En Colombie, l’armée se déploie dans Cali, au lendemain de violences qui ont fait treize morts – Le Monde

Des secouristes placent sur un brancard le corps d’un homme mort lors d’une manifestation, à Cali, le 28 mars 2021.

L’armée colombienne, obéissant à l’ordre du président Ivan Duque, a commencé samedi 29 mai à déployer un millier de soldats dans la ville de Cali, où au moins treize personnes ont été tuées la veille. La troisième ville du pays, qui compte 2,2 millions d’habitants, est l’épicentre de manifestations anti-gouvernementales.

Huit des victimes ont été tuées par balles, selon la police. Un enquêteur du parquet de Cali a tiré sur la foule, tuant deux civils, avant d’être lynché par les manifestants, selon le parquet.

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Ces violences interviennent un mois exactement après le soulèvement du 28 avril contre un projet de réforme fiscale, vite abandonné, porté par le président de droite Ivan Duque, qui visait à augmenter la TVA et à élargir la base de l’impôt sur le revenu.

En un mois de soulèvement populaire, au moins 59 morts, dont deux policiers, ont été enregistrés dans le pays, selon un décompte officiel. Quelque 2 300 personnes ont été blessées et 123 sont portées disparues. Human Rights Watch évoque jusqu’à 63 morts.

« La situation à Cali est très grave », a tweeté José Miguel Vivanco, directeur pour les Amériques de HRW, qui a exhorté le président Duque à prendre « des mesures urgentes de désescalade, dont un ordre spécifique pour interdire l’usage d’armes à feu par les agents de l’Etat. La Colombie ne peut déplorer plus de morts ».

Des manifestations pacifiques le jour, rebelles la nuit

Des manifestations contre le gouvernement ont régulièrement lieu dans plusieurs villes de Colombie, comme dans la capitale Bogota ce 28 mai 2021.

Depuis un mois, le scénario est presque toujours le même : le jour, les manifestations sont pacifiques et créatives, la nuit la rébellion se transforme en émeutes où mortiers d’artifice et cocktails Molotov se mélangent aux tirs à balles réelles.

Cette révolte sans précédent secoue les grandes villes, où sont érigées des barricades et où les blocages d’axes routiers provoquent des pénuries et exaspèrent une partie de la population. Le gouvernement, malgré des médiateurs chargés de négocier avec le Comité national de grève, initiateur du mouvement, est incapable de désactiver une crise qui, pour l’instant, ne menace pas de le renverser.

Cette crise soudaine a surtout révélé, selon les analystes, la sourde colère d’une jeunesse politisée, appauvrie par la pandémie, qui ne veut plus se taire.

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Retour de bâton

Pendant un demi-siècle, le conflit avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) a occulté une réalité devenue trop criante : selon la Banque mondiale, la Colombie se classe parmi les pays les plus inégalitaires en matière de revenus et possède le marché du travail le plus informel d’Amérique latine. L’Etat s’est concentré dans sa lutte contre les guérillas – celle contre l’Armée de libération nationale (ELN) et les dissidents des FARC perdure toujours – et a totalement délaissé la demande sociale.

En 2019, un an après l’élection de M. Duque, les étudiants étaient descendus dans la rue pour réclamer un meilleur enseignement public, gratuit, des emplois, un Etat et une société plus solidaires. La pandémie a éteint la mobilisation en 2020 sans que le chef de l’Etat de 42 ans ne fasse de grandes concessions. Le retour de bâton est d’autant plus fort, avec une pauvreté qui s’est accélérée pour atteindre 42,5 % des 50 millions d’habitants, l’épidémie de Covid-19 plongeant les plus vulnérables dans l’indigence.

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Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a exprimé vendredi « sa préoccupation et ses condoléances pour les pertes de vies humaines » survenues en Colombie et a « réitéré le droit incontestable des citoyens à manifester pacifiquement », à l’issue d’un rencontre avec son homologue colombienne, Marta Lucia Ramirez, en visite cette semaine à Washington.

Le Monde avec AFP

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