ENQUÊTE. Sources taries, décharge sauvage… En Auvergne, Volvic soupçonnée de menacer la ressource en eau – franceinfo

Déjà accusée par des riverains de contribuer à assécher les sources de la région, la société des eaux de Volvic est aussi suspectée d’avoir caché l’existence d’une décharge de PVC située dans une réserve naturelle.

Lorsqu’on arrive à trois kilomètres en contrebas des forages de Volvic, sur la commune de Malauzat dans le Puy-de-Dôme, on débouche sur une pisciculture ombragée, un monument historique qui date du XVIIe siècle. Au temps des Romains déjà, “les sources de ma propriété étaient connues sous le nom de Dragonara, raconte fièrement le propriétaire des lieux, Édouard de Féligonde. Cela voulait dire : les sources du dragon, tellement elles jaillissaient avec fracas.” Mais cette époque est révolue. Six mois dans l’année désormais, l’eau ne coule plus assez. Tous les poissons ont disparu. Le propriétaire dit avoir renoncé à une production annuelle de 60 tonnes de truites. Et ce manque d’eau a un effet sur l’installation : les murets s’affaissent et la surface des bassins est recouverte de lentilles d’eau verdâtres.

Certes, le changement climatique joue un rôle majeur dans la réduction de la ressource en eau. Les experts s’accordent à le reconnaître. Mais Édouard de Féligonde pointe un autre responsable : le groupe Danone, qui a racheté la société des eaux de Volvic à Nestlé en 1993. Aujourd’hui, elle emploie près de 900 personnes et commercialise 1,75 milliard de bouteilles par an. Son activité fluctue selon les périodes de l’année. En été, lorsque la demande est au plus fort, on peut voir partir jusqu’à 250 camions et cinq trains par jour. Ils approvisionnent le marché français, mais pas seulement, car Volvic exporte 70% de sa production, essentiellement vers l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon.

Pour produire autant, Danone dispose de cinq forages qui sont aujourd’hui dans le collimateur de certains riverains. “Avant les captages, on avait un débit de 600 à 700 litres par seconde sur la source de la pisciculture, relève François Dominique Delarouzière, un géologue de l’association Preva (Préservation entrée volcans). En 1983, on était descendu à 420 litres par seconde. Et en 2019, on est tombé à 70.” Il constate que “lorsqu’on arrête de pomper à Volvic, ce qui se fait chaque année pour des opérations de maintenance, on voit le débit des résurgences remonter. Cela montre qu’il y a bien une corrélation directe.” 

La pisciculture d’Édouard de Féligonde à Malauzat est à l’arrêt, les lentilles d’eau se développent dans les bassins, le 5 mai 2021 (THIERRY ZOCCOLAN / AFP)

Considérant que les autorisations d’exploiter l’eau attribuées à Volvic par la préfecture sont responsables de cette situation, Édouard de Féligonde a assigné le préfet devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Une expertise réalisée par le cabinet de l’hydrogéologue Daniel Devred a conclu que la baisse des sources de 1981 à 2019 pouvait être imputée à 63 % aux régies des eaux (qui alimentent les communes de la région en eau potable), mais aussi à 37% à la société des eaux de Volvic. L’expert considère donc que “le lien de causalité est incontestablement établi entre les prélèvements de la société des eaux de Volvic, ceux des régies des eaux, et les baisses de débit des sources des requérants.” L’affaire n’est pas tranchée pour autant : le 25 mai 2022, le tribunal a commandé une nouvelle expertise ainsi qu’une étude hydraulique.

