François et Penelope Fillon à l’heure des comptes – Le Parisien

L’article du « Canard enchaîné » du 25 janvier 2017 fut une bombe à fragmentation dont la dernière secousse s’annonce. Trois années ont passé depuis les révélations de l’hebdomadaire satirique sur les emplois présumés fictifs de Penelope Fillon auprès de son mari et c’est comme si la terre avait tremblé.

Torpillé en pleine campagne, le champion de la droite, auréolé de sa victoire à la primaire et favori de la course à l’Elysée, a, depuis sa défaite au soir du premier tour, tiré un trait définitif sur la vie politique et laissé son camp dans un champ de ruines. Vertigineux.

L’heure des comptes a désormais sonné pour l’ancien Premier ministre dont le procès, celui de son épouse et de son suppléant Marc Joulaud s’ouvre ce lundi à Paris. Ses enfants, dont on lui reproche également l’emploi prétendument abusif, ont échappé au renvoi devant le tribunal. Poursuivis notamment pour « détournement de fonds publics » et complicité, les prévenus encourent une peine de dix ans de prison et 150 000 euros d’amende. Les enquêteurs ont fait les comptes et le montant des salaires contestés versés à Penelope Fillon par ses deux employeurs entre 1998 et 2007 puis entre 2012 et 2013 s’élève à plus d’1 millions d’euros. L’Assemblée nationale, partie civile, entend réclamer son dû.

Mais pour François Fillon, reconverti dans la finance, c’est d’abord l’honneur de sa famille qui est en jeu, comme il l’a martelé en janvier dernier sur France 2. Clamant toujours son innocence, l’ancien maire de Sablé-sur-Sarthe aura fort à faire pour convaincre, tant l’enquête semble accablante. « Une procédure entièrement à charge », dénonce-t-il. Le coup d’envoi de cette joute judiciaire sera peut-être légèrement reporté. Car l’actualité de ce procès en percute une autre : le mouvement de grève massif des avocats contre la réforme des retraites. Solidaires de leurs pairs, les conseils des trois prévenus vont demander le renvoi de l’audience. Si le tribunal accepte, les débats commenceront vraiment mercredi.

L’impossible quête du travail de Penelope Fillon

Les enquêteurs ont cherché à prouver que Penelope Fillon a été l’assistante parlementaire de son mari. Documents ou témoignages… leur quête a été vaine./AFP/Jean François Monier
Les enquêteurs ont cherché à prouver que Penelope Fillon a été l’assistante parlementaire de son mari. Documents ou témoignages… leur quête a été vaine./AFP/Jean François Monier  

Ils ont pourtant cherché. En multipliant perquisitions et auditions. En exploitant archives et documents. Mais rien n’y a fait. Jamais les juges d’instruction n’ont trouvé d’éléments suffisants, à leurs yeux, pour caractériser la réalité de l’emploi de Pénélope Fillon auprès de son mari, puis de son suppléant. Au terme de leurs investigations, ils estiment que l’épouse de l’ancien candidat à la présidentielle est beaucoup de choses : une « femme au foyer […] très investie dans l’éducation de ses enfants et dans la gestion de sa vie familiale ».

Ou encore « la conjointe d’un homme politique à la trajectoire ascendante […] reconnue dans le microcosme local » et à ce titre susceptible « de l’accompagner lors de cérémonies officielles et d’événements festifs ou culturels, de le soutenir lors de ses campagnes, de lui recommander la situation de tel ou tel administré ou de lui rendre de menus services ». C’est très honorable. Mais les magistrats sont catégoriques : « Tout ceci ne relevait pas d’un travail d’assistant parlementaire, encore moins à temps complet ».

Personne ou presque ne connaissait l’existence de ce contrat

Les enquêteurs ont rapidement identifié une première anomalie : le travail allégué de Penelope Fillon n’a quasiment laissé aucune trace. François Fillon s’en est expliqué : les missions de son épouse telles qu’il les a définies – rédactions de mémos succincts, relecture des discours, connaissance des personnes et du terrain et traitement du courrier – étaient purement orales et intellectuelles.

