Emploi : Durcir les conditions de l’allocation sous 6 % de chômage, un décret sans aucun sens ? – 20 Minutes

C’est une surprise sous le sapin dont les chômeurs se seraient bien passés. Le 23 décembre, deux jours avant Noël, le gouvernement envoyait son projet de décret sur l’assurance-chômage aux partenaires sociaux, avec une nouvelle donne. En plus d’une baisse de 25 % de la durée d’indemnisation lorsque le chômage est inférieur à 9 % à partir de février 2023, déjà planifiée, une baisse de 40 % de la durée est prévue si le chômage descend en dessous des 6 %.

La mesure est beaucoup contestée, notamment par les partenaires sociaux et l’opposition politique, mais a-t-elle au moins une chance d’être appliquée un jour ? Actuellement, baisser le chômage à 6 % semble une mission plus impossible que toute la filmographie de Tom Cruise réunis. « La conjoncture économique actuelle ne va vraiment, mais alors vraiment pas, vers une diminution massive du nombre de chômeurs en France », synthétise Stéphanie Villers, macro-économiste et conseillère à PwC France.

Objectif utopique

Un rapide coup d’œil à l’état de la France, et plus généralement de l’Union européenne, permet de comprendre le mur de réalité que risque de se manger ce décret. Citons pêle-mêle une inflation à 6,2 % en novembre sur un an dans le pays, et à près de 10 % en moyenne chez les Vingt-sept, un PIB en croissance de seulement 0,2 % au troisième trimestre de l’année, et des craintes de récession. Bref, l’économie française tire salement la gueule.

Le taux de chômage est lui à 7,3 %, et après une forte baisse, ralentit sa décroissance. Il n’a perdu que 0,1 point en un trimestre, et il en reste donc encore plus d’un point entier à perdre. Un objectif aussi herculéen que « quasi-impossible dans un tel contexte économique », estime Stéphanie Villers. Une croissance au ralenti, une inflation forte, mais aussi une hausse des taux d’intérêt, décidé par la Banque centrale européenne, sont presque incompatibles avec une forte diminution du nombre de chômeurs.

Priorité à l’inflation

Avec des taux d’intérêt élevés, les entreprises peuvent moins emprunter sans se ruiner, donc diminuent les investissements et les embauches. « C’est d’ailleurs l’objectif affiché par la Banque centrale européenne : faire baisser la demande, que ce soit la consommation ou l’investissement », afin d’enfin diminuer l’inflation.

L’économie, c’est comme les résolutions du début d’année : il ne vaut mieux pas s’éparpiller ni courir deux lièvres à la fois. « Très clairement, le gouvernement français a fait le choix de lutter contre l’inflation plus que contre le chômage », commente Stéphanie Villers. Et l’année 2023 s’annonce déjà assez complexe dans la bataille pour le pouvoir d’achat, avec la diminution des aides, la hausse continue des prix de l’énergie et de l’alimentation, et de nombreuses entreprises en mise en veille et chômage partiel.

Un décret anachronique ?

Sauf scénario improbable – comme une difficilement imaginable paix en Ukraine dès le printemps –, le taux de chômage en France devrait se maintenir, voire légèrement augmenter, durant toute l’année 2023. Dès lors, se pose une question : pourquoi en faire un décret si l’objectif est inatteignable ? Claire Vivès, sociologue au Centre d’études de l’emploi et du travail, estime : « Actuellement, tout le monde parle de cette possible réduction de 40 % de la durée, bien hypothétique, et plus personne ne se concentre sur la baisse de 25 % qui sera effective dès le 1er février. Pourtant, il s’agit de la diminution la plus drastique de la durée de l’indemnisation chômage, qui fait suite à une réforme déjà extrêmement dure en 2021. » D’autant que si comme on l’a vu, la France a peu de chance d’aller en dessous des 6 %, réatteindre les 9 % de chômage semble également un horizon lointain : « On parle d’une diminution des droits qui va donc durer », poursuit la sociologue.

En fixant le seuil à 6 %, une volonté de faire le deuil du plein-emploi, fixé à 5 %. « C’était un objectif affiché par le gouvernement Macron pour ce second quinquennat, mais avec la Guerre en Ukraine, il semble difficilement réalisable à court terme. Fixer un objectif à 6 % et plus 5, c’est déjà gagné un peu sur cet objectif », estime Stéphanie Villers.

Un décret « pour rien »

Pour Claire Vivès : « Inscrire dans ce décret une diminution future qui nécessitera un nouveau décret au cas où on atteindrait les 6 % ne sert juridiquement à rien. Cela révèle qu’il n’y a aucun risque politique à taper sans discontinuité sur les chômeurs parce qu’une partie de l’opinion y est favorable. »

Selon Anne Eydoux, maîtresse de conférences d’économie au Conservatoire national des arts et métiers, ce décret s’inscrit dans une logique longue durée de « détricotage du système actuel de l’assurance chômage. Au-delà des coupes budgétaires, on assiste à une réforme majeure de la gouvernance. Celle-ci est de moins en moins paritaire et a été depuis 2018 largement reprise en main par le gouvernement. » Pour l’experte, « les réformes annoncées aujourd’hui correspondent à des économies encore plus importantes. Tout se passe comme si on faisait payer aux demandeurs d’emploi le coût des mesures d’activité partielle, cofinancées par l’Unédic, qui ont servi à soutenir les entreprises pendant la crise sanitaire. »

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