Greta Thunberg à l’ONU devant les dirigeants de la planète : « Comment osez-vous regarder ailleurs ? » – Le Monde
Une soixantaine de dirigeants mondiaux sont à l’ONU, lundi 23 septembre, pour participer à un sommet sur l’urgence climatique censé revigorer l’accord de Paris, pressés par une jeunesse mondiale qui réclame la fin des énergies fossiles et la réduction accélérée des émissions de gaz à effet de serre.
« L’urgence climatique est une course que nous sommes en train de perdre, mais nous pouvons la gagner », a dit le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Celui-ci a invité à la tribune la Suédoise Greta Thunberg, 16 ans, symbole de la jeunesse mondiale révoltée face à l’inaction des gouvernements.
« Je ne devrais pas être là, je devrais être à l’école »
La jeune fille a interpellé les dirigeants de la planète dans un discours plein de rage :
« Je ne devrais pas être là, je devrais être à l’école, de l’autre côté de l’océan. (…) Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. Les gens souffrent, les gens meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse et tout ce dont vous pouvez parler, c’est de l’argent et du conte de fée d’une croissance économique éternelle. Comment osez-vous ? Depuis plus de quarante ans, la science est claire comme du cristal. Comment osez-vous regarder ailleurs et venir ici en prétendant que vous en faites assez ? (…) Vous dites que vous nous entendez et que vous comprenez l’urgence mais je ne veux pas le croire. »
Elle a également, comme auparavant, répété les faits scientifiques confirmant le réchauffement accéléré de la planète, puis s’en est pris aux chefs d’Etat et de gouvernement présents : « Vous nous avez laissés tomber. Mais les jeunes commencent à comprendre votre trahison. Si vous décidez de nous laisser tomber, je vous le dis : nous ne vous pardonnerons jamais. Nous ne vous laisserons pas vous en sortir comme ça. »
« On a besoin de cette jeunesse »
Sans nommer Greta Thunberg, Emmanuel Macron s’est dit frappé par les discours des jeunes l’ayant précédé. « Aucun responsable ne peut rester sourd à cette exigence de justice entre les générations, a-t-il dit. On a besoin de cette jeunesse pour nous aider à changer les choses (…) et mettre plus de pression sur ceux qui ne veulent pas bouger. »
Excédant le temps de parole prévu de trois minutes par leader, il a fait applaudir la Russie, qui a ratifié lundi l’accord de Paris, et répété que les dernières centrales au charbon françaises seraient fermées en 2022. Quant à l’Europe, il a appelé à ce que toutes les importations soient « zéro carbone et zéro déforestation ».
Dans l’avion vers New York, le président avait jugé « sympathiques » les grandes manifestations de jeunes les vendredis, mais jugé qu’il serait plus utile de faire pression sur « ceux qu’on n’arrive pas à faire bouger »…, visant par exemple la Pologne.
Neutralité carbone
Quelques minutes avant de Greta Thunberg, le secrétaire général des Nations unies a demandé aux dirigeants de s’engager concrètement contre le réchauffement, annonçant à quelques minutes de l’ouverture du sommet les premiers engagements pris par les Etats.
Selon un prébilan de l’ONU, lundi matin, 66 d’entre eux ont ainsi souscrit à l’objectif d’une neutralité carbone d’ici à 2050. La neutralité carbone signifie que les pays s’engagent à réduire au maximum leurs émissions et à compenser le reliquat, par exemple en replantant des arbres, qui absorbent le carbone de l’air. Ce but était considéré comme si radical en 2015 que le terme avait été exclu du texte de l’accord de Paris, mais il est en train de s’imposer, rendu plus pressant par les canicules de l’été dernier, les cyclones et les images de glaciers fondant presque à vue d’œil. Jusqu’à présent, seulement une vingtaine de pays avaient inscrit cet horizon dans leur loi nationale ou engagé ce processus.
