EN DIRECT – «Mon existence ne tient qu’à un fil» : au procès du 13-Novembre, le récit minute par minute des otages du Bataclan – Le Figaro

L’audience est suspendue, elle reprendra aux alentours de 16h20.
Dans un ton clair, David poursuit sa déposition, en s’appuyant sur des schémas diffusés aux écrans, représentant la place de chaque otage et des deux terroristes. Il se souvient de l’instant où ils ont été surpris par le troisième terroriste, Samy Amimour, qui venait d’activer sa ceinture explosive en bas, sur la scène du Bataclan. «Ils jouissaient de la mort de leur collègue et en même temps ils perdaient le contrôle de la prise d’otage», analyse-t-il avec le recul.

Les minutes passent, puis une voix émane de derrière la porte du couloir. C’est celle d’un agent de la BRI, qui lance les négociations avec les kamikazes. Un numéro de téléphone est échangé, puis les terroristes exigent des demandes improbables, telles qu’une lettre de François Hollande leur promettant le retrait des troupes françaises en Syrie. «Les terroristes n’ont rien de concret à demander», désespère l’otage. «Ça va nulle part, je vais mourir. (…) Je m’effondre à l’intérieur de moi et je me rends compte que mon existence ne tient qu’à un fil.»

Pour David, Ismaël Omar Mostefai avait un «ascendant» sur Foued Mohamed Aggad, c’est lui qui menait les négociations. «Je le vois comme étant le chef.» Et de poursuivre: «Aggad avait l’air plus déterminé à répandre la mort ce soir-là, il était davantage stressé. Mostefai était plus calme.»

Peu après 00h15, l’assaut final est donné par la BRI. «On a crié à la police de ne pas rentrer, se souvient le rescapé. Pour nous, l’arrivée de la police n’était pas une bonne nouvelle.» Son corps de 90 kilogrammes est alors soulevé par un blast. Des mains l’attrapent et le jettent dans le couloir. Tout se déroule en une minute. «Je sors du couloir et je me dis putain je suis en vie.»

C’est un «miracle» qu’aucun otage n’a été touché par une balle durant les échanges de tirs. En fin de témoignage, David salue l’action des policiers de la BRI, qui les ont sortis intacts de cet enfer: «Ce sont toujours mes héros.»

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David Fritz Goeppinger, cheveux longs et chemise bûcheron, est le premier otage du Bataclan à témoigner. Le soir du concert des Eagles of Death Metal, il était avec une bande de copains, Bambi, Alix, Chloé, Guillaume. Ils étaient installés au niveau du balcon, quand David a entendu des bruits suspects, identifiés très rapidement par le rescapé.

Le gérant de bar tente de s’échapper quand il croise une femme, qui l’interpelle: «Je suis enceinte, est-ce que je peux sauter par la fenêtre ?» Puis David se joint à deux autres personnes suspendues à la fenêtre du 3e étage de l’immeuble, passage Amelot. Ils sont surpris par l’un des terroristes, qui les menace: «Descendez de là. Si vous n’êtes pas tout seul, je vous tue. Je viens de tuer cent personnes, je ne ferai pas la différence.»

David se retrouve dans cette coursive avec une poignée d’otages et deux terroristes, dont l’un «s’amuse à tuer des gens» dans la rue. «On assiste au massacre et à l’assassinat de plusieurs personnes sans pouvoir agir», soupire-t-il. «Le premier qui bouge, je lui file une balle dans la tête. Celui qui tente de faire le justicier, je le tue. C’est compris?», menace l’un des kamikazes. David, lui est «dans un état de léthargie.» L’un des deux preneurs d’otages se lance dans une diatribe contre l’intervention française en Syrie, puis interroge David sur ce qu’il pense de François Hollande.

– «Ne te crispe pas, dis la vérité», insiste le terroriste.

– «Je suis Chilien, j’ai 23 ans, je ne pense rien du Président français. Ce qui est important est que je sois bien avec mes potes, à boire des bières. La politique j’en pense rien.»

À la barre, David se remémore des scènes surréalistes, où Foued Mohamed Aggad s’adresse aux otages «comme à un pote», par exemple lorsque  le percuteur de son arme s’enraille: «Quelle Kalach de merde», sourit le terroriste. Les assaillants placent ensuite les otages en bouclier humain, près de la porte et des fenêtres. «J’ai l’impression d’être dans une file d’attente devant les portes de l’enfer.»

À VOIR AUSSI – Au procès du 13-Novembre, les victimes veulent «essayer de comprendre l’irrationnel»

Reprenant l’expression du photographe Henri Cartier-Bresson, Daniel Pszenny, journaliste de 64 ans, désigne à la barre le 13-Novembre comme «un instant décisif.» 

