mais aussi de convaincre de voter des plans de soutien et donc des budgets, à l’échelle nationale”. Le spécialiste du Parlement européen conclut : “Il faut se ménager des alliés.”

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