Geoffroy Roux de Bézieux : « Sans équilibre financier, je m’opposerai à la réforme des retraites » – Les Échos

Publié le 18 févr. 2020 à 17h59

Dans quel état d’esprit abordez-vous cette conférence de financement des retraites, qui confie aux partenaires sociaux la responsabilité du redressement des comptes ?

Nous nous inquiétons fortement de la façon dont la réforme évolue depuis décembre. Le Medef n’était pas demandeur d’un système universel. Nous aurions préféré trois régimes distincts, un pour les indépendants, un pour les salariés du privé, et un troisième pour les fonctionnaires. Chaque semaine, on découvre de nouveaux problèmes qui ont leur source dans l’universalité : la revalorisation des pensions sur un indicateur de revenu moyen par tête qui n’existe pas encore ; les transferts financiers qui vont devoir se mettre en place avec la future caisse universelle… Nous sommes  malgré tout rentrés dans la concertation pour défendre nos points de vue . Au fur et à mesure des discussions, notre inquiétude monte, s’agissant de la gouvernance, du financement et de la pénibilité. Si nous n’avons pas de réponses à nos craintes sur ces trois points, je m’opposerai à cette réforme.

Dans l’immédiat, vous allez évoquer le financement…

Oui, et nous jugerons la réforme sur l’équilibre global du financement. Nous allons à cette conférence avec deux sujets. Le premier est connu, c’est  le financement jusqu’en 2027, date à laquelle nous devrons remettre le système à l’équilibre . Les chiffres prouvent qu’il existe bien un problème, contrairement à ce que dit la CFDT, et que le déficit continue à s’aggraver, avec 113 milliards d’euros cumulés en 2030. Sans compter que par le passé, les prévisions se sont toujours révélées fausses, et que la croissance de la productivité à 1,3 % semble une hypothèse très optimiste. Il y a donc urgence à annoncer des mesures de redressement. Or depuis décembre, le gouvernement tortille, évite de parler d’âge pivot, d’âge d’équilibre ou de mesure d’âge. Le problème est devant nous.

Le deuxième sujet, c’est le financement à long terme. Sur ce point, le projet de loi et son étude d’impact laissent de côté des pans entiers de l’équation.

Lesquels ?

Prenez la cotisation implicite de l’Etat employeur. Alors que le budget de l’Etat comble chaque année le déficit des régimes spéciaux à hauteur de 6 milliards d’euros et finance les régimes de fonctionnaires pour 43 milliards, on n’a aucune certitude sur la façon dont ces financements seront pérennisés. Qu’est-ce qui garantit qu’à partir de 2025, lorsque nous serons tous en cotisations universelles, ce ne seront pas les salariés du privé et les indépendants qui paieront pour les agents du secteur public ?

Il y a aussi la baisse de cotisations des cadres supérieurs, qui va coûter 4 milliards d’euros de recettes par an ; la fin éventuelle des surcotisations qui ont cours aujourd’hui dans certaines branches ou entreprises, 4 milliards également ; l’augmentation du minimum de pension, que nous avons évaluée à 500 millions par an en 2030, et bien plus si cette mesure était étendue à une partie des personnes déjà en retraite. Ajoutez à ces impasses financières les 12 milliards de déficit prévus en 2027, les 15 milliards d’engagement budgétaire de l’Etat pour revaloriser les enseignants et les chercheurs…

Alors quand le gouvernement nous dit qu’il y aura aussi des recettes supplémentaires, grâce par exemple aux cotisations qui vont beaucoup augmenter pour les contractuels de la fonction publique, nous demandons des chiffres. Et au-delà de 2027.

Concernant les cadres supérieurs, qui peuvent aujourd’hui cotiser en répartition jusqu’à 330.000 euros de salaire par an, et demain seulement jusqu’à 120.000 euros, que demandez-vous ?

On nous a vendu un allégement du coût du travail. Mais en réalité, l’entreprise et le salarié voudront remplacer ces droits acquis à la retraite par de l’épargne-retraite et c’est bien légitime. Ils ne sont que 200.000, mais c’est une force de frappe significative pour nos entreprises. Nous défendons donc la réintégration de ces cadres dans le système universel jusqu’au plafond actuel de l’Agirc-Arrco, 330.000 euros. A défaut, nous demanderons un régime d’épargne-retraite supplémentaire sur mesure, à hauteur du niveau de contribution actuel, avec les mêmes avantages que le système actuel par répartition. C’est-à-dire avec une déductibilité totale de l’impôt sur les sociétés pour l’abondement de l’employeur, et de l’impôt sur le revenu pour le versement du salarié. Le projet de loi ouvre la possibilité de procéder à un tel aménagement, mais il renvoie à une ordonnance. Nous ne lâcherons pas la proie pour l’ombre.

