Etats-Unis : « La mort de Ruth Bader Ginsburg, plus qu’un bouleversement pour la campagne présidentielle » – 20 Minutes

Ruth Bader Ginsburg, ancienne juge de la Cour suprême — Jeffrey T. Barnes/AP/SIPA
  • Ruth Bader Ginsburg, juge de la Cour suprême américaine, est morte dans la nuit de vendredi à samedi.
  • Un décès qui change beaucoup de choses dans la campagne présidentielle américaine, à seulement 45 jours de l’élection.
  • Car pour Jean-Eric Branaa, il ne s’agit plus d’élire un président, mais de choisir qui va nominer le prochain juge.

Ruth Bader Ginsburg, juge progressiste de la Cour suprême américaine et figure politique des Etats-Unis, est morte ce vendredi à la suite d’un cancer. Un décès qui pose la question de la nomination de son successeur, décision qui revient au président des Etats-Unis.

A 45 jours de l’élection et d’un possible changement à la tête du pays, l’interrogation prend donc une tournure plus décisive que jamais. Jean-Eric Branaa, maître de conférences et politologue spécialiste des Etats-Unis, revient pour 20 Minutes sur les bouleversements liés à  la campagne américaine provoqués par ce décès.

Ruth Bader Ginsburg était connue pour ses positions fortes et pour incarner de nombreuses valeurs militantes. Son décès bouscule-t-il la campagne présidentielle américaine ?

C’est même plus qu’un bouleversement. Mais en réalité, cela est moins dû à la personne qu’elle fut qu’au poste qu’elle occupait. Ruth Bader Ginsburg était l’une des neuf juges de la Cour suprême américaine, l’un des piliers les plus importants de la vie démocratique des Etats-Unis. Avec sa mort se pose la question de la nomination de son successeur, une décision prise seulement par le président des Etats-Unis.

Le problème vient du fait que sa mort intervient à 45 jours de l’élection présidentielle, qui pourrait changer le chef de l’Etat, son camp politique, et donc le choix du juge qui siégera à la Cour suprême. Un cas similaire s’était produit lors de la mort d’un autre juge de la Cour suprême pendant le mandat de Barack Obama, et beaucoup de Républicains avaient dit que ce n’était pas à lui de choisir le successeur, car cela arrivait à « seulement » 237 jours de la future élection américaine. Là, on parle de 45 jours, vous imaginez donc les remous.

Quels sont les enjeux ?

Il y a neuf juges de la Cour suprême, et avant la mort de Ruth Bader Ginsburg, il y avait cinq juges conservateurs et quatre juges progressistes, dont elle. La question est donc de savoir si avec le prochain juge, on va garder ce relatif serrage de cinq à quatre, en cas de nomination d’un juge progressiste, ou si l’écart va se creuser avec une Cour suprême constituée de six conservateurs et trois progressistes. C’est désormais un sprint qui s’engage pour Donald Trump, qui va tout faire pour nommer et valider un nouveau juge conservateur. Evidemment, les démocrates feront tout pour retarder cette nomination, jusqu’aux élections.

C’est une question aussi essentielle que cela ?

C’est devenu LA question de la présidentielle. La mort de Ruth Bader Ginsburg enterre la campagne, il n’y a plus de programmes, même la crise sanitaire passe désormais en second plan. Se pose juste la question pour chaque électeur : pour quel candidat voter afin d’avoir un juge qui convient à mes convictions ? La Cour suprême influe directement sur le quotidien des électeurs, autant si ce n’est plus que le président. Au cours de l’Histoire, c’est elle qui a voté le droit à la ségrégation, au mariage gay, à l’avortement, pour ne prendre que des décisions de vote majeur. De plus, les nominations se font relativement jeunes, les juges choisis ont moins de 50 ans et sont là pour des mandats à vie. La personne choisie va donc peser dans la vie américaine pour au moins une trentaine d’années, bien plus qu’un mandat présidentiel. C’est donc une décision qui efface le programme politique des potentiels présidents pour le restreindre au choix de nomination de leur juge.

Cela peut influencer les votes de quelle manière ?

Par exemple, Donald Trump divise beaucoup les républicains, et de plus en plus. Avec le profil modéré d’un Joe Biden, on pouvait penser que certains électeurs républicains voteraient pour Biden plus que pour Trump. Mais la mort de Ruth Bader Ginsburg va sans doute rebattre les cartes. Qu’importe finalement que Donald Trump déplaise, les électeurs républicains vont probablement se rallier à lui pour être certain d’avoir un juge conservateur de plus à la Cour suprême. Même si un nouveau mandat de Donald Trump les horripile, que sont quatre ans à subir face à trente ans de décisions correspondant à leurs valeurs à la Cour suprême ?

En attendant la nomination du nouveau juge, la Cour suprême compte donc cinq juges conservateurs et trois progressistes. Quel que soit le nouveau choix, il n’y aura pas de « bascule » d’un camp à l’autre, la Cour restera à majorité conservatrice. Est ce que cela diminue la portée de cette nomination et de cette décision ?

Pas du tout. Déjà, parce qu’il faut voir plus loin que la composition de la Cour actuelle. Comme on l’a dit, il s’agit d’un mandat à vie, donc le juge nommé restera en place pendant facilement trente ans, la Cour peut changer d’ici là avec d’autres décès. Si c’est un conservateur qui est nommé, on passera à un rapport de 6-3. Et qu’importent les prochaines nominations, la Cour restera conservatrice encore un temps. Ce serait quelque part se mettre à l’abri d’un basculement progressiste.

Ensuite, une Cour à 6-3 pour les conservateurs changerait beaucoup de choses. Pour le moment, en raison de cet écart si serré à 5-4, il y avait un juge balancier qui votait parfois de façon démocrate plus que républicaine, afin de respecter leurs nombres. Certaines décisions de la Cour étaient donc purement démocrates et progressistes. A 6-3, il n’y aura pas besoin de ce rééquilibrage, et les décisions prises seront différentes et encore plus marquées que dans le passé.

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