Essais nucléaires en Polynésie française : pourquoi des manifestants réclament que l’Etat reconnaisse sa “faut – franceinfo

Il se sait attendu sur la question du nucléaire. Emmanuel Macron est en voyage officiel en Polynésie française à partir du samedi 24 juillet pour quatre jours. Soit une semaine après une manifestation d’ampleur contre les essais nucléaires menés pendant trente ans par la France dans les atolls de Moruroa et Fangataufa à près de 1 200 km au sud-est de Tahiti.

Environ 2 000 personnes – selon la police – ont répondu à l’appel des antinucléaires. Et ce 17 juillet n’avait pas été choisi au hasard : il s’agit en effet de la date anniversaire de l’un des essais les plus polluants, baptisé Centaure. Pourquoi ces manifestants demandent-ils que la France reconnaisse sa “faute” ? Franceinfo revient sur cette question à la veille du déplacement présidentiel.

Parce que les Polynésiens ont été exposés à la radioactivité sans le savoir

Quelque 193 essais nucléaires ont été menés en Polynésie française entre 1966 et 1996, dont 46 essais à l’air libre. Des dizaines d’années pendant lesquelles les populations locales ont été exposées à la radioactivité, sans le savoir. D’après le livre Toxique écrit par Sébastien Philippe et Tomas Statius (éd. PUF) sorti en mars dernier, l’essai Centaure du 17 juillet 1974 a en effet touché certaines îles sans que la population ne soit alertée.

“D’après nos calculs, fondés sur une réévaluation scientifique de la contamination en Polynésie française, environ 110 000 personnes ont été exposées à la radioactivité, soit la quasi-totalité de la population des archipels à l’époque”, souligne également une enquête de la cellule investigation de Radio France et du média Disclose, qui a révélé ces failles en mars 2021. Cette enquête se repose sur des archives déclassifiées en 2013, mais elle ne comprend pas celles relevant du secret-défense, toujours inaccessibles. 

Selon elle, le fameux nuage atomique Centaure issu de l’explosion n’a atteint que 5 200 m de hauteur, loin des 8 000 m prévus. Par ailleurs, le nuage devait partir vers le nord, et non droit sur l’île de Tahiti. En remodélisant la trajectoire du nuage, l’enquête de Disclose et Radio France a prouvé que celui-ci avait touché l’île 42 heures après l’explosion.

Des révélations réfutées par l’Etat français en marge d’une table ronde organisée début juillet 2021 sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie française. “Il n’y a pas eu de mensonge d’Etat”, a assuré Geneviève Darrieussecq, ministre chargée de la Mémoire et des Anciens combattants.

Parce que les conséquences sanitaires sont durables pour la population

En février dernier, un rapport de 620 pages livré par l’Inserm dénonçait le fait que les rares études ne permettent pas de mettre en évidence un “impact majeur” sur la santé des Polynésiens. Des résultats décriés par l’association antinucléaire 193 qui évoque une négation de la réalité“Cent quatre-vingt-treize essais nucléaires, c’est l’équivalent de 800 bombes d’Hiroshima. Dire qu’il n’y a pas eu d’effets, c’est du négationnisme”, affirme son président, le père Auguste Uebe-Carlson, à l’AFP. “Selon nos données de la Caisse de prévoyance sociale [la sécurité sociale locale], les femmes polynésiennes entre 40 et 50 ans ont le taux de cancers de la thyroïde le plus important du monde”, ajoute Patrick Galenon, ancien président du conseil d’administration de la Caisse de prévoyance sociale.

Ces conséquences sanitaires sont directement liées aux essais nucléaires, d’après l’enquête de Disclose et Radio France, qui a recueilli le témoignage de Catherine Serda, une habitante concernée. Après un essai atomique en 1968, alors qu’elle avait dix ans, “des personnes ont débarqué chez nous, habillés en combinaison, pour examiner l’eau de pluie dans les fûts. Mon père s’est d’abord moqué d’eux en leur disant que ses enfants, eux, jouaient par terre en culotte. Puis un homme lui a dit : ‘Il ne faut pas boire cette eau.’ Mon père lui a répondu : ‘Mais si l’eau est contaminée, comment je vais faire ? Je vais devoir ramasser des noix de coco pour donner de l’eau à mes enfants ?’ Et puis, nous avons repris le cours normal de notre vie…” Les années suivantes, huit membres de la famille de Catherine Serda ont été atteints de cancer.

Parce que les indemnisations sont compliquées à obtenir et ne suffisent pas

“La Polynésie française a grandement contribué à la construction de notre force de dissuasion et il convient d’assumer toutes les conséquences, humaines, sociétales, sanitaires, environnementales et économiques”, a déclaré Geneviève Darrieussecq à l’issue de la table ronde début juillet 2021. La France a annoncé qu’elle financerait la recherche sur les cancers provoqués par les radiations et a pris l’engagement de déclassifier les archives et de faciliter l’indemnisation des victimes. Une nécessité pour les Polynésiens concernés, alors que le ministère de la Santé a admis que le dispositif d’indemnisation est “particulièrement complexe du fait de l’insularité ou de la complexité des dossiers d’indemnisation sanitaire”.

D’après l’enquête de Disclose et Radio France, 100 000 personnes ont potentiellement été contaminées par l’essai Centaure. Autant de victimes qui vont “pouvoir déposer plainte au tribunal international de La Haye”, a déclaré l’indépendantiste Oscar Temaru, ancien président de la Polynésie française, lors de la manifestation du 17 juillet. Il a d’ailleurs lui-même porté plainte contre la France en 2018 pour crime contre l’humanité.

Les associations demandent également le remboursement par l’Etat des frais engagés par la Caisse de prévoyance sociale, avec un effet rétroactif. Selon Patrick Galenon, 670 millions d’euros ont été dépensés depuis 1985 pour soigner des personnes atteintes de maladies dues aux radiations. A l’issue de la table ronde début juillet, le ministre de la Santé Olivier Véran a jugé cette demande “légitime pour les victimes ayant fait l’objet d’une indemnisation par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen)”.

Mais les Polynésiens réclament aussi des excuses de la part de la France, ce qu’elle refuse toujours. Le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu l’affirme : “Le fait d’assumer, c’est plus fort que de dire pardon.”

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