Face à cela, Danone rappelle qu’il s’est engagé à réduire de 10 % son autorisation mensuelle de prélèvement, et d’autant son autorisation annuelle, en cas d’alerte sécheresse renforcée. Un effort qui, assure l’entreprise, sera doublé en 2025. À première vue, il pourrait donc s’agir d’une réduction significative de ses prélèvements. Mais la sémantique utilisée par Danone peut être interprétée autrement. Car Volvic effectue depuis 2014 des prélèvements en deçà du plafond autorisé par la préfecture. Sur un volume “autorisé” de 2,5 millions de mètres cubes, l’entreprise ne devrait encore en capter que 2,3 millions cette année. Baisser le niveau de cette “autorisation”, comme le dit l’entreprise, ne signifie donc pas forcément pomper moins d’eau, mais simplement rester en dessous de que ce qu’autorise le préfet. Le groupe précise d’ailleurs que ces “diminutions” s’effectuent sans réduire pour autant le nombre de bouteilles vendues.

Danone met l’accent sur un autre engagement : réduire la quantité d’eau utilisée pour rincer ses chaînes d’embouteillages. Pour produire un litre d’eau minérale, il lui faut en effet puiser plus d’eau qu’on n’en met en bouteille. Aujourd’hui, l’entreprise consomme 1,3 litre d’eau pour une bouteille d’un litre, contre 1,6 pour la moyenne nationale selon le ministère de la Santé. Depuis 2017, “nous avons investi 25 millions d’euros pour optimiser notre utilisation d’eau, précise Danone à la cellule investigation de Radio France. Cela nous a permis de réduire nos prélèvements de 14%. En quatre ans, nous avons économisé 390 millions de litres d’eau.”

Ces engagements peinent cependant à convaincre certains riverains, compte tenu d’un événement survenu en 2020. Danone a fait procéder à un nouveau forage. Un sixième. La commission de l’Assemblée nationale qui enquêtait sur l’utilisation de l’eau par les groupes privées s’en est elle-même émue. Il s’agit en fait d’un possible forage dit de substitution, qui pourrait être utilisé en cas de défaillance d’un des cinq autres. Mais il a été réalisé “en plein Covid, en catimini”, selon Dominique Delarouzière. D’où un questionnement sur sa légalité. “Est-ce qu’on pourrait nous montrer l’étude d’impact environnementale qui a été faite ? On n’en dispose pas”, déplore-t-il. Et pour cause, cette étude n’existe pas. “Il n’y avait pas d’étude d’impact à faire, justifie le préfet Philippe Chopin. Ce nouveau puits n’est qu’une expérimentation. Il y n’aura une étude d’impact que si on accorde une autorisation définitive.”

Mais les griefs faits à Danone ne s’arrêtent pas là. En mars 2022, la Ligue de protection des oiseaux découvre dans la réserve naturelle de Volvic l’existence d’une décharge située non loin d’une ancienne usine d’embouteillage du Goulet datant de 1974, que Nestlé avait cédée à Danone en 1993. Il y a là, enfouis à environ deux mètres de profondeur, des blocs de PVC (plastique) compacts de couleur blanchâtre, mais aussi du bois dont on ne sait pas s’il a été traité, ainsi que du verre. Après avoir été entreposés, ces déchets ont été recouverts de terre, puis des arbres ont été plantés pour masquer leur existence. L’association Robin des Bois estime leur quantité entre 3  000 et 4  000 tonnes.

La réserve naturelle de Volvic, site protégé depuis 2014, zone dans laquelle a été découverte une décharge de PVC, de bois non traité et de verre (IGN / GOOGLE MAPS)

Lors d’une conférence de presse, le 13 octobre 2022, Cathy Le Hec, la directrice Ressource en eau et Environnement du groupe Danone décrit les objets entreposés. Elle regrette alors au micro d’Emma Saulzet de France Bleu Pays d’Auvergne : “Malheureusement, c’était sans doute la manière de gérer les déchets sur un site dans les années 60 à 80.” Mais des observateurs s’interrogent. Si la découverte de cette décharge date du début de l’année, pourquoi Danone a-t-il attendu sept mois pour en révéler l’existence ?

