Fortnite : tout comprendre au bras de fer entre Epic et Apple (et à cette parodie d’une pub des années 80)

Si la plainte d’Epic Games contre Apple n’est qu’un épisode de plus dans la lutte acharnée entre les éditeurs d’application mobile et Apple, c’est aussi un coup de tonnerre. Car pour l’heure, le conflit à bas bruit opposait d’illustres inconnus (lire Hey vs Apple : l’application est sur l’App Store, mais le combat n’est pas terminé). Seul le géant suédois de la musique en ligne Spotify avait véritablement montré les dents d’un point de vue juridique, en déposant une plainte en Europe contre cette pratique qui consiste pour Apple a capter un tiers du chiffre d’affaires des éditeurs qui mettent à disposition de leurs clients des applications mobiles payantes sur l’App Store d’Apple.

Des coups de semonces donc, qui mènent ce jour via Epic à un coup de Trafalgar. Le timing est minutieusement choisi, et la pression sera forte sur Apple si d’autres acteurs économiques du poids d’Epic se coalisent.

Jeudi, Apple a retiré l’application mobile Fortnite d’Epic Games de son App Store après que l’entreprise ait mis en place son propre système de paiement intégré. Une mesure qui permet à Epic de contourner la commission de 30% qu’Apple prend sur toutes les ventes qui s’effectuent sur l’App Store. Suite à cette décision, Epic Games a porté plainte contre Apple.

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Epic Games

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“Pendant des années, ils nous ont donné leurs chansons, leur travail et leurs rêves. En échange, nous avons pris notre tribut, nos profits, le contrôle”

Pour enfoncer le clou, Epic Games a publié une excellente parodie de la plus célèbre publicité d’Apple. Regardez bien, il y a un ver qui sort de la tête d’Apple “Big Brother”. “Nous célébrons l’anniversaire des directives d’unification des plates-formes”, déclare le porte-parole d’Apple dans cette parodie. “Pendant des années, ils nous ont donné leurs chansons, leur travail et leurs rêves. En échange, nous avons pris notre tribut, nos profits, le contrôle. Ce pouvoir nous appartient et n’appartient qu’à nous”.

Un retour de bâton. Car il fut un temps où c’est Apple qui se moquait de Big Brother (IBM), grâce à sa “publicité 1984” (intégrée ci-dessous pour les jeunes téléspectateurs). Cette œuvre originale n’a été diffusée qu’une seule fois, mais certains considèrent qu’il s’agit de la meilleure publicité jamais réalisée. A noter que ce n’est pas la première fois qu’un géant de la technologie de la taille d’Epic singe la publicité originale d’Apple. HTC en 2015 et Motorola en 2011 avaient fait de même.

Le message en sous texte poussé par Epic via cette publicité : Apple est désormais Big Brother. L’entreprise dit aux consommateurs et aux développeurs ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas avoir et faire.

Epic cherche à tirer parti de sa communauté Fortnite pour faire pression sur Apple

La commission de 30% d’Apple, qui semblait être un bon accord pour les éditeurs lors de la mise en place de l’App Store, fait désormais l’objet de sévères critiques en raison de la domination de la société sur le marché de l’économie des applications. La manière dont Google distribue les applications des éditeurs sur le Play Store fait également l’objet de critiques.
Epic cherche en fait à tirer parti de sa communauté Fortnite pour faire pression sur Apple. Car Fortnite propose déjà des rabais sur ses produits virtuels pour chaque achat sur les plateformes PlayStation, Xbox, Nintendo Switch, PC et Mac.

Dans sa plainte, Epic dit ce qui suit : “Apple est devenue ce contre quoi elle s’insurgeait autrefois : le mastodonte qui cherche à contrôler les marchés, à bloquer la concurrence et à étouffer l’innovation. Apple est plus gros, plus puissant, plus stable et plus pernicieux que les monopoles d’antan. Avec une capitalisation boursière de près de 2 000 milliards de dollars, la taille et la portée d’Apple dépassent de loin celles de tous les monopoles technologiques de l’histoire”.Et d’ajouter que Apple applique “une taxe oppressive de 30% sur la vente de chaque application”.

