Explosions à Beyrouth : les détournements et fausses infos se multiplient – LCI

International

À LA LOUPE – Quelques jours après la catastrophe survenue dans la capitale libanaise, de multiples détournements d’images ou de vidéos sont apparus en ligne. Sans compter les multiples théories pour expliquer les explosions, souvent sans fondement. Pour s’informer, la prudence est plus que jamais de mise.

Les images des explosions qui ont ravagé une partie de Beyrouth ont fait le tour du monde en l’espace de quelques heures. Comme toujours lorsque des événements prennent une telle ampleur, les faits sont abondamment commentées, disséqués, analysés et… déformés. Parfois même manipulés. L’intense fumée noire qui se dégageait dans le quartier du port a logiquement attiré les regards et conduit des habitants à sortir leurs téléphones pour filmer la scène. Cela explique en partie la profusion d’images de la plus intense détonation, des séquences ensuite partagées et relayées sur les réseaux sociaux.

Si de nombreuses photos et vidéo, parfaitement authentiques, ont circulé et permis de rendre compte de la violence de l’onde de choc, d’autres ont été détournées à dessein, pour tromper les observateurs et servir parfois des causes politiques. Aux images trafiquées se sont ainsi mêlées diverses théories, pas ou peu étayées et qui n’ont pas manqué d’être largement débattues depuis le 4 août au soir. 

Une attaque de missile ?

Parmi les vidéos qui circulent, l’une d’elles montre le lieu de l’explosion, quelques instants avant la détonation. Un missile apparaît dans le champ, filmé par ce qui est présenté comme une caméra thermique. Un extrait de quelques secondes qui  accréditerait la thèse d’une attaque délibérée contre la capitale libanaise, et que beaucoup d’internautes ont jugé crédible.

En réalité, il s’agit là d’un habile détournement, que des médias ont repéré et décortiqué. Tout d’abord, il faut préciser que cette séquence n’a pas été réalisée avec une caméra thermique. Grâce à un logiciel, les couleurs ont simplement été inversées, à la manière d’un négatif photo. Deux vidéos distinctes ont été utilisées pour créer ce faux, auquel a ensuite été ajouté, toujours par ordinateur, un missile filant droit vers le sol. Une manipulation dénoncée jeudi par une journaliste de NBC, outre-Atlantique. “Restez sceptiques”, lance-t-elle en conclusion à ses abonnés.

Reste que ce vendredi, le président libanais Michel Aoun a lui-même évoqué cette hypothèse pour la première fois, sans davantage de précision, était due “soit à la négligence, soit à une intervention extérieure”, parlant d’“un missile ou une bombe”.

Les propos sans fondements de Donald Trump

Les fausses informations ou théories douteuses ne sont pas seulement partagées par des internautes manipulateurs ou complotistes, mais aussi par des personnalités de tout premier plan. La preuve avec les premières déclarations de Donald Trump en réaction à la catastrophe libanaise. Le président américain, lors d’une conférence de presse initialement consacrée à l’épidémie de Covid-19, a lancé la phrase suivante : “J’ai rencontré nos généraux et il semble que que ce n’était pas un accident industriel. Il semble, selon eux, que c’était un attentat, c’était une bombe.”

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Cette déclaration semble-t-il plus que hâtive, des responsable de la Défense américaine ayant été contraint d’expliquer auprès de CNN qu’aucun élément concret ne permettait aujourd’hui d’accréditer cette thèse. Les autorités libanaises elles-mêmes avaient rapidement communiqué pour indiquer que la piste de l’accident industriel était privilégiée. Peu habitué aux rétropédalages, Donald Trump a toutefois admis ce mercredi qu’il pouvait ne pas s’agir d’un attentat. “J’ai entendu les deux choses. J’ai entendu accident. J’ai entendu, vous savez, explosifs. Evidemment, cela a dû être un type d’explosifs, mais que ce soit une bombe intentionnellement déclenchée ou pas, cela a fini par être une bombe”, a tenté de se justifier le président américain.