Si la cotisation des cadres supérieurs diminue, êtes-vous d’accord pour financer les droits acquis en puisant dans les réserves de l’Agirc-Arrco, pendant les vingt ans de transition ?

Les 70 milliards de réserve de l’Agirc-Arrco ne peuvent servir qu’à solder les droits acquis par les salariés et les employeurs qui ont contribué financièrement. Mais ces réserves intouchables ne suffiront évidemment pas à combler les droits acquis. Cela fait partie des interrogations sans réponse à ce jour.

Vous allez négocier un « cocktail » de mesures pour économiser 12 milliards en 2027. Que proposez-vous ?

L’âge-pivot était la bonne mesure, c’est celle que nous avons choisie à l’Agirc-Arrco. Nous ne pourrons pas rendre la décote temporaire comme nous l’avons fait pour notre régime complémentaire, car on n’économiserait pas suffisamment. Il faut que le décalage de l’âge de départ soit la mesure principale, sinon exclusive. Peut-on la rendre moins aveugle, comme le demande la CFDT ? Peut-être, à condition de ne pas perdre de vue l’équilibre financier.

Pourquoi ne pas combiner une montée en charge de l’âge-pivot au-delà de 2027, et une accélération de la réforme Touraine, qui allonge la durée de cotisation à 43 ans ? Ensuite, on ajouterait une pincée de produits du fonds de réserve des retraites. Au moins 90 % de l’effort financier doit porter sur l’âge. Nous ne voulons pas de hausse de cotisations, qui de toute façon créerait des droits futurs et donc des dépenses supplémentaires à terme, ni de permutation de cotisations, qui aurait des effets de bord sur la répartition de l’effort entre les petites et les grandes entreprises.

On commence à parler d’un objectif d’économies intermédiaire en 2027, à rediscuter en 2022 en fonction de la trajectoire financière. Qu’en dites-vous ?

Je ne suis pas contre une clause de revoyure, si on a bien l’âge-pivot.

Pourquoi la gouvernance prévue dans le projet de loi ne vous convient-elle pas ?

La gouvernance, c’est la mère des batailles. On va vers une étatisation du système de retraite, avec le Parlement qui votera le budget du système de retraite chaque année, comme si c’était le budget de l’Etat. Or c’est l’étatisation qui a produit jusqu’ici les déficits d’un régime général au paritarisme fictif, et permis d’accumuler plus de 100 milliards de dette. Le black-out depuis trois mois sur les sujets de financement nous renforce dans notre conviction qu’il faut se battre pour une vraie autonomie de gestion. C’est comme l’autonomie d’un maire, qui gère seul : le préfet n’intervient que lorsque les finances dérapent. Nous voulons une représentation proportionnelle des employeurs et des salariés au sein de la caisse universelle, et que le Parlement se contente de corriger la trajectoire si elle s’écarte du tracé.

Et la règle d’or ?

Une règle d’or sur cinq ans, on sait comment ça marche. Les deux premières années, on est en déficit, et on promet de remonter la pente les trois années suivantes. Puis, tous les ans, on recommence, on se raconte des histoires. Soit on interdit le déficit annuel, soit on impose un niveau de réserves obligatoires, mais en tout cas, il faut une règle budgétaire plus sévère qu’aujourd’hui.

La CFDT fait de la pénibilité un préalable à la question du financement et vous refusez d’établir des listes de métiers par branche pour les quatre critères hors compte de pénibilité (C2P). Que proposez-vous ?

Nous sommes dans une dialectique un peu paradoxale. D’un côté on nous demande d’employer plus les seniors, de l’autre on essaye d’imaginer des dispositifs pour augmenter les départs anticipés. Nous ne nions pas  le sujet de l’usure au travail mais il devrait être sorti du débat des retraites et discuté dans le cadre de la branche accidents du travail. C’est ce que l’on a commencé à faire depuis 2017 en liant les trois facteurs d’usure ergonomique qui ne sont pas dans le C2P à un certain nombre de maladies professionnelles. Ils sont donc pris en compte individuellement, par la mesure de l’état de santé du travailleur à l’occasion d’un contrôle médical.

