Fusillade au Texas : Steve Kerr, une voix qui porte face aux maux de l’Amérique – Le Monde

Steve Kerr (masqué, au centre), au milieu de son staff pendant la minute de silence en hommage aux victimes de la tuerie d’Uvalde, le 24 mai 2022.

Le ton est implorant et vindicatif tout à la fois. « Quand allons-nous faire quelque chose ? » Yeux embués, mâchoire crispée et gorge serrée, Steve Kerr frappe à plusieurs reprises du poing sur la table. Et avertit : « Je ne vais pas parler de basket. Toutes les questions relatives au basket n’ont aucune importance ce soir. » Steve Kerr est pourtant entraîneur de basket et son équipe, les Golden State Warriors de San Francisco, l’une des franchises-phares de la NBA, la ligue nord-américaine, s’apprêtait, mardi 24 mai, à affronter les Dallas Mavericks dans le quatrième match des finales de conférence dans la cité texane. Mais l’actualité du jour a forcé le technicien à s’éloigner du terrain.

Au moins dix-neuf enfants, entre 7 et 10 ans, ainsi que deux adultes, ont été tués dans la journée de mardi, dans la ville texane d’Uvalde. Une énième tuerie perpétrée dans une école élémentaire par un adolescent à peine majeur. « Depuis que nous avons quitté la séance d’entraînement, quatorze enfants ont été tués à 600 kilomètres d’ici, et un enseignant [le bilan a depuis augmenté], a réagi à chaud Steve Kerr. Au cours des dix derniers jours, des personnes âgées noires ont été tuées dans un supermarché à Buffalo, des fidèles asiatiques ont été tués en Californie du Sud, et maintenant des enfants ont été tués à l’école… »

Les traits marqués, l’entraîneur américain a confessé sa « fatigue de [se] présenter devant [la presse] pour présenter [ses] condoléances aux familles anéanties ». Avant de s’en prendre aux sénateurs américains refusant de légiférer en dépit de la litanie des fusillades : « 90 % des Américains, quelle que soit leur orientation politique, veulent [une régulation des armes]. Nous sommes pris en otage par cinquante sénateurs à Washington qui refusent de soumettre cette mesure à un vote. »

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Tournant en boucle sur les chaînes de télévision et les réseaux sociaux, ce vibrant plaidoyer pour la régulation des armes à feu résonne aux Etats-Unis, une nouvelle fois meurtris par une fusillade dans une école. Car Steve Kerr a la voix qui porte. A 56 ans, celui qui a gagné en tant que joueur trois titres NBA avec les Chicago Bulls de Michael Jordan et deux avec les San Antonio Spurs, ainsi que trois titres comme entraîneur des Warriors, est accoutumé à prendre la parole sur des sujets de société.

Son père est mort dans un attentat au Liban

Il est d’autant plus sensible à la question des fusillades, que son père, président de l’université américaine de Beyrouth, a été assassiné par des terroristes islamistes au Liban en 1984. Nommé en décembre 2021 entraîneur de Team USA, l’équipe masculine américaine de basket, Steve Kerr a succédé à Gregg Popovich, l’entraîneur des Spurs (et du Français Tony Parker tout au long de sa carrière). L’entraîneur californien, joueur, puis assistant de Gregg Popovich, n’a pas seulement mis ses pas dans ceux de son mentor texan sur les parquets, il a aussi, hors des terrains, suivi l’exemple de ce dernier jamais le dernier pour s’engager dans des sujets de société.

« [Popovich] utilise sa position pour faire entendre sa voix au sujet des injustices, du racisme, des violences policières et du reste des maux qui affligent la société américaine, saluait en mars l’ancien joueur NBA Ethan Thomas dans une tribune au Guardian. En tant qu’homme blanc, qui plus est au Texas, ça requiert beaucoup de courage, et commande le respect. »

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Steve Kerr, qui n’hésitait pas à fustiger les prises de position de Donald Trump, alors président des Etats-Unis, a formé avec Gregg Popovich et d’autres coachs NBA un « comité sur les injustices raciales et la réforme » en 2020, afin de réfléchir collectivement aux questions de société, et envisager des solutions.

« Il se battra toujours pour ce qui est juste »

« Chaque Américain, quel que soit son parti, devrait être écœuré par ce qui se passe dans le pays en ce moment », insistait l’entraîneur des Warriors en 2016, après la mort d’un homme noir, tué par la police alors qu’il regagnait son véhicule les bras en l’air. A l’époque, le pays était scindé entre pro et anti-Colin Kaepernick, après que le joueur de football américain des San Francisco 49ers s’était agenouillé pendant l’hymne précédant un match, pour protester contre les violences policières (il n’a jamais retrouvé de club).

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Depuis 2016, le monde du basket aux Etats-Unis est un terreau favorable à ces questions. Alors que la NFL peinait à prendre la mesure de la situation, la NBA s’est résolument engagée pour la défense des minorités dans la foulée du mouvement Black Lives Matter (« les vies noires comptent »), à la suite de plusieurs de ses joueurs stars (comme LeBron James ou Stephen Curry) et d’entraîneurs, comme Steve Kerr.

A qui son joueur Damion Lee rendait hommage, en 2021 : « Il nous soutient dans tous les domaines quand nous essayons de mettre en lumière les injustices et les problèmes sociaux, saluait l’arrière des Warriors. Son passé, et ce qu’il a traversé font que ces problèmes lui tiennent à cœur. Il sera toujours à l’avant-garde et il se battra toujours pour ce qui est juste. »

En janvier 2021, à la suite de l’assaut du Capitole par une foule de pro-Trump convaincus que l’élection leur avait été volée, Steve Kerr avait déjà choisi de ne plus parler de basket. « J’ai commencé la journée en réfléchissant à comment défendre sur Lou Williams [un joueur adverse], et tout à coup, ça ne m’a plus paru aussi important quand j’ai allumé la télévision et vu ce qui se passait », relatait l’entraîneur en conférence de presse. « C’était une scène bizarre, mais j’y ai vu un rappel clair de l’importance de la vérité. La vérité est primordiale dans notre pays et partout dans le monde, et si nous permettons aux mensonges de se propager, ça a des conséquences. »

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Citoyen engagé au-delà de son influence sur le jeu, Steve Kerr a une nouvelle fois pris la parole, mardi, à la suite d’un nouveau drame lié à la circulation dérégulée des armes à feu dans son pays. Sans doute espère-t-il que sa vérité aidera à faire bouger les lignes.

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