La curieuse présence d’un drone

Très rapidement après les explosions, une vidéo a commencé à se propager en ligne, montrant un drone voler dans le ciel. L’engin est présenté comme étant israélien, fait du sur-place avant de lâcher un petit objet, tandis que l’on entend des cris. Pour certains, la présence d’un drone sur les lieux ne laisse aucun doute quant au fait qu’il ne s’agit pas d’un accident. Un sentiment exacerbé par les tensions qui émaillent les relations entre le Liban et Israël. 
Si ces messages ne sont pas totalement faux, ils s’avèrent très largement détournés. En effet, comme le souligne 20 Minutes, “la vidéo a bien été filmée au Liban, mais à une centaine de kilomètres de Beyrouth et quasiment une semaine avant ces déflagrations”. La séquence politique a d’ailleurs “été diffusées dès le 30 juillet sur la page Facebook « Achrafieh News », qui présentait ces drones comme des appareils de l’armée israélienne filmés à basse altitude au sud du Liban.” Rien n’atteste aujourd’hui de la présence d’un drone dans le quartier du port, peu avant les explosions survenues mardi.

Les pyramides aux couleurs du Liban

De nombreux pays ont réagi suite aux explosions et tenu à apporter leur soutien au Liban. Des marques de solidarité qui se seraient notamment traduites en Egypte par l’illumination des célèbres pyramides de Gizeh, sur lesquelles le drapeau libanais aurait été projeté. Relayée par un compte Twitter connu pour propager des fake news, la photo montrant la scène est en réalité un montage. Une manipulation qui a trompé plusieurs milliers d’internautes.

Le cliché originel à partir duquel a été réalisé ce faux date d’avril. Sur la version modifiée, “les nuages et les lumières de la ville visibles en arrière-plan sont placés exactement au même endroit et avec le même angle de prise de vue”, note Le Monde. “Interrogé mardi par le site d’informations égyptien El Balad, le directeur général des antiquités du plateau de Gizeh a démenti cette information”, note le quotidien. S’il s’agit ici d’un hommage et que le pouvoir de nuisance d’un tel détournement demeure faible, ce cas d’école montre avec quelle facilité de fausses informations peuvent se diffuser. On notera que cette image retouchée a été mise en ligne seulement quelques heures après les faits, illustrant la rapidité des faussaires.

Israël dans le viseur d’un conspirationniste notoire

Les accusations à l’encontre d’Israël se sont multipliées depuis la tragédie, l’Etat hébreu étant suspecté d’avoir orchestré ces explosions. Une thèse que défend le “Réseau Voltaire” et son dirigeant, Thierry Meyssan. Dans un article, ce dernier est formel : “Le premier Premier ministre israélien a ordonné la destruction d’un entrepôt d’armes du Hezbollah à Beyrouth au moyen d’une arme nouvelle”, écrit-t-il. “Celle-ci étant mal connue a provoqué des dégâts considérables dans la ville tuant plus de 100 personnes, en blessant 5 000 et détruisant de nombreux immeubles. Cette fois, il sera difficile à Benyamin Netanyahu de nier.”

Personnage trouble, Thierry Meyssan est reconnu comme une figure majeure du conspirationnisme. Partisan du régime de Bachar Al Assad en Syrie, proche du Hezbollah, il a notamment défendu des théories révisionnistes à propos des attentats du 11 septembre ou des ceux perpétrés contre Charlie Hebdo. Dans sa publication, il utilise un cliché du dirigeant israélien Benyamin Netanyahu, brandissant à la tribune de l’ONU un panneau où l’on voit une carte de Beyrouth sur laquelle sont entourées plusieurs zones.

Une préfiguration des explosions survenues mardi ? Pas du tout. À l’ONU en septembre 2018, Netanyahu dénonçait l’action de l’Iran, qu’il accusait de mettre au point des missiles téléguidés depuis le Liban avec l’aide du Hezbollah. Les trois sites pointés du doigt par le dirigeant sur son panneau correspondent aux zones où auraient été stockées ces armées. Aucun lien avec la zone portuaire touchée par la catastrophe puisque ces soi-disant dépôts sont désignés comme tout proches de l’aéroport de Beyrouth, une dizaine de kilomètres au sud-ouest.

Si Benyamin Netanyahu a régulièrement mis en cause le Hezbollah (et l’Iran) dans ses interventions, rien ne permet de faire le lien entre cette intervention devant les Nations Unies et la catastrophe qui a frappé la capitale libanaise. Malgré les tensions historiques entre Israël et le Liban, les dirigeants libanais continuent de privilégier la piste accidentelle et n’incriminent par l’Etat hébreu, qui s’est également défendu de toute intervention.

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