Féminicide d’Hayange : le procureur conteste « tout dysfonctionnement judiciaire », le gouvernement lance une mission d’inspection – Le Monde
La stupeur et l’incompréhension demeurent après le féminicide commis dans la nuit de dimanche 23 à lundi 24 mai à Hayange (Moselle) contre une jeune femme de 22 ans par son compagnon de 23 ans. Les ministres de l’intérieur, de la justice et de la citoyenneté ont annoncé mercredi 26 mai avoir saisi l’inspection générale de l’administration et l’inspection générale de la justice afin qu’une mission d’inspection de fonctionnement soit diligentée pour « faire toute la lumière suite au terrible féminicide d’Hayange ».
Mardi, le procureur de la république de Metz, Christian Mercuri, avait écarté tout « dysfonctionnement des services judiciaires dans cette affaire », soulignant que le parquet n’avait pas été informé par la police du dépôt d’une main courante (le 14 janvier 2020), puis d’une plainte (le 3 novembre), par la jeune femme contre son compagnon. Il a néanmoins reconnu que, « dans un monde idéal », ces dernières auraient dû être signalées au parquet. Le comportement de l’homme avait déjà provoqué « plusieurs interventions de police secours au domicile conjugal », a également concédé le procureur.
« Pas identifié judiciairement parlant comme un conjoint violent »
Lors de ses dépôts de main courante et plainte, la victime faisait état « de violences verbales, de harcèlement ou de menaces de mort », selon le procureur. Mais ces deux démarches n’ont pas été « portées à la connaissance de l’autorité judiciaire », a-t-il affirmé. Ainsi, aux yeux de la justice et malgré neuf mentions au casier judiciaire du suspect – deux pour des faits de violences remontant à 2015 et les autres pour des « délits routiers » –, celui-ci n’était « pas identifié judiciairement parlant comme un conjoint violent », a constaté le procureur. « Il n’y avait aucun élément relatif à des violences conjugales qui avait été porté à la connaissance de l’autorité judiciaire », a-t-il insisté.
Dans ce contexte, le suspect, qui purgeait depuis le 20 novembre 2020 une peine d’un an d’emprisonnement pour des délits routiers, a bénéficié d’un aménagement de peine à domicile sous surveillance électronique. Cet aménagement lui avait été accordé en appel, après un refus du juge d’application des peines en première instance. S’il avait été « identifié comme [violent], le suspect n’aurait pas reçu un aménagement de peine au domicile conjugal », a encore soutenu M. Mercuri, qui a regretté un défaut de transmission d’informations.
« Aviser le parquet de tout dépôt de plainte »
« Les instructions ont été données depuis le Grenelle des violences faites aux femmes d’aviser le parquet de tout dépôt de plainte » en la matière, a souligné le procureur. « C’est la procédure idéale. En l’espèce cela n’a pas été fait », a-t-il concédé, tout en écartant tout « dysfonctionnement des services judiciaires dans cette affaire ».
« Nous allons travailler avec le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice pour comprendre ce qui a pu dysfonctionner », avait réagi mardi Elisabeth Moreno, ministre déléguée à l’égalité femmes-hommes, interrogée sur une éventuelle commission d’enquête par BFM-TV. Il s’agit de déterminer « ce qui a pu, de nouveau, faire perdre la vie à une femme qui est morte juste parce qu’elle est femme » et parce que son conjoint « n’a pas accepté qu’elle décide de le quitter », a-t-elle poursuivi.
Suivi par l’intervenant social
La plainte, a fait valoir de son côté le procureur, n’était pas restée « lettre morte ». « Conformément » aux directives adoptées lors du Grenelle, elle avait donné lieu « à la saisine de l’intervenant social du commissariat », qui était entré en contact avec la jeune femme, elle-même n’ayant « pas donné suite ».
Dans le cadre de l’aménagement de peine, elle avait également « donné son accord pour héberger au domicile commun son conjoint pour qu’il y purge le reliquat », a également tenu à préciser le procureur. Le magistrat a toutefois admis que cet accord avait été donné par écrit, « personne », au sein de l’institution judiciaire, n’ayant auditionné la jeune femme à cette occasion.
Interrogé par ailleurs sur le bracelet électronique dont le suspect s’était débarrassé dans sa fuite et qui a été retrouvé à son domicile, le commissaire de police judiciaire Antoine Baudant a simplement déclaré que des « vérifications » étaient menées. « A ce stade, on ne sait pas encore s’il s’agit d’un dysfonctionnement ou d’un acte délibéré de la part du suspect », a-t-il conclu.
Retrouvez tous nos articles sur les féminicides
En mars 2019, Le Monde a constitué une cellule d’investigation pour enquêter sur les féminicides conjugaux en France. Pendant un an, une dizaine de journalistes du Monde a tenté de comprendre les ressorts de ces crimes et comment ils pourraient être empêchés. Ce travail s’est traduit tout au long de l’année par la publication régulière d’enquêtes.
Il se conclut par la publication d’un supplément de quatorze pages dans le journal paru le 30 mai, par la diffusion, mardi 2 juin sur LeMonde.fr, d’un grand format composé de dix chapitres, « Féminicides : mécanique d’un crime annoncé », et d’un documentaire sur France 2 en soirée.
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