Les avocats des époux Fillon ont malgré tout livré de nombreux documents censés témoigner de son activité. « Destinés à faire masse […] ces documents ne démontraient rien, ou confirmaient l’abus de langage consistant à qualifier de travail de collaborateur parlementaire la plus anodine de ses activités », balayent les juges d’instruction.

Les seuls documents annotés de la main de Penelope Fillon trouvés en perquisition sont ceux ayant trait à son mandat d’élue de Solesmes (Sarthe). « Ceci montrait que, dans le cadre de son activité de conseillère municipale, Penelope Fillon s’investissait, annotait des documents et constituait des archives, ce qui rendait encore plus surprenant l’absence de toute trace documentaire de son activité d’assistante parlementaire », en concluent cruellement les juges.

François et Penelope Fillon à l’heure des comptes

Faute de traces écrites, les magistrats ont cherché des témoignages susceptibles de justifier le confortable salaire versé chaque mois par l’Assemblée nationale à l’épouse du député Fillon. Hormis Sylvie Fourmont, la plus ancienne et plus fidèle collaboratrice de François Fillon qui a évoqué le rôle central de la Galloise – « l’oreille de son mari », vante-t-elle – personne ou presque ne connaissait l’existence de ce contrat. Ni la majorité des autres collaborateurs, ni les journalistes locaux, ni les préfets, ni l’ancien policier des RG de la Sarthe…

«Invraisemblable» qu’elle ait pu jouer une telle fonction

Dans cette quête de preuve, les juges d’instruction n’ont pas davantage été convaincus par les explications de la principale intéressée. Ainsi, alors que Penelope Fillon est censée avoir eu comme mission de recevoir des administrés à domicile, a-t-elle été incapable de citer le moindre nom de visiteur. Pour les juges, il est « invraisemblable » qu’elle ait pu jouer une telle fonction. Quant à l’argument de la « discrétion » mis en avant par François Fillon pour justifier du manque de traces laissées par son travail ? « Guère convaincant », évacuent-ils.

L’avocat de Penelope Fillon, Me Cornut-Gentille, entend solliciter la relaxe de sa cliente. Selon lui, les juges se sont reposés sur une définition erronée du métier d’assistant parlementaire et l’absence d’écrits ne constituerait pas un indice de fictivité de l’emploi. « Penelope Fillon ne se contentait pas d’être l’épouse de François Fillon », développe-t-il dans ses conclusions. Il faudra désormais le démontrer à l’audience.

Marc Joulaud, le suppléant timide et peu regardant

« Est-ce que Penelope Fillon avait un rôle d’assistante parlementaire au sens classique du terme ? Bien sûr que non », affirmait Marc Joulaud à RTL. AFP/Jean-François Monier
« Est-ce que Penelope Fillon avait un rôle d’assistante parlementaire au sens classique du terme ? Bien sûr que non », affirmait Marc Joulaud à RTL. AFP/Jean-François Monier  

En suppléant François Fillon après son entrée au gouvernement en 2002, Marc Joulaud n’a pas seulement pris son poste de député à l’Assemblée. Il a également embauché son assistante parlementaire, son épouse Penelope, payée pendant cinq ans 5 200 euros nets par mois. A-t-il seulement eu voix au chapitre ? La secrétaire de François Fillon lui a remis un contrat intégralement rempli qu’il n’a eu qu’à signer. Sans discuter du salaire. « J’ignorais que sa rémunération augmentait. J’ai simplement avalisé la proposition qui m’a été faite », a reconnu celui qui a également succédé à son mentor à la mairie de Sablé-sur-Sarthe.

