Grève contre la réforme des retraites : pourquoi le projet du gouvernement coince auprès d’une majorité de … – franceinfo

La mobilisation contre la réforme des retraites, qui a commencé jeudi, est soutenue par sept Français sur dix, selon un sondage Harris Interactive. La même proportion est opposée au système universel à points. Franceinfo vous explique pourquoi. 

Un fort soutien dans l’opinion, si l’on en croit les sondages. Près de sept Français sur dix soutiennent le mouvement de grève initié le 5 décembre contre la réforme des retraites, selon le baromètre Harris Interactive publié jeudi sur RTL, et 70% se disent inquiets de la mise en œuvre d’un système universel à points. Autant dire que le gouvernement a du mal à faire passer l’idée d’une réforme “répondant aux attentes profondes de nos concitoyens en termes d’équité, de justice, de simplification, de lisibilité, de solidité et de solidarité”, comme écrit dans le rapport rendu en juillet par le Haut commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye. Pourquoi ça bloque ? Eléments de réponse.

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Une réforme aux contours encore flous

De larges incertitudes entourent encore le projet de réforme des retraites, même si les principes généraux sont connus. Dans son document de 132 pages rendu en juillet 2019 et intitulé Pour un système universel de retraite, Jean-Paul Delevoye en décrit les grandes règles. Le futur régime voulu par l’exécutif consistera en un système à points acquis tout au long de la carrière. Universel, il doit fusionner les 42 régimes existants en un seul. Enfin, il fonctionnera par répartition : le versement des pensions des retraités sera assuré, comme aujourd’hui, par les cotisations des actifs. 

Mais qu’en est-il des modalités de transition vers le système unique ? De la prise en compte de la pénibilité ? Des mécanismes de solidarité ? Faudra-t-il travailler plus longtemps ? Jean-Paul Delevoye doit livrer les conclusions de ses discussions avec les partenaires sociaux “le 9 ou le 10 décembre”.  Le Premier ministre Edouard Philippe dévoilera ensuite les grandes lignes du projet, pour un examen au Parlement début 2020. Tous deux sont particulièrement attendus sur la question des régimes spéciaux. D’où l’importance, pour les syndicats et les salariés concernés, d’établir au préalable un rapport de force.

Une inquiétude dans le public et dans le privé

A la RATP comme à la SNCF, le sentiment domine que le contrat de départ (lourdes contraintes contre départ anticipé) n’est pas respecté. A la SNCF, le malaise est accentué par les multiples réorganisations en cours pour préparer le début de la mise en concurrence, et par l’arrêt du recrutement des agents au statut “cheminot” en 2020. Même motivation chez les enseignants, massivement mobilisés : de l’aveu même du haut-commissaire aux Retraites, ils font partie des perdants de la réforme si celle-ci ne s’accompagne pas de revalorisations salariales. 

Bien que moins voyantes, les appréhensions sont également tangibles chez les salariés du privé. Beaucoup, notamment parmi les cadres, craignent d’y laisser des plumes avec une pension basée sur l’ensemble de la carrière et non plus sur les 25 meilleures années. Le projet est de casser définitivement cette partie du modèle social français qui est la retraite par répartition”, assène le président du syndicat des cadres CFE-CGC, François Hommeril, dans une interview au vitriol publiée dans La Tribune. S’y ajoutent des professions libérales comme les avocats, qui refusent l’absorption de leur régime autonome dans un système universel. 

Des soutiens disparates

En face de ce front temporairement uni, les soutiens à la réforme apparaissent plus disparates. Parmi eux, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT devenu en 2018 premier syndicat de France. Le 24 novembre, il a rappelé sur France inter qu’il était favorable à une réforme “universelle” des retraites si “on a des mesures de pénibilité, de compensations pour les carrières hachées, pour les femmes”. Or, “selon le rapport Delevoye, les 40% des assurés du bas de l’échelle vont ‘fortement améliorer leur retraite’ grâce à la réforme”, affirment Les Echos. Les bas salaires, où les femmes sont sur-représentées, devraient ainsi toucher une pension minimale de 1 000 euros (au lieu de 980 actuellement), s’ils ont accumulé 165 trimestres.  