Selon nos informations, ce délai s’expliquerait d’abord par une crainte. Après avoir fait une découverte du même type dans les Vosges il y a deux ans, la société Vittel avait été prise de court par des militants écologistes. Ils avaient fait venir une tractopelle et proposé à des journalistes d’Arte et de Libération de filmer la scène. Choqué par les images diffusées à la télévision , le groupe Lidl, leader de la grande distribution en Allemagne, avait résilié son contrat avec Vittel. Et Volvic avait pris sa place sur les linéaires outre Rhin. On a donc, semble-t-il, temporisé pour éviter une réaction du même type qui aurait pu nuire aux intérêts de Volvic.

Mais Volvic voulait aussi attendre d’avoir la certitude que ces déchets n’avaient pas dégradé la nappe phréatique de Volvic et ne présentaient pas de danger avant de s’exprimer publiquement, pour ne pas inquiéter la population. Le délai qui s’est écoulé a été mis à profit pour étudier le sol et faire des analyses. Un attentisme qui peut s’apparenter à un manque de transparence, mais que Frédéric Bonnichon, le président de la réserve naturelle de Volvic, justifie. “On n’a pas fait n’importe quoi, assure-t-il. On ne vient pas avec des tractopelles dans une réserve naturelle régionale. On a défini un calendrier et une méthode. C’est ce travail qui a été fait de manière professionnelle, transparente et extrêmement rapide.”

Il reste cependant à comprendre ce qui s’est passé sur le fond. Et pour cela, l’association Robin des Bois a reconstitué l’historique du site du Goulet à l’aide d’anciennes photos aériennes. Son analyse sur une période allant de 1974, date de la création de l’usine, à 1994, montre qu’on y a régulièrement entreposé des déchets à l’air libre avant que le site ne devienne “La réserve naturelle régionale des Cheires et Grottes de Volvic”. Or en 1994, Danone était déjà propriétaire de la société des eaux de Volvic qui gérait ces terrains. Dans ces conditions, le groupe pouvait-il ignorer l’existence de cette décharge  ? La question se pose d’autant plus qu’en 2001, un document du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) qui recensait les dépôts sauvages de la région, faisait état de l’existence d’une décharge alors qualifiée de “gravats”, dans la zone où on a découvert le PVC. Lors de la conférence de presse du 13 octobre 2022, la porte-parole de Danone a pourtant affirmé n’avoir été alertée qu’en mars. Et lorsque nous avons réinterrogé Danone sur ce point, la multinationale a maintenu sa déclaration.

Il reste à connaître l’impact de ces déchets sur l’environnement, et notamment sur les eaux souterraines. À cela, Cathy Le Hec pour Danone répond qu’ils “ne représentent aucun risque pour la ressource en eau”. Elle précise simplement : “Comme il s’agit d’un site sensible, il est important de les retirer.” Faute d’études suffisantes, il paraît cependant difficile d’évaluer les éventuelles conséquences de cette présence de PVC dans le sol. Il faudrait aussi prendre en compte les adjuvants. Selon Bernard Schmitt, président de l’association Vosges Nature Environnement, “ces produits servent à colorer, à rendre transparent, à rendre la bouteille solide… Ils peuvent être lessivés, se recombiner, et cela peut stériliser les sols”.

Face à cela, le préfet du Puy-de-Dôme Philipe Chopin se veut rassurant. “Depuis que nous faisons des contrôles sur l’eau de Volvic, il n’y a jamais eu de problème sur le PVC. Nous en faisons régulièrement avec l’Agence régionale de santé (ARS), et l’eau actuellement ne présente pas de problèmes sanitaires”, assure-t-il, sans donner plus de détails sur la nature des molécules qui sont analysées. Selon nos informations, l’ARS doit procéder à de nouveaux contrôles. L’enjeu est important. Si la qualité de l’eau se dégradait, le classement “eau minérale naturelle” de Volvic pourrait être remis en cause.

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