Gilets jaunes : «Les gars de la sécurité, vous gagnez 1 200 euros ! On ne va pas se battre ensemble ?» – Libération

Dimanche matin, à l’aube du deuxième jour de manifestation prévu pour ce week-end anniversaire de leur mouvement, les gilets jaunes se sont donné rendez-vous au cœur de Paris, dans le quartier des Halles. Le rassemblement statique, autorisé en préfecture, a été déclaré par Faouzi Lellouche, Priscillia Ludosky et David Libeskind qui avaient également organisé la manifestation avortée de la veille, place d’Italie.

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Le quartier des Halles porte encore les stigmates d’une soirée agitée en raison d’une manifestation sauvage entamée après l’évacuation de la place d’Italie. Au pied de la fontaine des Innocents, la place Joachim-du-Bellay se pare petit à petit de jaune. Beaucoup ont la mine des mauvais jours. «Castor», un manifestant belge, se souvient avoir particulièrement couru hier : «Lorsqu’ils chargent, c’est comme un troupeau de buffles ! Il faut fuir. Tu cours même si tu n’as rien à te reprocher.» A côté de lui un homme acquiesce. «Il ne faut pas croire ce que vous disent les chaînes d’information. La police nous a fait manger la poussière dès 10 heures à porte de Champerret, explique un petit homme, casquette vissée sur la tête. Que la manifestation soit déclarée ou non, on s’en prend toujours dans la figure !» Non loin de lui, Faouzi Lellouche fait le bilan d’un samedi passé dans les gaz lacrymogènes : «Tout a été fait pour que la manifestation ne puisse pas partir. Les autorités sont continuellement dans la communication, à dire qu’il n’y avait que des casseurs dans la manifestation.»

«Bordel»

Fabrice, la trentaine, est venu spécialement des Ardennes pour ce week-end. «C’était impossible, hier. On a passé la journée à tourner autour de la place d’Italie. Heureusement que des gars m’ont aidé à enjamber les barrières, sinon je me prenais un coup de matraque.» Après avoir réussi à quitter le périmètre de sécurité établi autour de cette place du XIIIe arrondissement, cet agent d’entretien qui travaille pour un office HLM s’est dirigé vers les Champs-Elysées avec son groupe d’amis. Après un énième contrôle de police, un de ses camarades tombe au sol et convulse, pris d’une crise d’épilepsie. «Sûrement à cause de tout le gaz lacrymogène respiré et de la journée passée. Heureusement que les gendarmes nous ont aidés. Il est sorti de l’hôpital ce matin et il va mieux», dit Fabrice qui a passé la nuit dans sa voiture.

Manifesrtation des gilets jaunes le dimanche 17 novembre 2019 à Paris. Un an jour pour jour après le blocage des ronds points. Aux halles, fontaine des innocents. Dans le quartier des Halles, dimanche. Photo Stéphane Lagoutte. Myop pour Libération

Ce dimanche, plusieurs rassemblements sont prévus. En plus des Halles, une manifestation de gilets jaunes doit avoir lieu dans le quartier de la Bastille, tandis que le cortège de Génération identitaire qui défile «pour dénoncer l’islamisme» partira en début d’après midi de la place Denfert-Rochereau (XIVe arrondissement).

Isa, 57 ans et venue de Normandie pour l’occasion, a perdu son travail dans l’immobilier depuis le passage de la loi Elan. Hier, comme de nombreux manifestants rencontrés, elle a voulu quitter le «bordel» : «On a tourné sans s’arrêter jusqu’à ce qu’un monsieur de la Brav [Brigade de répression de l’action violente, ndlr] me laisse sortir. Je lui ai dit que j’étais pacifique et que je souhaitais quitter le périmètre. Je lui ai dit que s’il refusait de me laisser quitter la place, je portais plainte pour non-assistance à personne en danger.»

«Détruisons ce qui nous détruit»

En fin de matinée, le bruit d’une action localisée court dans le rassemblement : plusieurs manifestants entreprennent d’occuper les Galeries Lafayette. A quelques semaines des fêtes de Noël, le boulevard Haussmann est logiquement bondé de touristes et de badauds venus faire leurs achats. Sous la coupole des Galeries, plusieurs manifestants se postent à différents endroits et attendent 13 heures pour sortir leurs gilets, en lâcher quelques-uns, ainsi que des confettis, et surtout se faire virer rapidement. Les agents de sécurité s’en prennent également aux journalistes caméramans qui avaient réussi à s’introduire dans le magasin.

Des échauffourées ont lieu avec les manifestants alors qu’une banderole est déployée au troisième étage : «Tous ensemble, détruisons ce qui nous détruit.» Aucune dégradation n’a été constatée pendant l’action. «Les gars de la sécurité, vous gagnez 1 200 euros ! On ne va pas se battre ensemble ? Et vous agressez BFM aussi maintenant ? lâche Christine, gilet jaune de la première heure. Il faut montrer que le peuple souffre. S’exprimer. Faire une action ici, c’est symbolique.» Au milieu de la cohue, une vendeuse lève la voix : «On a moins 40% sur les sacs et les manteaux, profitez-en !» La cinquantaine de gilets jaunes qui occupait les Galeries ont été évacués et nassés à l’extérieur par les forces de l’ordre. Plusieurs interpellations ont lieu et les gilets nassés sont verbalisés pour manifestation non autorisée.

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De retour à la fontaine des Innocents, quelque 200 manifestants continuent de tenir position alors que la fin de journée approche. Des petits groupes convergent vers la place de la République où un hommage aux victimes se tient depuis 17 heures. La rue du Temple, qui donne sur la place, est bloquée par des manifestants. Beaucoup comptent sur la journée du 5 décembre et la grève générale illimitée pour faire revivre le mouvement.

Charles Delouche photos Stéphane Lagoutte. Myop pour Libération

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