Le soir des attentats, l’homme aux cheveux grisonnant travaillait sur un article quand il a été surpris par des claquements secs provenant de l’extérieur. Sa fenêtre donnait sur le passage Amelot, qui était alors “une continuité du Bataclan”. “La guerre s’est installée dans ma rue.” 

Horrifié, il aperçoit “des grappes d’hommes et de femmes” s’enfuir de l’issue de secours, “des gens s’écroulaient, fuyaient un enfer.” Son reflex de journaliste le pousse à filmer la scène, tout en demandant avec insistance: “Qu’est-ce qui se passe ?” Dans l’obscurité, Daniel Pszenny enregistre 5 minutes 48 de cette scène d’horreur, dont la vidéo est projetée dans la salle d’audience. On aperçoit des vagues de spectateurs sortir, certains sont à cloche pied, d’autres s’effondrent au sol. Des rescapés tirent des corps inanimés et des longues traînés de sang apparaissent sur le bitume. En face de l’appartement du journaliste, on aperçoit plusieurs personnes suspendues à la fenêtre.

Entre les tirs sporadiques, on entend des gémissements, des spectateurs à la recherche d’un proche: “Oscar, Oscar”, répète l’un d’eux. Puis une femme qui supplie: “s’il vous plaît monsieur je suis enceinte !” Et enfin, un grand silence. Daniel Pszenny descend de son appartement, pour tenter de porter secours à une victime, Matthew, à terre. Il est alors touché à son tour d’une balle d’une Kalachnikov: “Je n’ai pas vu le terroriste qui m’a tiré dessus. Il a été confirmé par la suite qu’il s’agissait d’Ismaël Omar Mostefai.” 

À cet instant, le journaliste est persuadé qu’il vit ses derniers instants. “C’est un moment très étrange de penser qu’on va mourir, contrairement à ce qu’on dit, on ne voit pas défiler sa vie devant ses yeux. Il y a seulement quelques images.” Il pense à sa femme avec qui il s’est marié trois semaines auparavant. Après de très longues minutes, Daniel Pszenny est finalement pris en charge par les secours. À son réveil le samedi, il apprend que Matthew, le spectateur à qui il a porté secours, se trouve à quelques chambres de lui dans le même hôpital Georges Pompidou.

À VOIR AUSSI – Procès des attentats du 13 Novembre: tout comprendre des enjeux du témoignage des victimes

L’audience est reprise. Le président indique que l’un des témoins du passage Amelot souhaite diffuser une vidéo du soir des attentats, lorsque les spectateurs ont évacué la salle par une sortie de secours donnant sur la ruelle. Il est invité à témoigner en premier. 

David Fritz Goeppinger est l’un des trois otages à venir témoigner aujourd’hui. Il a partagé ce matin sur son compte Twitter une lettre «à une vieille connaissance», dont nous vous partageons ici quelques extraits :

«Depuis longtemps, les larmes de tristesse ont déserté mes yeux. Elles ont cédé la place à des larmes amères de colère et de frustration. Mais comme chaque humain, j’ai appris. (…) J’ai également appris à accepter la douleur et le deuil de la fin de l’insouciance», écrit cet ancien gérant de bar de 29 ans.

Il ajoute, en s’adressant aux accusés : «Vous avez perdu car votre raison même d’exister, semer la haine et la mort, ne fait que planter les graines d’un espoir humain et beau. (…) Vous avez perdu et vous perdrez à l’avenir.»

Quelque 70 victimes se sont succédé à la barre la semaine dernière pour livrer leurs témoignages, que vous pouvez relire ici:

>> Attentats du 13-Novembre: l’incroyable récit de l’otage sauvé par la BAC

>> «Oui, la vie est belle» : au procès du 13-Novembre, le message d’espoir d’un rescapé du Bataclan

>> Au procès du 13-Novembre, la douleur indicible des mères endeuillées

Bonjour à tous. Le Figaro est en direct depuis le palais de justice de l’île de la Cité pour suivre les auditions des parties civiles du procès des attentats du 13-Novembre. 

Les témoignages des rescapés et proches des victimes du Bataclan se poursuivent cette semaine. Aujourd’hui, la cour va entendre trois des otages qui se trouvaient dans le couloir avec les terroristes Foued Mohamed Aggad et Ismaël Omar Mostefai. Ils feront le récit de ces deux heures éprouvantes entre 22h20 et 00h18, où ils ont miraculeusement survécu face aux kamikazes retranchés, jusqu’à l’assaut final de la BRI.

À la suite du témoignage de résidents du passage Amelot seront auditionnés quatre primo-intervenants, les premiers policiers à avoir pénétré dans la salle de spectacle ce soir-là.

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