Un coup de pouce dont bénéficieraient aussi les agriculteurs retraités, dont un million ne toucherait que 900 euros par mois. Mardi 3 décembre, la patronne de la FNSEA, Christiane Lambert, s’est félicitée haut et fort de cette mesure. A l’issue d’un entretien avec le Premier ministre, elle a fait savoir que les agriculteurs ne se joindraient pas au mouvement social du jeudi 5 décembre.

Une attitude de l’exécutif peu lisible 

Les valses-hésitations de l’exécutif ont déboussolé jusqu’aux syndicats les plus conciliants. Ainsi en est-il de la “clause du grand-père“. Le 28 octobre, Emmanuel Macron a paru ouvert à cette disposition : la réforme ne s’appliquerait qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail, au moins pour les régimes spéciaux. Mais le 6 novembre, Jean-Paul Delevoye s’insurgeait publiquement contre cette concession, suivi, deux semaines plus tard, par le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin.

Le 22 novembre, à une dizaine de jours de la grève, les syndicats ne notaient aucune avancée dans la concertation. “Le processus tel qu’il est mis en place semble donner raison aux contestataires. L’exécutif souffle sur les braises”, avait alors déclaré à franceinfo Robert Dillenseger, de l’Unsa ferroviaire.

Le pendule est-il reparti dans l’autre sens ? Le 27 novembre, Edouard Philippe semblait prêt à des compromis. “S’il faut que la réforme s’applique à des personnes un peu plus éloignées de la retraite que ce qui était envisagé jusqu’ici [à savoir à partir de 2025, pour les salariés nés au plus tôt en 1963], je suis prêt à en discuter avec les organisations syndicales”, a-t-il déclaré.

Des tentatives tardives de déminage

Semblant prendre conscience de l’ampleur de la colère juste avant la grève, le gouvernement s’est efforcé de déminer le conflit. Mardi 3 décembre, le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer a écrit une lettre aux enseignants pour les assurer que “les pensions ne baisser[aient] pas”. Le lendemain, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn a confirmé que les établissements de santé allaient récupérer, avec effet “immédiat”, 415 millions d’euros, mis en réserve dans le budget de l’assurance-maladie cette année. Le même jour, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a, à son tour, adressé un courrier à plusieurs syndicats de policiers. Il leur a promis qu’ils conserveraient “leurs droits à un départ anticipé” et “des niveaux de retraite comparables aux pensions actuelles“. Mais ces gestes bien tardifs ont été accueillis avec scepticisme, en particulier chez les professeurs.

La menace de mesures “paramétriques”

Dernière étincelle sur ce sujet inflammable : le rapport publié jeudi 21 novembre par le Conseil d’orientation des retraites. Selon ce texte commandé par le gouvernement, le déficit du système de retraites actuel devrait atteindre entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros en 2025. Au nom de l’équilibre budgétaire, l’exécutif pourrait annoncer des mesures rapides pour pallier ce déficit annoncé des caisses de retraite à l’horizon 2025. 

Parmi les pistes envisagées : l’allongement des cotisations pour les actifs âgés actuellement de 56 à 60 ans, ou la mise en place d’un “âge-pivot” de départ à la retraite à 63 ou 64 ans, avec application de décote avant et de surcote après. Des réformes dites “paramétriques”, auxquelles s’oppose radicalement l’un des rares soutiens syndicaux à la réforme des retraites, Laurent Berger. “S’il y a le moindre élément de réforme paramétrique [mesure d’âge, allongement de la durée de cotisation], la CFDT se mobilisera“, a-t-il dit à Paris Match. Pour le leader de la CFDT, il s’agit d’une “ligne rouge”. Toutefois, selon Les Echos, “le gouvernement ne cherche plus à imposer des économies au forceps dès 2021, avec pour objectif l’équilibre en 2025”.

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