Donc pas question de listes par métiers ?

Ce que propose la CFDT revient à créer des régimes spéciaux dans le privé. C’est extrêmement dangereux. L’employeur serait déresponsabilisé puisque l’ensemble d’une profession, quel que soit le niveau de prévention de l’entreprise et d’état de santé du travailleur, pourrait bénéficier d’un départ anticipé automatique. Or, on a fortement progressé sur les accidents du travail parce que les employeurs étaient responsabilisés via leurs cotisations.

Quel compromis alors ?

A court terme, on peut revisiter le dispositif de contrôle médical et par exemple abaisser l’âge auquel un salarié a le droit de partir en cas d’incapacité. On peut aussi mieux systématiser les visites de la Sécurité sociale en les ciblant sur une liste de professions à risque. Mais en aucun cas on ne pourra aller vers un système collectif.

Ce que vous proposez coûtera plus cher au système de retraites…

Si plus de gens partent de manière anticipée pour des raisons de pénibilité – et, je le répète, nous n’y sommes pas hostiles -, il faut reposer la question des départs pour carrières longues. Carrière longue n’est pas égal à pénibilité. Il y a des recouvrements dans certains cas, mais pas toujours. L’équilibre financier global impose que l’augmentation des départs anticipés pour pénibilité soit compensée par moins de départs pour carrières longues, dont le nombre a explosé : 250.000 par an, qui coûtent 6 milliards. Cela concerne 40 % d’une classe d’âge !

La retraite progressive et le cumul emploi retraites sont-ils de bons outils pour développer l’emploi des seniors ?

Oui, chacun avec ses vertus propres. Le cumul emploi-retraites commence à prendre. Le nombre de retraites progressives est encore trop faible. Elles vont être étendues aux salariés au forfait jour. Le seuil d’âge va être libéré. Il n’y a pas de raison que cela ne décolle pas même s’il existe un « tabou » managérial. Il peut y avoir aussi de la réserve de la part du salarié.

Autre piste sur la table, un compte épargne-temps universel et portable, y êtes-vous favorable ?

Ce n’est pas un sujet qui peut être traité via un  amendement parlementaire . Sur le principe, épargner du temps parce que l’on a envie de travailler beaucoup quand on est jeune et moins après, ce n’est pas absurde. Mais, techniquement, la portabilité d’une entreprise à l’autre est très compliquée. Il faut faire attention à ce qu’une personne n’arrive pas dans une entreprise avec trois « sacs à dos » : compte personnel de formation, compte de pénibilité et compte épargne temps.

Autre sujet en préparation, le pacte productif. Quelles sont vos attentes ?

Ce pacte doit être un véritable pas en avant, et non pas un jeu de compensations à somme nulle. Nous estimons à plusieurs milliards d’euros le coût pour les entreprises de la loi économie circulaire, sans oublier ce qui ressortira de la Convention citoyenne pour le climat . Le pacte productif doit par ailleurs concerner tous les secteurs, et non pas seulement l’industrie dès lors qu’on lui assigne un objectif de plein-emploi.

Plus prosaïquement, nous attendons une confirmation de la baisse de l’impôt sur les sociétés et la disparition définitive de la C3S. Il faut, enfin, revoir les impôts locaux de production. Nous ne voulons pas que cela traîne : il faudra de vraies baisses d’impôts d’ici à 2022. Je signale au passage qu’on a dépassé 1 million d’emplois créés grâce au tournant de la politique de l’offre. Vu la situation internationale, c’est le moment de lui redonner un souffle.

Quel sentiment vous inspire la dégradation de l’environnement international ?

J’étais à Washington récemment pour la réunion du B7, c’est-à-dire des organisations patronales des pays du G7. J’en suis revenu conforté dans la nécessité d’une Europe souveraine économiquement et technologiquement, pour parler d’égal à égal avec les Américains et les Chinois. Au-delà de l’administration Trump, nous sommes sur une tendance de long terme de défense des intérêts de chaque continent et de maintien dans le temps des tensions protectionnistes. Nous attendons beaucoup de la Commission, et notamment de Thierry Breton, le commissaire au Marché intérieur , dont nous saluons le discours nouveau sur la politique économique européenne.

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