Parmi les autres annonces de l’ONU, 68 pays se sont engagés à revoir officiellement à la hausse leurs plans climat d’ici à 2020, date à laquelle les 195 signataires de l’accord de Paris sont censés déposer de nouveaux engagements. Trente pays ont également adhéré à une alliance promettant de stopper la construction de centrales au charbon à partir de 2020.
455 millions pour les forêts tropicales
De grands donateurs (Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement, l’ONG Conservation International) ont décidé de débloquer environ 500 millions de dollars supplémentaires (455 millions d’euros) pour aider à protéger les forêts tropicales, dont l’Amazonie, a indiqué l’Elysée.
Ces annonces devaient être faites pendant la réunion sur l’Amazonie organisée lundi à l’Assemblée générale de l’ONU à New York en présence de plusieurs chefs d’Etat, dont le Français Emmanuel Macron, à l’initiative de la réunion, et les présidents du Chili, de la Colombie et de la Bolivie, mais pas du Brésil. Depuis son élection à la présidence brésilienne, Jair Bolsonaro martèle en effet qu’il ne cédera pas à la « psychose environnementale », ajoutant : « L’Amazonie est à nous, pas à vous. »
Nombreux absents
Moins de la moitié des 136 chefs d’Etat et de gouvernement qui viennent cette semaine à New York pour l’Assemblée générale participent au sommet sur le climat. A la tribune, les Etats-Unis, ayant décliné leur participation, seront les grands absents. Le président américain Donald Trump est toutefois venu s’asseoir quelques minutes dans la salle lundi, provoquant la perplexité des personnes présentes. « Je ne snobe rien du tout, avait-il déclaré lundi matin, je suis très occupé. »
Le Brésil et l’Australie, dont le premier ministre conservateur était à la Maison Blanche la semaine dernière, ne seront pas là non plus, faute de choses à annoncer. Mais la Chine, grande consommatrice de charbon et qui émet deux fois plus de gaz à effet de serre que les Etats-Unis, s’exprimera par la voix de son chef de la diplomatie, Wang Yi.
Chaque dirigeant aura trois minutes. L’Indien Narendra Modi, dont le pays, comme la Chine, est fidèle au charbon, mais installe des quantités très importantes de panneaux solaires, commencera la journée, avec Angela Merkel et les dirigeantes de la Nouvelle-Zélande et des Îles Marshall, dans le Pacifique.
Pas de valeur légale
Les cinq années passées devraient constituer la période la plus chaude jamais enregistrée jusqu’à présent, selon un rapport publié dimanche par l’ONU. La Terre est en moyenne plus chaude de 1 °C qu’au XIXe siècle, et le rythme va s’accélérer.
Mais les promesses de lundi n’auront pas de valeur légale. Le sommet n’est qu’un « tremplin » vers la réunion COP26 de Glasgow, à la fin de 2020, au cours de laquelle les pays devront soumettre à l’ONU des engagements révisés à la hausse en matière de lutte contre le changement climatique.
A ce jour, seuls 59 des 195 signataires de l’accord de Paris ont annoncé leur intention de le faire. Les Etats-Unis n’en font pas partie.
Notre sélection d’articles à lire sur les mobilisations pour le climat
- Dans près de 100 pays et 1 300 villes, des étudiants, lycéens et parfois collégiens vont sécher les cours, vendredi 15 mars, pour alerter les dirigeants sur l’urgence climatique.
- L’initiative est venue de la Suédoise Greta Thunberg, 16 ans, qui a entamé une grève scolaire le 20 août 2018. « On ne remporte pas des élections en proposant une politique climatique radicale. Il faut que ça vienne d’en bas », estime-t-elle dans un entretien accordé au Monde.
- Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective, pour le climat ? Le Monde avait organisé une semaine spéciale sur le sujet : retrouvez nos articles, interviews et décryptages.
- Vidéo : comprendre le réchauffement climatique en 4 minutes.
- Décryptage : non, on ne peut pas nier la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique.
- Les réponses à vos questions : « C’est trop tard, on ne peut plus rien faire » et autres idées reçues sur le réchauffement climatique.