La prime a celui  qui arrive a faire croire qu’il défend le mieux les développeurs

Apple a répliqué en faisant la déclaration suivante : “Aujourd’hui, Epic Games a pris la malheureuse décision de violer les directives de l’App Store qui s’appliquent de la même manière à tous les développeurs et qui sont conçues pour assurer la sécurité du magasin d’application pour nos utilisateurs. En conséquence, leur application Fortnite a été retirée du magasin. Epic a activé dans son application une fonctionnalité qui n’a pas été examinée ou approuvée par Apple, et ils l’ont fait dans l’intention expresse de violer les directives de l’App Store concernant les paiements in-app qui s’appliquent à chaque développeur qui vend des biens ou des services numériques”.

Et de poursuivre : “Epic a des applications sur l’App Store depuis une décennie, et a bénéficié de l’écosystème de l’App Store – y compris pour ses outils, ses tests et la distribution qu’Apple fournit à tous les développeurs. Epic a accepté librement les conditions et les directives de l’App Store et nous sommes heureux qu’ils aient bâti une entreprise aussi prospère sur l’App Store. Le fait que leurs intérêts commerciaux les amènent désormais à faire pression pour obtenir un arrangement spécial ne change rien au fait que ces directives créent des conditions équitables pour tous les développeurs et rendent le magasin sûr pour tous les utilisateurs. Nous ferons tout notre possible pour travailler avec Epic pour résoudre ces violations afin qu’ils puissent remettre Fortnite sur l’App Store”.

Bien sûr, Epic déclare également défendre la veuve et l’orphelin : “Epic intente ce procès pour mettre fin aux actions déloyales et anticoncurrentielles qu’Apple entreprend pour maintenir illégalement son monopole sur deux marchés distincts de plusieurs milliards de dollars : (i) le marché de la distribution des applications iOS, et (ii) le marché du traitement des paiements In-App d’iOS. Epic ne cherche pas à obtenir une compensation monétaire (…) pour les préjudices subis. Epic ne cherche pas non plus à obtenir un traitement favorable pour elle-même. Au contraire, Epic cherche à obtenir une mesure injonctive pour permettre une concurrence équitable sur ces deux marchés clés qui touchent directement des centaines de millions de consommateurs et des dizaines de milliers, voire plus, de développeurs d’applications tiers.

Lors de son dernier WWDC, Apple s’est assuré de mentionner combien elle a soutenu les développeurs et leur a permis de créer des entreprises. Et le PDG Tim Cook a déclaré lors de la publication des derniers résultats de l’entreprise : “Ce trimestre, une nouvelle étude réalisée par des économistes indépendants a révélé que l’App Store a généré plus de 0,5 trillion de dollars de commerce dans le monde pour la seule année 2019. En particulier en période de COVID-19, vous pouvez mesurer la résilience économique dans la façon dont l’App Store soutient la prise de commande à distance pour les restaurants, le commerce numérique pour les petites entreprises et représente une opportunité entrepreneuriale durable pour les créateurs et les visionnaires”.

Epic ne partage pas cet avis et affirme que l’exigence d’Apple d’utiliser son App Store signifie que les développeurs doivent en fin de compte facturer davantage aux consommateurs pour maintenir les marges. La récente audition du Congrès des Etats-Unis sur les monopoles technologiques a soulevé des points similaires.

Quelle devrait être la part d’Apple dans la distribution des applications ?

En fin de compte, ce qu’Epic cherche à faire, c’est forcer Apple à négocier, mais il est douteux que des menaces fassent bouger Apple. Voici les questions qui devraient être abordées à l’avenir sur ce sujet :

  • Quelle devrait être la part d’Apple dans la distribution des applications : 20 % ou 10 % ?
  • Quelles seront les implications du face-à-face Epic-Apple pour Google ?
  • D’autres développeurs de renom se joindront-ils à la lutte en Epic et Apple ?
  • Et ces questions vont-elles faire l’objet d’un examen antitrust ou donner aux développeurs des avantages juridiques ?

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