En Russie, les manifestations pro-Navalny réunissent beaucoup de monde et beaucoup de police – Libération

Dans une vidéo diffusée dimanche dernier, Leonid Volkov et Ivan Jdanov, les deux lieutenants d’Alexeï Navalny, avaient promis «la bataille finale entre le bien et la neutralité» lors de cette journée de protestation organisée mercredi. Par neutralité, les deux hommes désignaient la majorité des Russes indifférents au sort de l’opposant empoisonné en août dernier puis emprisonné lors de son retour en Russie en janvier. S’il fallait compter les points à l’issue de cette journée, les proches de l’opposant n’ont pas totalement gagné leur pari. Même si dans la soirée de mercredi, des foules importantes ont bravé dans tout le pays l’interdiction de manifester, alors que plus de 1 200 manifestants ont été arrêtés.

A Moscou, le rassemblement a pris des allures de mobilisation réussie. Une foule des grands jours s’était massée dans les rues, même si les manifestants n’étaient pas aussi nombreux qu’au début de l’année. Les places avaient été bouclées par la police, mais un défilé avait été autorisé à se rapprocher de la place du Manège, symbolique puisqu’elle représente l’entrée vers la place Rouge et le Kremlin. Surtout, c’est dans l’ancien manège de la place, devenu un immense hall d’exposition, que Vladimir Poutine avait prononcé quelques heures plus tôt son discours annuel sur l’état de la nation.

Pour les lieutenants de Navalny, l’enjeu n’était pas tant de brouiller les annonces du Président que de réclamer, tout simplement, l’hospitalisation de leur leader. Empoisonné l’été dernier, condamné en février, l’avocat blogueur de 44 ans effectue une grève de la faim depuis le 31 mars. Il réclame la visite de médecins indépendants. Mais Alexeï Navalny n’a obtenu que d’être déplacé dans une unité médicale pour tuberculeux de la colonie pénitentiaire n °3 de la région de Vladimir, à une centaine de kilomètres de la capitale, où il purge sa peine. Cette unité est réputée pour ses actes de torture envers les prisonniers. A quelques heures du début des manifestations, la médiatrice officielle pour les droits humains en Russie Tatyana Moskalkova a affirmé que Navalny avait reçu la visite de quatre médecins et que «son état de santé ne suscite pas d’inquiétudes». Les avocats de l’opposant ont, eux, estimé ces derniers jours que la vie de l’opposant était en danger. De quoi pousser l’ONU, mercredi, à exiger de la Russie qu’elle permette à Alexeï Navalny d’être soigné à l’étranger.

«Le seul enjeu, c’est de le sauver»

Dans le centre de la capitale russe, à quelques minutes du coup d’envoi de la manifestation, les journalistes se voyaient déjà passer la soirée entre eux. Affublés de gilets jaunes et interdits de s’approcher des forces de l’ordre comme l’impose une nouvelle recommandation du gendarme des télécommunications russe, ils avaient en tête la dernière manifestation en soutien à l’opposant, en février. Les autorités étaient parvenues à arrêter la quasi-totalité des participants en une heure. De quoi refroidir. Mais mercredi, les passants statiques et autres visages perdus ont vite été rejoints par plusieurs centaines de personnes. Plus de 6 000 manifestants au total, selon la police. Laquelle, une fois n’est pas coutume, s’est tenue à l’écart. En fin de soirée, l’ONG de monitoring des rassemblements russes OVD-Info comptabilisait seulement 26 arrestations à Moscou. Un bilan inédit.

Ksenia et Irina, la vingtaine, n’ont pas tergiversé face au risque de répression. «Evidemment, on comprend qu’on prend des risques, mais si on veut changer les choses, c’est nécessaire et dans les faits on ne viole pas la loi», expliquent-elles, noyées dans un attroupement particulièrement fourni, avenue Tverskaïa. «Dans ce pays, vous pouvez vous faire emprisonner et tuer pour ce que vous avez dit. Et je ne veux pas de ça. Navalny c’est quelqu’un qui se bat pour notre liberté, pour nos droits, il pourrait même devenir le président de notre pays, il serait au moins mieux que celui qu’on a en ce moment. Mais pour le moment, le seul enjeu c’est de le sauver», estiment-elles, un masque chirurgical sur la bouche.

De temps en temps, la capitale russe offre de ces manifestations déroutantes. C’était le cas mercredi soir avec des manifestants qui ne s’attendaient pas à pouvoir déambuler sans avoir à échapper à des garnisons de policiers surarmés. Résultat, comme souvent dans ces moments-là, les opposants se sont vite éparpillés, à court de slogans, de lieux symboliques à visiter, tout simplement à court de leaders.

Les policiers ne bronchent pas

En s’engouffrant dans une station de métro, Slava, 55 ans, prend le risque et lance «On reviendraà deux pas de deux policiers antiémeutes stoïques. «On reviendra parce que je m’inquiète pour le futur de mes enfants. J’ai trois enfants, un petit-fils et je voudrais qu’ils vivent dans un pays différent parce que ce qu’on a là est une honte.» Pas inquiet de finir sa soirée au commissariat, il se désole : «Vous vous rendez compte, on est des parias pour l’Europe, c’est la honte! On devrait en faire partie, on devrait avoir des tribunaux libres, des élections libres, une alternative à ce pouvoir et je veux contribuer à ce changement de régime qui arrivera tôt ou tard, certainement dans les années qui viennent.» Sur des murets, plusieurs jeunes hommes lèvent des panneaux «contre Poutine, contre le fascisme, pour Navalny». Curieusement, les policiers ne bronchent toujours pas.

L’ambiance était radicalement différente dans la deuxième ville du pays, certes réputée pour ses manifestations animées. Ils seraient plus de 4 500 personnes à avoir défilé dans les rues de Saint-Pétersbourg, selon la police. Engagés le long des canaux, les manifestants ont fait face aux forces antiémeutes qui ont largement usé de bâtons électriques et de matraques. Plus de 660 personnes ont été arrêtées. De Vladivostok à Kaliningrad, jusqu’au fin fond de la Sibérie, une centaine de villes ont participé à l’action de mercredi.

Si les proches d’Alexeï Navalny ne sont pas parvenus à réunir les plus de 500 000 personnes qu’ils avaient espérées, ils auront au moins montré au pouvoir qu’ils restent présents dans l’ensemble du pays et que leur mobilisation reste vive.

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