Questionné sur le contenu du travail de Penelope Fillon, Marc Joulaud a eu beaucoup plus de facilité à décrire ce qu’elle n’était… pas. « Celle-ci ne l’assistait pas dans son travail législatif, ni dans son activité au sein de la commission de la défense […]. Elle ne s’occupait ni des questions écrites et orales au gouvernement, ne faisait aucune recherche sur des thématiques particulières, n’intervenait pas dans ses relations avec le parti politique […] Ne disposant d’aucun matériel […], elle ne se rendait jamais à l’Assemblée et n’avait pas de badge », égrènent les juges d’instruction, précisant que Marc Joulaud n’exerçait aucune autorité hiérarchique sur Penelope Fillon. La seule trace de collaboration entre eux semble être ses rares visites à son bureau à l’occasion desquelles elle « feuilletait le classeur où étaient classées les invitations reçues à la mairie afin d’envisager celles où son mari ou elle-même pourraient aller ».

Un emploi en contrepartie de la place de suppléant

Interrogé sur cette embauche dont il lui est reproché d’être l’instigateur, François Fillon l’a justifiée par la timidité de son suppléant et par la nécessité que son épouse l’accompagne pour conserver le lien avec sa circonscription. « A supposer que Marc Joulaud ait réellement été handicapé par une timidité maladive, on voit mal comment Penelope Fillon, qui s’est décrite elle-même comme particulièrement réservée, aurait pu lui être d’un quelconque secours », ironisent les juges. « Dans ces conditions, concluent-ils, il apparaît clairement que l’emploi de Penelope Fillon n’était rien d’autre que la contrepartie à la place de suppléant offerte par François Fillon à son ancien collaborateur et un biais pour François et Penelope Fillon d’augmenter leurs revenus par la perception d’un salaire sans prestation de travail correspondante. »

Marc Joulaud, qui s’est très peu exprimé publiquement sur cette affaire, s’est confié la semaine dernière au micro de RTL : « Est-ce que Penelope Fillon avait un rôle d’assistante parlementaire au sens classique du terme ? Bien sûr que non. Est-ce que Penelope Fillon avait-elle un rôle auprès de son mari ou auprès de moi […], la réponse est forcément oui », a-t-il plaidé.

L’emploi de l’ami Ladreit de Lacharrière

Le propriétaire de la Revue des Deux Mondes a écopé d’une peine de huit mois pour abus de biens sociaux./LP/Philippe Lavieille
Le propriétaire de la Revue des Deux Mondes a écopé d’une peine de huit mois pour abus de biens sociaux./LP/Philippe Lavieille  

Début 2012, François Fillon contacte son vieil ami Marc Ladreit de Lacharrière. Après leur départ de Matignon, il a peur que son épouse s’ennuie même s’il vient pourtant de l’embaucher à temps plein comme assistante parlementaire à l’Assemblée! L’ancien Premier ministre demande au richissime patron du groupe Fimalac de trouver une activité pour Penelope. En mai, la voilà embauchée pour 3950 euros nets par mois comme « conseiller littéraire » à la Revue des Deux Mondes, détenue par l’homme d’affaires.

Penelope Fillon sera salariée de la publication pendant 19 mois au cours desquelles elle rédige quatre notices de livre, dont deux seront publiées. Mais surtout, les enquêteurs n’ont retrouvé aucune trace de son activité de conseiller littéraire, alors qu’elle était censée réfléchir à l’avenir de la revue : ni document écrit, ni témoignage.

L’homme d’affaires finit par avouer

Après avoir défendu le contraire, Marc Ladreit de Lacharrière a fini par admettre la fictivité de cet emploi. « Il est exact que de mai à décembre 2012, il n’y a pas eu de contrepartie suffisante à son salaire […] Et à partir de janvier 2013 jusqu’à sa démission en décembre 2013, Madame Fillon n’a fourni aucun travail en contrepartie de son salaire », a-t-il reconnu dans un courrier en demandant à bénéficier de la procédure du plaider-coupable.

En décembre 2018, l’homme d’affaires a été condamné à huit mois de prison avec sursis et 375 000 euros d’amende pour cet abus de biens sociaux qu’il avait chiffré à 135 000 euros. Cette reconnaissance complique sérieusement la défense des époux Fillon, renvoyés dans ce volet pour complicité et recel d’abus de biens sociaux. Penelope Fillon maintient que son travail n’était pas fictif.

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